Jean-François Muracciole, Les Enfants de la defaite, la Résistance, l’éducation et la culture, Paris, FNSP 1998, 371 p, 196 F.
Les enfants de la défaite, ce sont les jeunes générations d’après 1940; elles sont étudiées par J.F. Muracciole non pas telles qu’elles vécurent l’occupation et la résistance, mais comme enjeu de la reformation de la société française à la Libération selon les projets de la résistance. Et bien sûr l’éducation et l’enseignement (deux parties distinctes des trois grandes divisions de l’ouvrage) sont l’essentiel de cette régénération de la société.
L’étude est à la fois minutieuse, puisant à de multiples sources pour analyser les projets et les débats de la Résistance, et axée sur une perspective large puisqu’elle entend interroger une continuité en matière éducative (lato sensu) entre les années trente et les années soixante-dix. L’idée centrale est en effet que les réflexions menées à Londres puis à Alger et dans la clandestinité hexagonale ont orienté les choix de la IVe et aussi de la Ve République en matière éducative, culturelle et de politique de la jeunesse.
Un long examen des causes de la défaite de 1940 telles que les analysèrent tant la Résistance intérieure dans ses multiples composantes que la France libre, forme la première partie. Pour J.F. Muracciole, deux points de vue différents s’en dégagent: la Résistance intérieure y voit une faillite des élites traditionnelles, qui n’épargne pas la IIIe République, et implique une régénération par la formation d’une nouvelle élite, ce qui s’expliquerait par le caractère minoritaire de la Résistance intérieure, qui se concevait comme une élite. En revanche l’analyse gaulliste de la défaite exonère une nation demeurée saine dans ses profondeurs et charge en premier lieu les responsables militaires. De là deux ensembles de projets qui convergèrent tardivement: les premiers mettant accent sur les transformations de structure sans trop envisager la question du nombre, les seconds plus au contact des intentions liées à la genèse du Welfare State et de la démocratie de masse qui avaient cours chez les alliés anglo-saxons insistant sur la démocratisation et la massification de l’accès à la culture et l’éducation. S’y mêlent évidement les arrière-pensées politiques, sensibles avec le retour des partis politiques dans le débat, en particulier dans « l’impossible enterrement de la question laïque » alors pourtant souhaité par beaucoup.
La rencontre de ces trois ensembles de courants explique le caractère parfois inachevé ou de compromis des projets scolaires et éducatifs de la Résistance dans son ensemble.
Pourtant, en matière d’enseignement, J.F. Muracciole juge que c’est de là que date l’inflexion décisive du dernier demi-siècle. Par pure coïncidence l’ouvrage est paru au moment où des défenseurs de l’enseignement secondaire traditionnel se sont drapés dans les plis de la meilleure tradition républicaine; il n’en est que plus intéressant de lire les dénonciations par de nombreux résistants, dont Marc Bloch, du caractère abstrait de l’enseignement secondaire, du bac et du bachotage, des grandes écoles et de leurs classes préparatoires. Au total les projets élaborés à Alger à partir de 1943 sont dans la continuité du Jean Zay de 1936 et font plus qu’annoncer les propositions de la Commission Langevin-Wallon de 1947, dont le caractère novateur est ainsi réduit. Une perspective historique longue permet d’en voir la réalisation différée, jusqu’à la réforme Haby de 1975.
La partie consacrée à l’éducation, plus disparate, montre combien la problématique d’une politique de la jeunesse, alternative à l’enrégimentement par les régimes totalitaires, qui a pris sa source dans les années trente, a été reformulée alors. Elle montre que la procédure de l’agrément par l’etat des mouvements de jeunesse à but éducatif, née sous le Front Populaire, réalisée par Vichy, entérinée par la France libre tout en étant débarrassée de son caractère autoritaire, a été la pierre angulaire des politiques de la jeunesse des années cinquante et soixante. On y trouve aussi l’éternelle question -posée dans le cadre même de la pratique résistante- d’une spécificité de l’organisation et des revendications des jeunes, qui divisa la Résistance.
Au total la matrice résistante expliquerait le relatif consensus des cinquante dernières années tant sur l' »Etat culturel », qui chagrina tant Marc Fumaroli, que sur l’éternel chantier de la réforme de l’enseignement. Séduisante hypothèse, qui suscitera des discussions.
Pour les chercheurs du GERME, il y a là le cadre d’une importante source de réflexion sur la nature même et les raisons d’être des mouvements étudiants, même et y compris si la contribution étudiante à ces débats (à l’exception de la grande figure du lyonnais Gilbert Dru, « celui qui croyait au ciel ») s’est alors trouvée fort limitée. A cet égard, le caractère plus tardif de la réflexion des mouvements étudiants sur ces questions en fait les petits-enfants de la défaite.
Alain Monchablon
Les Cahiers du Germe trimestriel, n° 10, 1999