Élections Crous 2024 : évolutions conjoncturelles ou dynamiques structurelles?

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Affiche Cnous/Crous

Quentin Genelot et Robi Morder[1]

Alors que les élections Crous des 6, 7 et 8 février 2024 ont entraîné un pic de participation qui n’avait pas été connu depuis près de 10 ans (8,77%), elles offrent l’occasion de mesurer les effets des récents changements de la structuration de la représentation étudiante d’autant que pour la première fois, le Cnous a mis en ligne les résultats nationaux Crous par Crous[2].

Contexte 

Les élections étudiantes sont un temps central dans la vie des organisations qui prétendent à la représentation des intérêts étudiants. Elles font partie du processus de renouvellement annuel des rapports de force. La représentativité de chaque organisation étant connue selon leurs résultats au Cnous et au Cneser. Les élus Crous désignés par les élections seront appelés au vote en avril prochain en tant que grands électeurs pour voter pour des listes nationales. De ces résultats – et de ceux des élections Cneser de 2023 – est déterminée la représentativité des organisations étudiantes.

L’année 2023 a vu des changements significatifs chez les organisations étudiantes. En effet, la création de l’Union étudiante en avril 2023 à partir d’un processus d’évolution de l’Alternative et de fusion avec une nouvelle scission de la Tendance majorité nationale (TMN) de l’UNEF a  rebattu les cartes du syndicalisme et de la représentation étudiantes. Si la FAGE avait maintenu et même augmenté sa représentativité aux élections Cneser de juin 2023 avec 6 sièges sur 11, elle apparaît deuxième organisation au vu des résultats cumulés de ces élections de février 2024.

Ces élections marquent également la forte mobilisation de la Cocarde qui réussit à déposer des listes dans 13 Crous, avec des résultats oscillant entre 4 et 8%. Si elle ne parvient pas à obtenir d’élu, notamment car elle est en concurrence avec l’UNI, on voit se constituer un nouveau bloc représentatif proche de la droite extrême et de l’extrême droite.

Résultats

Si on connaît des variations à la baisse ou à la hausse en pourcentage entre décembre 2021 et février 2024, avec le quasi doublement du nombre de votants (on passe de 110000 à presque 200000 exprimés) toutes les organisations progressent en nombre de voix.

Si on en croit les revendications des organisations, la FAGE passe de 44 000 voix à plus de 55 000, l’UNEF de 35 000 à 43 000, et l’Alternative qui avait 22 000 voix, passe en tant qu’Union étudiante à 59 000 voix. Cette dernière revendique 64 élus, et devance par ce décompte la FAGE (60 élus), l’UNEF (38 élus) et l’UNI (11 élus).

Il convient de modérer toutefois ces résultats reconstitués, même si les modifications ne sont pas fondamentales, autrement que dans le symbolique de la première place. Dans la plupart des cas, chacune des organisations est allée devant les électrices et électeurs de façon autonome et identifiable. Il y a 34 circonscriptions électorales.

Les listes « Bouge ton Crous » (soutenues par la FAGE) étaient au nombre de 21 et récoltent 54 283 voix.. Là où elle se présente seule, la FAGE obtient 31,63%. Signalons en plus que dans deux cas,Tours et Limoges, il y a des listes locales qui ne sont pas labellisées « Bouge ton Crous ».

L’Union étudiante présentait 25 listes dont 19 comportant explicitement l’intégralité de l’intitulé « Union étudiante contre la précarité et l’extrême-droite» (on trouve en plus l’Union pirate à Rennes, l’Alternative étudiante à Reims…) Ces listes UE recueillent 50 847 voix. Pour comprendre comment arriver aux plus de 55 000 suffrages revendiqués il faut peut-être chercher dans des résultats des 4 listes unitaires dont elle est partie prenante : Grenoble avec l’UNEF (4788 voix), Amiens avec l’UNEF et Solidaires (1320 voix), Orléans-Tours et Normandie avec Solidaires (2537 voix). A ce compte-là, il faudrait rajouter ces résultats à chacune des organisations. En tous cas, là où elle se présente seule, l’UE obtient 32,34%.

