Écrire l’histoire de l’UNEF, entretien Frédérick Genevée, Guillaume Hoibian et Robi Morder

COUV LIVRE UNEFÀ l’occasion de la sortie de l’ouvrage de Frédérick Genevée et de Guillaume Hoibian, Histoire de l’UNEF (1971-2001) du « Renouveau » à la « réunification » les auteurs s’entretiennent avec Robi Morder dans le bulletin Pour l’histoire de l’UNEF! qui vient de paraître,. Le livre, dans la collection Germe, paraîtra en librairie début mars 2024, il peut être commandé dès maintenant auprès des co-éditeurs Arcane 17 et Syllepse. Une soirée de présentation est prévue le 29 février au Maltais rouge, l’ouvrage y sera disponible.

Robi Morder : Je suis heureux de discuter avec vous une fois l’ouvrage achevé, revu, et sous presse. C’est votre œuvre mais aussi le fruit d’une rencontre. On se connaît certes depuis longtemps, comme militants à Nanterre en 1986 pour Guillaume, plutôt ensuite dans la recherche et les archives pour Frédérick. La nouvelle rencontre, c’est celle du croisement où convergent acteurs, recherche, archives – écrites ou orales, ici le collectif Pour l’histoire de l’UNEF, le Germe et la Cité des mémoires étudiantes. PGU 7Du chemin a été fait, en fin de compte à un bon rythme, de la préparation des « Journées archives, recherches et mémoires étudiantes » de novembre 2021 jusqu’à aujourd’hui. On aurait pu en rester à la continuation d’une “reconstitution d’archives dissoutes”, publier des contributions – comme celles parues dans le n° 34 des Cahiers du Germe[1], ou dans votre bulletin[2], publier des actes de la journée. Comme toujours, il y a plusieurs possibles. Alors, comment est venue l’idée de ce livre retraçant l’histoire de l’UNEF issue du Renouveau ?

Guillaume Hoibian : Je veux bien commencer afin de présenter la naissance de ce livre. Cela m’est d’autant plus facile que je n’en suis pas à l’origine. C’est Frédérick qui le premier a proposé d’écrire un livre sur l’histoire de ce syndicat étudiant au sein du collectif Pour l’histoire de l’UNEF. Il m’a contacté pour le faire à deux au tout début de l’année 2022. Moi, j’étais réticent pour des raisons archivistiques, je pensais que nous ne disposions pas assez d’archives même si la collecte avait déjà permis de commencer à constituer un véritable fonds – Je rappelle que jusqu’à présent toute histoire de cette organisation était impossible du fait de la disparition des archives du bureau national en 2001, au moment de l’abandon du siège du 52, rue Pailleron. Mais finalement cela a été une bonne intuition car l’objectif était de réaliser la première synthèse permettant de cerner l’histoire de l’UNEF.Les analyses des archives permettaient déjà d’entrevoir ce qu’a été ce syndicat pendant les trente années de son existence même si, et cela demeure toujours problématique, la quantité d’archives collectées reste insuffisante notamment pour les dernières années. La décision prise, tout est allé très vite. En juin, nous avions le sommaire du livre et nous avons pu commencer durant l’été 2022 la rédaction de chapitres. Au début du printemps2023, le travail de rédaction était terminé et les derniers mois avant le rendu du manuscrit aux éditeurs, en juillet, a été consacré à la relecture et l’harmonisation du contenu des différentes parties de l’ouvrage, avec de très nombreuses et longues séances de lecture à voix haute. Ce travail d’écriture a été rendu très dynamique par la poursuite des collectes d’archives et d’entretiens par le collectif, nous permettant de soulever les difficultés rencontrées auprès d’acteurs et actrices de cette histoire mais aussi de découvrir des archives nous permettant de rectifier ou de compléter notre travail. L’écriture de cette histoire n’a été possible que grâce au travail de collectes  de documents initiées au départ sur le groupe Facebook « C’était l’UNEF » auquel nous avons participé à partir de l’automne 2020 puis, après grâce à celui des animateurs et animatrices du collectif « Pour l’histoire de l’UNEF » créé en mai 2021. Très vite, les premiers versements d’archives à la Cité des mémoires étudiantes ont pu avoir lieu. La réalisation du bulletin du collectif a permis de mettre en évidence la possibilité de réaliser les premières analyses, ce qui a été confirmé par les rencontres organisées par le Germe et la CME à l’automne de la même année et portant, pour la première fois, exclusivement sur l’histoire de cette UNEF.

