Avril 2023 Angers. La thèse en mains.
Jean Philippe Legois, l’archiviste, l’historien, l’ami.
Robi Morder
Jean-Philippe Legois venait d’avoir 55 ans. Il nous a quittés lundi 25 mars en début d’après-midi après avoir mené ce combat contre la maladie comme il avait mené tous ses combats, avec courage et opiniâtreté. C’est une perte énorme qui laisse un grand vide pour nous toutes et tous qui, ensemble, nous sommes embarqués dans la folle aventure de faire vivre la recherche, les archives, les mémoires des mouvements étudiants. Durant ces quasiment trente ans, de simples relations nouées autour de points d’intérêts convergents, des liens sont nés de plus en plus forts, de complicité, d’amitié.
Le mouvement étudiant, la mémoire, l’histoire
Jean-Philippe a d’abord été un militant étudiant, participant au mouvement Devaquet alors qu’il était en prépa, puis au syndicalisme étudiant à Paris 1 dans PSA (Pour un syndicalisme autogestionnaire) auquel il consacra un article[1], sans oublier son engagement libertaire. Nous nous sommes croisés, rapidement, il était un des acteurs du mouvement à Tolbiac à l’automne 1989, j’assistais aux AG pour y prendre des notes (j’en ai des dizaines de pages) dans le cadre de mes recherches. Et aussi quand – donnant des cours vers Porte d’Orléans, je passais parfois au retour place de la Sorbonne voir des camarades au café l’Escholier.
La création de la Cité des mémoires étudiantes. De gauche à droite, Jean-Philippe Legois, Robi Morder, Caroline Chalier, Alain Monchablon, en présence des anciens: Nicolas Guelman, Paul Bouchet, Jacques Delpy
Etudiant en histoire, il a consacré son mémoire de maîtrise aux années 68 à la Sorbonne, retravaillé pour être publié 20 ans plus tard aux éditions Syllepse dans la collection Germe – dont il était un des quatre co-directeurs – pour les 50e anniversaire de mai et juin 1968[2].
Quand nous avons fondé le Germe[3], notre première initiative publique fut d’organiser un colloque sur la charte de Grenoble, le 20 mai 1995, au Panthéon. Jean-Philippe était présent dans la salle. A la réunion suivante du Germe, Alain Monchablon nous indiqua que deux personnes qu’il connaissait de Paris 1, associées également au Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social, pouvaient être intéressées, à savoir Jean-Philippe et Claudie Weill. C’est ainsi que Jean-Philippe s’engagea avec nous, et s’engager n’est pas un faible mot. Il s’occupa de nous faire entrer dans l’ère d’internet et d’initier avec Atelier Alternet et Nathalie Raoux le premier site web du Germe. Il prit également la trésorerie au départ vers d’autres horizons professionnels et géographiques de Stéphane Merceron. Et surtout, archiviste de profession, à l’époque municipal, c’est naturellement qu’il s’occupa de suivre les archives étudiantes au sein du Germe,
Les archives et la mémoire au cœur
En 25 ans, le passage d’une veille sur les archives dans le cadre du Germe à l’existence d’une structure spécialisée et professionnelle collectant, traitant, valorisant les archives écrites, iconographiques, orales, ne se seraient pas faites sans Jean-Philippe, qui en fut bien plus que la cheville ouvrière. Bien sûr, à chaque grande étape les décisions d’orientation furent prises après discussion entre Alain, Jean-Philippe, moi-même, et – selon les moments – Caroline Chalier, Marina Marchal puis Ioanna Kasapi, responsables de la Cité, mais le concepteur c’était bien lui. Il y eut d’abord les Journées archives et mémoires étudiantes du Germe de 2000 à la BDIC ‘aujourd’hui La Contemporaine) et 2001 à la Conférence des présidents d’université, et la publication des actes sous sa direction[4] . Puis vint la mission CAARME (Centre d’animation, d’archives, de recherches sur les mouvements étudiants), dont il fut le directeur, constituée par le Germe, l’Université et la ville de Reims en 2004. En même temps était mis en place avec l’AAUNEF le Conservatoires des mémoires étudiantes qu’il a présidé. Tout ceci constitua une préfiguration d’un centre spécialisé aboutissant à la création de la Cité des mémoires étudiantes en 2008. Je reviendrai ultérieurement sur les détails de ces expériences, avec les espoirs, les déconvenues, les succès, sans oublier les lâchetés mais aussi – plus nombreux – l’appui fidèle de véritables soutiens et amis répondant toujours présent quand il le fallait.
Le combat pour les archives, c’est-à-dire la mémoire, il le concevait comme le devoir de conserver, de rendre accessible, dans un souci citoyen de transparence et de transmission du passé qui est toujours porteur d’avenir. C’était le sens de sa participation à nombre de rencontres, de congrès, colloques en France et à l’international, et on citera pour mémoire qu’il a présidé l’Association des archivistes français, puis, toujours exigeant sur le contenu d’un projet citoyen, fonda le Rn2a (Réseau national d’actions des archivistes), pris des responsabilités au Codhos (Collectif des centres d’archives et de documentation en histoire ouvrière et sociale). La liste est loin d’être exhaustive.