L’UNEF présentait des listes « UNEF et associations étudiantes » dans 27 circonscriptions, dont Bordeaux, récoltant 43 392 voix. Là où elle se présente seule, elle obtient 25,81% des suffrages. La liste UE n’ayant pu, pour des raisons administratives, être validée dans la grosse académie de Versailles, ses voix se sont reportées sur l’UNEF.

Solidaires se présentait sous sa bannière avec 6 listes récoltant 4 488 voix pour 52 179 exprimés, soit 8,60%. Il faut y ajouter la liste commune avec le SELA-CGT au Crous de  Toulouse-Occitanie qui obtient 7% des suffrages avec 837 voix.

L’UNI présente avec 26 listes récolte 20553 voix, soit 11,27% des 182257 exprimés.

La Cocarde totalise 5 816 voix pour 13 listes, soit, pour 100 703 exprimés, soit 5,77% des suffrages, mais aucun siège.

En Corse, les deux listes indépendantistes obtiennent les 7 sièges.

La FSE ne présentait pas de listes, et n’appelait pas à voter.

Les annonces des organisations étudiantes se basent sur les futurs élus revendiqués par chacune d’entre-elles, elles réalisent un comptage précis des élus qui les soutiennent dans le cas des listes de coalition. Il est donc encore possible de voir les rapports de force évoluer pour les élections Cnous d’avril prochain, selon les choix faits parmi les grands électeurs élus sur des listes locales ou communes.

Des changements importants dans les majorités locales…

Les résultats locaux montrent des situations très contrastées selon les Crous avec des majorités en recomposition. La structuration récente de l’Union étudiante lui permet d’augmenter considérablement ses résultats dans un grand nombre de Crous. Elle prend à la fois des voix à la FAGE, comme en Bourgogne Franche-Comté, mais aussi à l’UNEF comme à Lille. Deux résultats qui illustrent des dynamiques différentes. Dans la première, l’organisation locale récemment constituée fait une percée, notamment du fait de son travail à Besançon, tandis que dans l’autre c’est le travail de l’ancienne section UNEF, devenue Union Etudiante Lille, qui paye (même si l’UNEF Tacle, qui subsiste, fait 18,4% des voix). La coexistence de ces deux dynamiques permet à l’Union Étudiante de gagner de nombreux élus. L’Union Étudiante parvient à assurer une domination importante sur certains sites. C’est le cas à La Réunion, Rennes 2, Mulhouse où les autres organisations ne parviennent pas à la concurrencer. C’est l’existence de ces sites majoritaires qui a d’ailleurs auparavant permis à la FAGE d’acquérir une telle représentativité.

A l’inverse, la FAGE perd en représentativité dans des sites dans lesquels elle était pourtant majoritaire auparavant. Elle récolte plus de 50% des voix dans seulement 2 Crous (Nice-Toulon et Amiens), alors que l’Union Étudiante le réalise 6 fois (avec Rennes 2 qui est à 49%). Le cas de Strasbourg est à ce titre éclairant : l’AFGES passe sous les 40%, et perd la majorité absolue. Première en voix, elle fait jeu égal avec l’Union Étudiante en obtenant 3 sièges. Même chose à Reims, où la fédération de la FAGE perd 2 sièges alors que l’Union Etudiante en gagne 1 et devient première organisation.

De son côté, l’UNEF limite les dégâts causés par la scission de sa majorité qu’elle a connue début 2023. Les sections locales qui sont restées gardent ainsi une assise dans un certain nombre de Crous, voire même augmentent leur score. Grâce à une liste d’union locale elle devance l’Union Étudiante à Bordeaux, et gagne un siège avec 32,6% des voix (29,2% pour l’UE). En Lorraine, l’UNEF devance la FAGE avec 45,7% des voix et 4 sièges (39,2% et 3 sièges pour la FAGE). Si l’existence de deux collèges (Nancy et Metz) permettait à la FAGE d’être majoritaire au cours des précédentes élections, la fusion se fera à son désavantage. L’UNEF dispose donc encore d’une assise territoriale suffisante dans certains Crous pour se positionner comme troisième organisation étudiante.