Frédérick Genevée : Ce que je voudrais ajouter, c’est la mise en évidence de la nature de l’objet qui a rendu possible ce travail. Les personnes qui avaient conservé des archives de l’UNEF, mais aussi de la FRUF et de l’UGE, étaient, pour la plupart, encore de ce monde. On a donc pu constituer un réseau d’anciens et d’anciennes dont certains, pas tous évidemment, avaient conservé des archives alors qu’en histoire, ce n’est pas toujours possible. De plus, ces anciens acteurs, qui ont aujourd’hui entre 45 et 75 ans, sont d’anciens étudiants et la mise en contact via les réseaux sociaux est relativement facile. Pour une grande partie d’entre eux, ils écrivent et communiquent via les outils numériques. Nous avons donc eu une mise en contact très aisée avec des témoins, ce qui a facilité le travail du collectif. Nous avons pu au-delà de la collecte des archives faire des entretiens. Je crois que l’on en a une trentaine et ce n’est pas terminé ! Et même si nous n’avons pas toujours suivi « les règles de l’art », cela fait quand même un beau gisement de données, de réflexions. Et puis, il y a le collectif et sa vingtaine de membres. Ils nous aident et avec eux, sur des groupes de réseaux sociaux, on teste des idées, des analyses. On échange, on identifie des photos, etc. Les réseaux sociaux nous l’ont permis ce qui fait qu’à un moment donné on a pu se dire qu’on pouvait écrire un livre. Enfin, et cela est très important, on a numérisé et mis en ligne, au fur et à mesure de très nombreuses archives, facilitant leur accès et nous permettant ainsi de travailler à nos heures perdues. Nous avons donc bénéficié de l’évolution des technologies numériques. Tous les deux, nous avons des dossiers sur des comptes drive sur lesquels nous avons pu mettre en ligne les archives mais aussi nos textes renforçant notre travail d’écriture en commun. C’est quand même assez impressionnant de voir ce que permet un drive en termes de recherches. Il est possible grâce à son moteur de trouver un terme, une expression, un nom dans des documents, y compris ceux rédigés à la main si ces derniers sont relativement bien écrits.

Robi Morder : Vous êtes des enseignants en histoire et donc aussi des historiens et c’est important de le rappeler. Mais la question est celle du rapport aux sources utilisées. Il y a celles et ceux qui ont écrit, celles et ceux qui ne l’ont pas fait, il y a des silences, des témoins qui parlent et d’autres qui ne parlent pas… et cela nécessite de préciser quelles sont vos sources, même si ce fonds reste encore partiel. Et donc est-ce que cela a pesé dans le choix de faire une histoire nationale, une histoire des orientations, des effectifs… ? Votre travail donne des éléments solides sur l’aspect national et permet d’ouvrir justement sur ce qu’il faudra à présent développer, par exemple l’étude des élus et de leur travail, leurs engagements, la réalité de leur rôle dans les conseils, etc. En comparant avec ce qu’il se passait avec les élus des autres organisations. C’est important de voir les difficultés du métier d’historien, alors que vous avez été des acteurs, vous avez réussi ce travail de mise à distance, d’objectivation et  ça se voit dans le livre. Est-ce que, par moment, vous avez été dérangés, bousculés dans votre travail ? Lorsque j’ai fait mon troisième cycle avec une grande partie traitant de l’UNEF-ID, je me suis aperçu de mes propres erreurs d’appréciation à des moments donnés puisque que j’étais “le nez dans le guidon”, dans les débats, les polémiques, j’étais un acteur pouvant avoir une position déformée des positions prises par d’autres. Avez-vous été confrontés à ce genre de choses ?

