Raoul MARMOZ, Syndicalisme étudiant et insertion professionnelle (le parcours d’anciens dirigeants de l’Unef-id), Mémoire de DEA de Sciences sociales « Cultures et comportements sociaux », sous la direction de Monique Hirschhorm, Université Paris V, septembre 1998, 120 pages.
Que deviennent-ils ? C’est une question que l’on se pose régulièrement au sujet des militants et à laquelle certains essayent de répondre. Les dictionnaires de militants, tels que le Maitron et le Dictionnaire biographique des militants – XIXème-XXème siècles,, réalisé par Geneviève Poujol et Madeleine Romer ( L’Harmattan, 1996), en sont un exemple. Concernant les militants syndicaux, nous disposons ça et là d’indications sur leur devenir professionnel : Alain Monchablon dans son Histoire de l’Unef, Hamon et Rotman dans Génération. Et puis, il y a ceux que l’on croise, ceux dont on connaît le parcours syndical et professionnel, et dont on devine comment le premier a parfois permis le second. Mais si l’histoire tend à constater le devenir des militants et à émettre des hypothèses sur les liens de cause à effet entre engagements et devenir, l’étude des trajectoires actuelles peut permettre de mieux en comprendre les modalités. Mais cela demande d’avoir l’ouïe fine, car tout ne se dit pas, un(e) responsable syndical(e) est bien placé(e) pour le savoir. On le devine d’ailleurs très bien à la lecture de mémoire de Raoul Marmoz. Les dix anciens du Bureau national de l’Unef-id de 1986, qu’il a interrogé, ont, sur certains thèmes ,été plus bavards que sur d’autres, mais déjà, ils nous livrent quelques éléments de réflexion. Raoul Marmoz ne s’est pas simplement contenté de leur demander comment ils en étaient arrivés là, mais il a essayé de retracer des histoires de vies militantes. Ainsi, il est parti des débuts de leur engagement, puis s’est arrêté sur les modalités d’entrée à l’Unef-id et le parcours universitaire, pour enfin arrivé à la situation professionnelle, en passant par les grèves de 86 qui fut un moment important pour eux. Que nous révèlent ces parcours ? En fait, les résultats sont très proches de ceux que nous avons obtenus en interrogeant des militants associatifs. Le lycée est un moment clé, que l’on y soit délégué de classe ou que l’on commence à y fréquenter certaines organisations politiques. Un syndicat étudiant peut alors apparaître comme une suite logique. Pour ceux qui ne s’engagèrent qu’à leur entrée à l’université, leur adhésion relève soit de la réaction, du manque politique, soit de l’accident (les fameuses cartes savonnettes). Au sujet de leur parcours universitaire, on trouve à la fois des parcours chaotiques et des parcours « normaux ». Il semble que la préoccupation de l’insertion professionnelle était moins forte, ce qui laissait plus de latitude à ces militants. Viennent ensuite les questions sur les apports du syndicalisme. On peut comprendre cet apport de deux manières : du point de vue des études, en termes d’apprentissages méthodologiques complémentaires et du point de vue de l’insertion professionnelle, en termes de formation complémentaire et de tremplin. Le syndicalisme étudiant est clairement décrit comme un lieu de formation à part entière. On y apprend à organiser son temps, à discuter lors des réunions, à intervenir en public… Autant de savoir-être et savoir-faire que l’université n’enseigne pas. Et puis, il y a les manifs (surtout celles de 86), qui elles aussi confrontent les individus avec des situations sans rapport direct avec le métier d’étudiant. Mais ensuite, et c’est là où cela devient plus délicat à dire, il y a l’après université. « Un certain nombre de choses qu’on n’apprend pas à l’université très clairement, me donnait finalement un certain nombre d’atouts par rapport à un étudiant avec un parcours lambda, qui n’a pas…je dirais, je ne cherche pas à ériger la formation syndicale en meilleur moule de formation, c’est-à-dire plutôt, par rapport à des étudiants qui n’ont pas d’autres engagements quels qu’ils soient. » (p 55) Il y a l’hésitation. Il y a le moule et la comparaison. Autant de signes qui montrent l’ambiguïté des bénéfices de l’engagement. Revendiquer l’égalité et la démocratisation et être confronté aux privilèges et au « piston », quel dilemme ! C’est peut être pour cette raison que Raoul Marmoz a éprouvé quelques difficultés à les faire parler de la manière dont leur participation à l’Unef-id et aux grèves de 86 les ont aidé (pour certains) à s’insérer professionnellement. Le militantisme, surtout à ce niveau, permet de se faire des connaissances (utiles). Il suffira alors de se rappeler à leur bon souvenir. Mais alors, existe-t’il des réseaux d’anciens ? Difficile à dire selon Raoul Marmoz. Il est question d’amis, de connaissances qui facilitent les contacts, l’entraide… Personne ne parle de réseau formel. Mais qui a dit qu’un réseau devait toujours être formel, alors que, c’est parfois son caractère informel, qui permet son efficacité? Etre invisible, que rien ne se sache, mais que cela se fasse. Des exemples de réseaux informels d’ex-militants syndicaux, on pourrait en citer de multiples. Le travail de Raoul Marmoz nous livre déjà des éléments, mais il mériterait d’être approfondi théoriquement et pratiquement.
Valérie Becquet
Les Cahiers du Germe trimestriel n° 10, 1999