Après la soutenance, la « bande des quatre »
L’esprit de 68 contre tous les mandarinats, pour le respect
Je ne sais combien d’heures nous avons passé à deux, trois, quatre mousquetaires, combien de milliers de kilomètres nous avons parcouru, de colloques en congrès, combien de villes, d’entrevues dans les ministères, mairies, archives. Je me souviens de Jean-Philippe cherchant partout – avant la 3 ou la 4 G – un point wi-fi. Question première « Y’a wifi ? ». Se connecter – c’était le critère du choix d’un café près d’une gare ou d’une station de métro. Combien de messages, longs et surtout courts avec systématiquement le soin mis par Jean-Philippe à mettre « Cher » au début, et « amicalement » à la fin, même dans les SMS, par respect pour l’interlocuteur. Il n’était pas homme d’indiscrétion, encore moins colporteur de ragots même envers les « faux amis ». Il y avait beaucoup de pudeur, et entre nous l’amitié qui s’était forgée était réciproquement respectueuse. On ne peut parler de Jean-Philippe sans évoquer Ioanna. En 2015, les trois mousquetaires (Jean-Philippe, Alain et moi-même) trouvèrent leur Dartagnane. Ioanna devenue responsable de la Cité après Marina, cumulait ses qualités d’archiviste avec celles d’historienne, préparant une thèse que nous attendons avec impatience. Coprésidente de la Cité, et coprésidente du Germe, elle est devenue la Dartagnage de Jean-Philippe. Une pensée particulière pour elle et pour le petit Victor…
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, de souvenirs, d’anecdotes. Je tiens à souligner sa profonde humanité. Il pouvait s’emporter, surtout quand il s’agissait de réagir contre la condescendance ou le mépris de celles et ceux qui font sentir qu’ils ont du pouvoir ou qui utilisent une position hiérarchique pour humilier « l’inférieur », Son engagement syndical quand il était fonctionnaire territorial puis au SNASUB-FSU à l’université était fondé sur cette éthique. Je n’ai jamais vu Jean-Philippe – même quand il corrigeait des erreurs, signalait un problème – agir autrement qu’avec bienveillance et même douceur avec celles et ceux qu’il avait sous son autorité – je dirais plutôt responsabilité : stagiaires, services civiques, salariés de la Cité. Tous les témoignages qui nous parviennent ces derniers jours attestent de cette humanité, de l’attention à l’autre, de sa disponibilité. Ce n’est pas un hasard s’il était attaché à poursuivre les traces des « années 68 », mouvement d’en bas, anti-hiérarchique, portant les exigences d’une pédagogie nouvelle, d’une démocratie autogestionnaire[5].
68, archives, mouvement étudiant, mémoire, sa thèse en archivistique soutenue il y a moins d’un an à Angers[6] nous apparaît maintenant comme un testament, un passage de témoin. Puisqu’on parle de patrimoine archivistique et mémoriel, auquel Jean Philippe ajoutait toujours matrimoine, sachons faire fructifier cet héritage. C’est le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre.
Les obsèques auront lieu le jeudi 4 avril 2024. Avec la famille et les proches, nous demandons à celles et ceux qui veulent contribuer en la mémoire de Jean-Philippe au développement de la Cité des mémoires étudiantes, de le faire en versant au Fonds de dotation de la Cité des mémoires étudiantes. Une part de ces dons seront reversés à l’hôpital public et à la recherche sur les tumeurs cérébrales.
Fonds de dotation de la Cité des mémoires étudiantes. Les versements faits sont déductibles pour 66% des impôts (pour les résidents et imposables en France) pour l’année 2024. Chèques à l’ordre de : « Fonds de dotation Cité des mémoires étudiantes ». A envoyer « Cité des mémoires étudiantes », MIE 50, Rue des Tournelles, 75004 Paris Par virement, IBAN du Fonds de dotation CME : FR88 2004 1010 1239 5483 8C03 336
Signature de la convention Université, ville et Germe créant la mission CAARME, Jean-Louis Schneiter, maire de Reims et Robi Morder; Debout, de gauche à droite, Cédric Chevalier(adjoint à la vie étudiante), Thierry Côme (Université de Reims), Karim Lakja, (Ville de Reims), Jean-Philippe Legois. Reims, 14 décembre 2004. Photo Caroline Chalier.
[1] Jean-Philippe Legois, « PSA – Pour un Syndicalisme Autogestionnaire (1982-1991), parenthèse syndicale ou trait d’union », Revue de l’Université, n°19, 2000
[2] Jean-Philippe Legois 33 jours qui ébranlèrent la Sorbonne, Paris, Syllepse, 2018.
[3] L’idée avait été d’abord exprimée dans mon article, « Projet de développement du fonds documentaire sur les organisations et mouvements de jeunesse et perspectives de recherche » publié dans Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 24, 1991. C’est début 1995 que le Germe se constitue avec, Didier Fischer, Stéphane Merceron, Alain Monchablon, Robi Morder et Jean-Yves Sabot.
[4] Jean-Philippe Legois (dir), « Archives et mémoires étudiantes : état des lieux », numéro spécial de La Gazette des archives, n° 193, 2002.]
[5] Jean-Philippe Legois, Alain Monchablon et Robi Morder, Etudiant-e-s en révolution, les années 68, Paris, Syllepse, 2018 ; Jean-Philippe Legois et Jean-Louis Violeau (dir), Institution universitaire et mouvement étudiant : intégration ou rupture ?, Paris, L’Harmattan, 2020 ; Jean-Philippe Legois, Marina Marchal et Robi Morder, Démocratie et citoyennetés étudiantes en France depuis 1968, Paris, Syllepse, 2020; Jean-Philippe Legois, Alain Monchablon et Robi Morder (coord), Cent ans de mouvements étudiants,Paris, Syllepse, 2007. Et il restera à citer nombre de contributions et d’articles.
[6] tJean-Philippe Legois, Les archives orales à l’épreuve de l’histoire et des mémoires des contestations étudiantes des années 1968, thèse en archivistique, sous la direction de Patrice Marcilloux, Université d’Angers, avril 2023. Accesible en ligne.