Guillaume Hoibian : Concernant la question du regard distancié de l’historien en tant qu’ancien acteur, Fred et moi, on n’a pas souhaité faire une histoire hagiographique, elle était pour nous terminée. Le fait que l’UNEF, dont nous étudions l’histoire, ait disparu a facilité ce travail de mise à distance. Cela a été un atout car il n’y a plus d’enjeux en lien avec l’actualité et donc très peu de pressions extérieures. Mais être des anciens acteurs a aussi permis la compréhension des mots d’ordre, du fonctionnement, de l’atmosphère de telle ou telle période de ce syndicat. Nous avons pu aller plus vite dans l’analyse des documents et peut-être de commettre moins d’erreurs. Sur le fait d’avoir été déstabilisés par l’étude des archives, la mise à distance, il faut noter que Fred et moi connaissions finalement très peu l’histoire de cette organisation à l’époque même où nous militions et ce jusqu’à peu. Écrire sur le sujet a donc été essentiellement une découverte et ce fut le côté enthousiasmant de ce travail. Et je crois qu’on n’a pas eu de craintes ou de réticences à révéler telle ou telle dimension de cette histoire. Cela n’a pas été comme pour l’étude d’autres sujets où il y a de nombreux enjeux de mémoire et en lien avec l’actualité. Ce fut globalement une écriture apaisée. On n’a pas voulu faire une histoire seulement politique de l’UNEF, parce qu’il nous semblait plus intéressant de l’aborder de façon thématique quitte à mettre en évidence les évolutions à l’intérieur de chaque thème.

Frédérick Genevée : Guillaume et moi avons souhaité faire un livre d’histoire, d’historiens mais néanmoins nous sommes d’anciens acteurs. Cela a un avantage, comme le dit Guillaume, lorsqu’on évoque une assemblée générale ou une réunion du bureau national on sait de quoi on parle. On perçoit ce qu’on ne pourrait percevoir à la simple lecture d’archives. On a été formé comme dans beaucoup d’organisations aux codes, parce que souvent les interventions sont codées et il faut avoir les codes pour les comprendre. Donc, c’est un avantage à condition d’avoir la distanciation d’historien par rapport à notre objet. Je pense que cela aura des conséquences mémorielles. Il y a l’histoire et la mémoire. Je pense depuis très longtemps, y compris dans des activités antérieures, que la mémoire ne perdure qu’à une condition c’est que le récit ne soit pas hagiographique. Car s’il l’est, cela va intéresser pendant six mois puis ce travail va sombrer dans l’oubli. On aurait pu faire un beau livre avec de belles photos de manifestations, de réunions, d’archives jouant sur l’affect, cela aurait pu plaire. Mais ce livre aurait vite été rangé dans les rayonnages aux côtés d’ouvrages jamais plus consultés. Or, un ouvrage d’histoire, y compris lorsqu’il est critique, a une longévité beaucoup plus importante permettant paradoxalement d’entretenir la mémoire de l’objet étudié. Et c’est le premier qui peut servir de référence. Sur les choses qui manquent, l’un des grands défis à relever, même si on l’a un peu fait, avec les moyens du bord et grâce aux initiatives du Germe, ce sont les études comparatives. Il faudra à un moment ou un autre comparer cette histoire avec celle, en premier de l’UNEF-US et de l’UNEF-ID, mais aussi avec celle des autres organisations étudiantes. Cependant nous ne disposions que de peu de matières parce qu’il n’y a pas d’autre histoire synthétique des organisations étudiantes. Peut-être que la sortie du livre va déclencher l’envie d’écrire et de permettre d’approfondir ce travail de comparaison en France et à l’international.

Guillaume Hoibian : Pour rebondir sur ce que dit Fred, il y a très peu de travaux sur l’histoire de cette UNEF et globalement, malgré les efforts du Germe, les études de grande ampleur, les thèses notamment, portant sur les syndicats étudiants restent peu nombreuses. On a donc dû faire avec une bibliographie déficiente. En revanche, on a très vite puisé dans des travaux d’histoire sociale, culturelle, de sciences politiques…. qui nous ont permis d’insérer nos réflexions dans des études portant sur le monde étudiant, politique et social de ces trente années de façon un peu plus large. Mais on avait toujours la possibilité, si les archives manquaient ou s’il y avait vraiment des difficultés à les interpréter de demander aux acteurs et actrices des éclaircissements. Il y a eu un va-et-vient permanent lors de l’écriture du livre, une possibilité de croiser les sources et d’éviter de surinterpréter des archives comme des rapports officiels, qui parfois ont tendance à tordre la réalité, en demandant à des acteurs si tel ou tel événement mis en exergue dans tel rapport avait bien été au final un succès ou pas… C’est pour cela que l’ouvrage fait beaucoup référence aux documents utilisés et aux entretiens, parce qu’on a voulu montrer qu’on s’appuyait sur ce fonds, tout en le mettant en valeur afin de susciter éventuellement l’intérêt de chercheurs pour aller plus loin, pour approfondir… Vis-à-vis des acteurs, nous avons refusé de faire lire le livre avant la publication afin d’éviter d’avoir une pression éventuelle. Ce passé a aussi laissé des traces que ce soit un attachement très fort à ces années de jeunesse militante ou au contraire de profonds ressentiments (des tensions, des ruptures ont pu avoir lieu) Les discours que nous avons récoltés ne sont pas toujours apaisés. Mais finalement on a réussi à maintenir le cap d’une écriture distanciée mais osant des analyses qui risquent sans doute de déplaire à certains ou certaines soit parce qu’elles remettent en cause des souvenirs soit parce qu’elles engendreront des désaccords vis à vis de leur contenu.