Enfin, l’UNI souffrira de la concurrence de la Cocarde, qui fait des scores importants (entre 4 et 8%) malgré son absence de siège. Certains Crous voient ainsi l’addition droite/extrême-droite (UNI+Cocarde) récolter près de 20% des voix. On peut ainsi citer le Crous d’Aix-Marseille (17,7%), de Nantes (19,2%) ou d’Orléans-Tours (19,3%). A Clermont, la Cocarde dépasse même l’UNI (7,7% contre 5,8%) sans pour autant obtenir de siège. La répartition proportionnelle des sièges à la plus forte moyenne ayant tendance à avantager les listes qui font des scores importants.

… Qui se répercutent au niveau national 

Quelles explications tirer de ces changements ? D’abord, la question des enjeux électoraux, qu’il faudrait comparer avec les élections aux conseils centraux. Face à la technicité de certains enjeux universitaires, les revendications pour les Crous sont bien plus tournées vers des questions sociales, plus accessibles. A cet égard, les revendications de revenu d’autonomie portée par l’Union Étudiante ou l’allocation d’études par l’UNEF sont susceptibles de toucher plus simplement et directement les étudiants. Ces propositions ayant d’ailleurs été reprises avec plusieurs propositions de loi. La FAGE, elle, peut prétendre toucher nombre des bénéficiaires de ses AGORAé, mais le message politique qu’elle souhaite faire passer peut avoir du mal à se diffuser.

D’autres explications peuvent être trouvées. Ce qui avait été un facteur favorable pour la FAGE auparavant – à savoir la mise en avant des associations et fédérations plus que l’organisation – auprès d’une base électorale facilement atteignable par les militants de terrain, est devenue un handicap. Avec une participation plus importante, les sigles nationaux – UNEF, UE, FAGE, Solidaires, etc.  sont des points de repère plus aisés à reconnaître. Les choix ne se font pas toujours sur les programmes, en réalité assez proches. On vote parce qu’on connaît le sigle, ou bien qu’on pense connaître, à tort ou à raison, la proximité politique de telle ou telle organisation avec tel ou tel parti ou courant politique, ou de l’accent mis à lutter contre l’extrême-droite, ce qui apparaît dans la dénomination des listes « Union étudiante contre la précarité et contre l’extrême-droite ».

A cette question des enjeux, s’accompagne celle du mode de scrutin. Les conseils centraux fonctionnent majoritairement avec un scrutin en présentiel, qui renforce l’importance du militantisme sur les sites – militantisme auquel les membres de la FAGE sont très formés avec les associations de proximité. Mais ce qui semble vraiment significatif c’est la différence dans les conditions de constitution des listes. La sectorisation présente dans les conseils centraux, qui vient diviser les scrutins des CFVU par filière, favorise les organisations implantées dans de nombreuses filières[3]. Ainsi, l’existence d’un secteur santé dans les CFVU favorise largement la FAGE qui assure presque toujours la totalité des sièges. Ce sont des “bastions électoraux ” qui désavantagent les syndicats marqués à gauche. C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, dans les UFR de droit et économie, puisque les publics des syndicats étudiants marqués plus à gauche (UNEF, UE, Solidaires…) appartiennent souvent aux sciences humaines (sociologie, littérature etc). Le nombre d’étudiants à trouver joue également, car les listes Crous doivent comporter seulement une quinzaine de personnes, là où ce nombre augmente pour les élections centrales. Si l’hégémonie de la FAGE d’il y a quelques années permettait une majorité à la fois aux élections Crous et aux élections aux conseils centraux, les rapports de force sont désormais beaucoup plus équilibrés. Il pourrait y avoir à terme une bataille entre l’Union Étudiante et la FAGE qui auraient chacune leur conseil de prédilection. Il faut toutefois noter que la FAGE avait déjà perdu en représentativité aux dernières élections Cnous de 2022, avant de rebondir aux élections Cneser de 2023 : la dynamique n’est donc pas tout à fait nouvelle.