Robi Morder : Sur l’idée d’absence d’autres histoires, je voudrais rappeler que cela concerne essentiellement cette branche de l’UNEF. Sur la période antérieure à la scission de 1971, nous avons beaucoup de travaux et notamment le livre, L’histoire de l’UNEF, d’Alain Monchablon qui va jusqu’au congrès de Marseille de décembre 1968. Mais il est vrai que beaucoup de travaux portant sur la période qui suit la scission ont pour objet l’UNEF-US et surtout l’UNEF-ID, notamment grâce au cadre de travail réalisé par le Germe. Il faut noter toutefois que beaucoup d’entre eux ont été réalisés par des anciens ou anciennes qui n’étaient pas dans la majorité, mais qui ont peut-être eu moins de mal car ne travaillant pas sur eux-mêmes. Il y a aussi toujours des enjeux à revenir sur l’histoire de cette organisation, comme avec, par exemple, la question de la MNEF qui ressort régulièrement. Et puis pour l’UNEF-ID, il y a des archives et des témoins. Les travaux sont donc plus nombreux mais il y a encore beaucoup de choses à découvrir. Par exemple, il est encore très difficile de connaître les effectifs réels de l’UNEF-ID. Beaucoup d’anciens dirigeants refusent encore t de les révéler. Ce n’est pas facile pour les gens de dire “j’ai annoncé 40 000, en fait, il n’y en avait que 10 000”. Les conditions de travail ne sont pas les mêmes que pour l’UNEF. Nous avons plus d’éléments pour reconstituer l’histoire de cette organisation. Il y a des changements même si le nom reste le même. En effet, a-t-on affaire à la même organisation sur trente ans, avec des changements fréquents de générations ? C’est une question que les chercheurs doivent se poser. Sur le choix du titre, je crois qu’il est intéressant pour les lecteurs de revenir dessus. L’intitulé, “Histoire de l’UNEF” risque de créer quelques confusions. En avez-vous discuté et avez-vous eu des remarques à ce sujet ?

Frédérick Genevée : Non ! Pour le moment, on n’en a pas eu mais je pense qu’on va en avoir à la sortie du livre de la part de personnes qui n’ont pas été adhérentes de cette UNEF là. La justification de ce titre est en lien avec la parole des acteurs de l’UNEF qui ont toujours appelé ainsi leur organisation. Les militants de la seconde branche ont assez vite puis très régulièrement pris le nom d’UNEF-US même s’ils ont toujours désigné l’organisation rivale, d’UNEF-Renouveau. C’est encore plus clair à partir de la naissance de l’UNEF-ID qui porte officiellement ce nom dès 1980. C’est pourquoi nous avons choisi ce titre. En revanche, nous avons exigé de mettre les dates pour périodiser et éviter la confusion avec l’UNEF d’avant 1971 même si la question des ruptures et des continuités est abordée assez régulièrement dans notre livre. En revanche c’est plus compliqué d’étudier les continuités avec l’UNEF d’après 2001. L’élection de Sophie Binet – ancienne militante de l’UNEF à Nantes avant 2001 puis dirigeante nationale de l’UNEF réunifiée – à la tête de la CGT en 2023 nous a poussés à y réfléchir. L’UNEF que nous avons étudiée a-t-elle complètement disparu ? Son héritage semble resurgir ici ou là, à des moments, ponctuellement au sein de l’UNEF actuelle ou dans d’autres organisations étudiantes. Il faudrait étudier la mémoire existante de cette UNEF disparue auprès des jeunes militants et militantes étudiantes.