Enfin, il faut aussi mettre en avant l’importance du vote des étudiants pour les syndicats marqués à gauche. Si toutes les organisations progressent en termes de participation, elles ne le font pas de la même manière. Cumulées, le nombre de voix de l’UNEF et de l’UE équivaut au double de voix de la FAGE. On pourrait alors y trouver un changement chez les étudiants votants. Face à une précarité – ou pauvreté – étudiante structurelle, et globalement une situation des jeunes perçue comme nettement dégradée, les étudiants pourraient chercher plus de radicalité et donc se reporter vers l’UNEF et l’Union étudiante. La trajectoire de la FAGE, qui depuis au moins un an prend une orientation plus syndicale et souhaite porter des revendications plus globales, est assez révélatrice à ce titre. La crise du Covid, la précarité étudiante accentuée, mais aussi des facteurs extérieurs comme le changement climatique, les menaces de guerre, constituent indubitablement un terreau favorisant ces évolutions.

Ces élections Crous annoncent donc un tournant dans la structuration de la représentation étudiante. Avec l’Union Étudiante – qui emprunte aussi au modèle fédératif de la FAGE – qui paraît achever sa mue, la FAGE a en face d’elle un concurrent sérieux au leadership de la représentation étudiante, d’autant qu’elle n’a plus de concurrence directe sur la représentation associative. En effet, il y a une disparition totale des listes indépendantes auparavant portées par PDE. L’UNEF, elle, ne semble pas encore se diriger vers le déclin que beaucoup lui prévoyaient. Reste alors à savoir si, au-delà de la compétition électorale, ces organisations parviendront à amener les changements structurels qu’elles portent. A l’inverse, si l’UNI et la Cocarde s’annulent sur ce scrutin, il n’est pas impossible que se structure à l’opposé de l’échiquier politique une force de droite/extrême-droite qui gagne en représentativité, le monde étudiant n’étant pas imperméable aux évolutions de la société dans son ensemble. Là encore, les rapports de force peuvent évoluer d’ici les élections Cnous, mais il est certain que les évolutions de la situation étudiante seront à observer avec attention.

1] Quentin Genelot (Germe) est doctorant en sciences politiques à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, il prépare une thèse sur les organisations étudiantes et l’action publique en France. Robi Morder, (Germe) juriste et politiste, chercheur associé au Laboratoire Printemps (UVSQ Paris-Saclay). Nous remercions Nicolas Genevée-Boucheret pour avoir synthétisé les données en un tableau plus explicite, et Paul Dyjak-Verhoigne pour nous avoir fait son retour sur les résultats, ce qui nous a facilité les calculs à partir des données à jour le 9 février.

[2]https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/resultat-des-elections-des-representants-des-etudiants-au-sein-des-crous-par-region-et-nombre-de-sieges-par-liste/. Voir aussi le site https://elections-etu.fr/  dont le classement global des listes sur le modèle gauche/droite est discutable.

[3] Tristan Haute, « Étudier les comportements électoraux des étudiants aux élections universitaires en France : un « vote de filière » ? Le cas des élections 2012-2014 », dans , Jean-Philippe-Legois, Marina Marchal, Robi Morder (coord)  Démocratie et citoyennetés étudiantes depuis 1968, Paris, Syllepse, , collection Germe, 2020

cdg34Pour aller plus loin sur notre site

Tristan Haute « Voter ou non aux élections étudiantes : intérêts et limites d’une enquête par questionnaire localisée »

Tristan Haute « Éléments après les élections aux Crous et Cnous 2016/2017 »

Note Robi Morder sur les résultats Crous/Cnous 2021/2022 :dans les Cahiers du Germe n° 34, 2022,p. 89. (cliquer sur l’image ci-à droite)  http://www.germe-inform.fr/wp-content/uploads/2013/10/Cahiers-du-Germe-34-complet.pdf

« Résultats électoraux 1971-2019, effectifs syndicaux » dans Démocratie et citoyennetés étudiantes depuis 1968, (Jean-Philippe-Legois, Marina Marchal, Robi Morder coord)  Syllepse, 2020 tableau accessible à partir du site du Germe avec rectificatifs :

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