Guillaume Hoibian : Il y a, en effet, des surprises quand on aperçoit des logos de l’UNEF disparue dans des tracts d’aujourd’hui ou  quand lors d’un entretien télévisé de 2003 apparaît derrière Sophie Binet, militante de l’UNEF à Nantes, une vieille affiche datant de 1993. L’histoire de cette organisation est très mal connue par les militants actuels mais il se pourrait qu’elle soit identifiée à une certaine radicalité et donc revendiquée par certains. En tout cas, cela peut être intéressant d’étudier les traces qu’elle a éventuellement laissées et de voir si ce livre rencontre un écho chez les militants anciens ou actuels de l’UNEF réunifiée ou d’autres organisations étudiantes comme la FAGE ou l’Union étudiante. Sur le choix du titre, nous en avons beaucoup discuté entre nous mais sans aucune pression des éditeurs. Nous l’avons donc choisi librement mais en sachant qu’il y avait un enjeu, qui n’était pas le nôtre, mais qui existait, à nommer cette organisation UNEF et non UNEF-Renouveau ou UNEF-SE, d’autant plus que ce fut l’un des combats de l’UNEF de revendiquer la continuité avec l’UNEF d’avant 1971 et surtout, pendant au moins jusqu’au milieu des années 1980, de dénier à l’autre UNEF son caractère syndical et donc de présenter son nom comme une usurpation. Notre objectif n’est pas de réactiver et encore moins de trancher ce débat, mais d’appeler cette organisation étudiée du nom que lui ont donné ses animateurs. Nous avons pris néanmoins des précautions. La formule : « du “Renouveau” à la “réunification”» placée en-dessous du titre principal permet aux lecteurs de savoir immédiatement de quelle UNEF il s’agit. Les guillemets montrent notre volonté de rappeler ses débats mais de ne pas s’y inscrire. Le but c’est aussi de permettre à celles et ceux qui ont une mémoire de ces périodes terminales de s’y retrouver et d’accepter le recul que nous avons adopté pour rédiger cette histoire. Ensuite, dès notre introduction, nous rappelons l’existence des deux UNEF en disant que l’objectif de ce livre n’est pas de légitimer l’une plutôt que l’autre. Mais le choix de ce titre nous a posé d’autres problèmes notamment celui qui aurait été d’écrire l’histoire d’une organisation sans réussir à l’insérer dans son contexte et en l’isolant du reste des organisations étudiantes. Je crois que nous avons évité cet écueil et finalement beaucoup parlé de l’autre UNEF et des autres organisations étudiantes même si les études comparatives sont à approfondir. Et c’est plutôt une satisfaction ! Donc, on  aura des remarques mais je pense que le contenu de l’ouvrage va vite rassurer celles et ceux qui pourraient imaginer un ouvrage qui s’accaparerait l’histoire de la « grande UNEF » et nierait la complexité des organisations étudiantes de cette époque.

Robi Morder : Il faudra étudier comment ce récit historique qui désenchante parfois un passé qui a soulevé parfois beaucoup de passions est accueilli aujourd’hui. Au Germe, il y a longtemps que nous avons travaillé à diffuser un tel regard qui parfois casse de véritables mythes. Je pense, par exemple, à une mémoire que l’UNEF que vous étudiez a très fortement entretenue à savoir celle de la manifestation place de l’Étoile du 11 novembre 1940 présentée comme organisée par l’UNEF et notamment François Lescure. Les recherches actuelles montrent que cette présentation des choses est fausse[3] et que la réalité fut beaucoup plus complexe. Il en va de même de l’investissement de l’UNEF pendant la guerre d’Algérie qui a longtemps été présenté comme un engagement « naturel », structurant de l’identité de cette organisation. En fait, il fut lent, prudent et a suscité beaucoup de réticences chez les uns et les autres. Nous verrons comment seront accueillies vos analyses de temps forts de l’UNEF qui sont parfois déformés par les mémoires. Nous verrons  aussi comment vos présentations de certaines périodes de crises seront perçues. L’intérêt et le grand apport de votre livre, c’est sa dimension thématique avec des périodes qui sont marquées plus ou moins par tel ou tel thème. C’est ce qui rend cet ouvrage actuel et montre que le syndicalisme notamment étudiant est une réinvention permanente et qu’ on invente finalement peu de choses, c’est le contexte qui change, et surtout les générations. On pense inventer mais on reprend. Peut-être que votre étude mettra ce processus davantage en évidence auprès des militants d’aujourd’hui qui se posent sans doute les mêmes questions que les acteurs de votre livre.

Guillaume Hoibian : Il faut rappeler, pour éviter toute ambiguïté, que nous avons écrit l’histoire d’un syndicat étudiant partie prenante de la nébuleuse communiste comme nous l’appelons. Cela n’est absolument pas caché au contraire mais l’un des enjeux a été de montrer que ce syndicat  a eu une réelle autonomie et de mise à distance du politique. Cela n’a pas empêché les frictions voire de très graves crises mais  nous mettons en évidence la complexité des relations entre le syndical et le politique. Tu parlais de désenchantement du passé engendré par les récits historiques. Ce sera évidemment aussi le cas ici. On tente d’analyser les tensions internes parfois très fortes et on ne présente pas l’histoire d’une UNEF « magnifique ». On retrace autant son essor que ses difficultés. Et n’oublions pas que nous nous appuyons sur un corpus d’archives dont l’analyse ne permet pas de dissiper toutes les zones d’ombre. Et elles restent encore très nombreuses. Il y a encore de quoi faire pour cerner toutes les facettes de l’histoire de  ce syndicat. Je pense notamment à l’action de ce que l’on a appelé l’opposition dans les années 1990. Nous en parlons mais les sources permettant de cerner ses actions, la réalité de sa composition restent bien lacunaires. Sans doute que celles et ceux qui en ont fait partie trouveront que la place qui leur est faite dans notre livre est insuffisante. Il en va de même pour la dernière période qui, de façon très chaotique, tendue, a conduit à la réunification en juin 2001. De façon générale, cette génération de militants des dernières années de l’UNEF reste encore bien silencieuse. Les mémoires de cette période sont encore très douloureuses pour beaucoup.

Robi Morder : C’est peut-être aussi parce que c’est la plus traumatisée, celle qui a vécu la fin…

Frédérick Genevée : Il y a le traumatisme pour certains, pas pour tous d’ailleurs,  et puis il y a la brièveté du temps. Cela fait 21 ans, pour les générations qui ont connu la réunification, c’est plus difficile pour eux. Pour les générations du Renouveau, il y a plus de sérénité.  Il y a une chose qu’on n’a pas voulu faire parce que c’est un livre d’histoire c’est le sempiternel « que sont-ils devenus? » et je pense très important de ne pas l’avoir fait même si on évoque Sophie Binet,. Parce que si on l’avait fait, cela nous aurait empêché de faire de l’histoire et on aurait été dans une analyse téléologique, on aurait inventé une continuité des trajectoires qui n’existe pas. C’est un autre travail – sans doute à faire – que de les analyser et voir en quoi l’engagement dans l’UNEF a pu jouer. Il y a plein de moments où l’UNEF aurait pu disparaître. La continuité sur les 30 ans n’est pas une donnée naturelle. Je pense que 1979-1980 est une période très difficile et les acteurs s’en sont sortis avec cette orientation de la solidarité étudiante. La période 1986-1987 a aussi été très difficile et donc il a fallu un changement d’orientation, de la conception même du syndicalisme pour que l’UNEF ne disparaisse pas. Difficultés renforcées par l’ampleur des problèmes financiers liés à la faillite de la CAEL, cette grande coopérative nationale fondée en 1984. Nous avons donc refusé une vision linéaire afin de montrer que le chemin tracé aurait pu être autre. Il y a eu, durant ces 30 ans, des réinventions de l’UNEF, certes partielles parce que des éléments de continuité ont perduré. Là aussi, il y a encore des pistes de travail.

Robi Morder : De toute façon, vous n’aviez pas le temps de couvrir tous les chantiers possibles mais je trouve que s’intéresser à ce que sont devenus les militants peut être utile, dans un autre travail pris d’un point de vue prosopographique. L’étude comparative se légitime y compris pour remettre en cause des lieux communs : toutes et tous ne sont pas devenus députés, ministres, attachés parlementaires… Par contre, il y a d’autres carrières qui sont finalement plus communes aux parcours des anciens syndicalistes étudiants, FAGE y compris. Il y a un fort investissement dans ce qui ressemble au travail syndical, c’est-à-dire les mains dans le cambouis. C’est vrai dans les services publics ou alors l’insertion dans le syndicalisme professionnel plutôt que vers la vie politique nationale, parlementaire ou ministérielle. Je mets de côté le travail municipal qui est quelque chose qui s’apparente plus au travail syndical parce que cela nécessite des contacts, de la présence, des choses concrètes, bref des « gommes et des crayons ». C’est un travail que nous pourrons faire, en lien avec l’équipe du Maitron. Une autre piste de recherches serait de travailler « l’UNEF vue par ». Dans votre livre, vous travaillez bien la question du réseau dans lequel s’est insérée l’UNEF mais il serait bon de voir quels regards d’autres organisations, les médias, ont porté sur elle, une histoire peut-être plus politique. Comment cette histoire, ces changements de stratégie, d’orientation, mais aussi les crises internes ont été perçus de l’extérieur. Il y a évidemment parfois un véritable fossé avec ce qui a été vécu en interne.

Guillaume Hoibian : Sur les perspectives :  ce serait maintenant d’essayer de voir s’il n’y a pas une possibilité de réfléchir à écrire une histoire davantage au niveau des AGE, des centres universitaires. Il y a déjà des travaux qui portent sur cette échelle comme ceux de Xavier Dubois, de Sylvain Henry ou d’Étienne Bordes[4]… mais il faudrait les multiplier. Notre travail s’est basé beaucoup sur les archives nationales car ce sont celles qui ont été les plus conservées et il est  vrai que maintenant il faudrait qu’on arrive à faire des analyses locales pour étudier l’insertion de cette organisation syndicale dans le milieu local. À cette échelle on aurait peut-être des surprises en termes de contacts, de réseau qui serait un peu différent de celui du national. Mais pour que cela soit possible, le travail de collecte d’archives reste encore d’actualité, une nécessité même si nous voulons poursuivre ces recherches.

Robi Morder : Et d’entretiens aussi ! Sur les études locales, il sera nécessaire de multiplier les sources d’informations, en regardant dans les archives des organisations mais aussi des administrations comme les CROUS, rectorats, etc. Par exemple, lorsque les subventions nationales pour l’UNEF sont supprimées pendant la guerre d’Algérie, les subventions localement demeurent y compris de la part de municipalités ou des œuvres, des CROUS notamment. Lors du premier versement d’archives rassemblées par votre collectif à la CME en 2021, j’avais qualifié la disparition des archives de l’UNEF de « la plus grande catastrophe archivistique du mouvement étudiant ». En deux ans, c’est un beau chemin qui a été parcouru. Toujours est-il, comme l’équipe de la collection Germe l’explique dans l’avant-propos de l’ouvrage, c’est surtout la démonstration qu’une coopération entre acteurs et actrices, archivistes, chercheurs et chercheuses, avec leurs compétences respectives, sur un pied d’égalité, leur permet d’accomplir leurs missions propres. Et puis, pour celles et ceux qui veulent agir au présent, il est toujours utile de donner à connaître et à penser  !

[1]     – Les numéros des Cahiers du Germe sont disponibles en ligne.

[2]     – Les numéros du bulletin Pour l’histoire de l’UNEF ! sont disponibles en ligne

[3]     – Voir le numéro 33 des Cahiers du Germe (novembre 2021) qui consacre un dossier intitulé « 80 ans après le 11 novembre 1940 : les étudiants de France de l’occupation à l’après-guerre ». Il est en ligne ici.

[4]     – Voir notamment :

– Anaïs Gérard, L’UNEF à Lyon, de Mai 68 à la scission de 1971 : histoire politique de l’UNEF à Lyon à la fin des années 1960, mémoire de 3e année d’IEP, IEP de Lyon, 1998

– Sylvain Henry, L’AGEL-UNEF, 1971-1994, aspects de la recomposition du syndicalisme étudiant après la scission de l’UNEF, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, université de Lyon 2, 1999

– Xavier Dubois, L’AGEL-UNEF et la scission de 1971, à l’heure du choix entre syndicat étudiant et mouvement politique, mémoire de master 1 d’histoire contemporaine, université de Lille 3, 2007

– Étienne Bordes, La jeunesse dans le Parti communiste, 1969-1981 : étude de cas, des « rouges » à l’Université, essai de prosopographie d’étudiants communistes toulousains, mémoire de master 1 d’histoire contemporaine, Université Toulouse-Le Mirail, 2009

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