Alain BORREDON. Une jeunesse dans la crise L’Harmattan 1995. Ayant réalisé dans plusieurs académies des entretiens et de sérieuses enquêtes au sein de lycées, auteur de rapports, Alain BORREDON, Docteur en sciences de l’éducation, se penche sur «les nouveaux acteurs lycéens» tels qu’ils apparaissent dans les mouvements des dix dernières années. Notant à juste titre le passage d’un statut «d’acteur rallié» au mouvement étudiant en 1986, à celui «d’acteur autonome» dans le mouvement de 1990, et enfin d’acteur «partenaire» au printemps 1994 (CIP) , les lycéens auraient fait la preuve qu’ils «étaient devenus de nouveaux acteurs sociaux dans la société française». Ils ne constituent pas seulement un «groupe d’intérêt» mais revêtent ponctuellement des traits «relevant de la catégorie sociologique «mouvement social» selon la terminologie d’Alain Touraine».
Si dans ces trois mouvements des «conditions objectives d’expression d’une revendication massive» existent (projet Devaquet, budget, CIP), «l’organisation d’une telle action posait […] de vrais problèmes», et de souligner le «rôle politique de leader» qui ne se limite pas à orienter l’action mais aussi à donner ou dégager «le sens d’un réel parfois confus». Le rôle du «militant» est ainsi défini, mais comment un lycéen devient militant ? Alain Borredon dégage des types d’environnement : 1/ familial et parental, («fils et filles de parents qui «ont fait Mai 68») l’acteur s’inscrivant dans une continuité sociologique, 2/ en «opposition» face à une administration et aux pairs hostiles ce qui nécessite une rupture(mais plus «difficilement de parents en désaccord» ce qui confirme bien que ce qui se transmet de mieux reste les «valeurs» idéologiques des parents). Et du point de vue de l’acteur, son «activité militante est fonction de ses éventuels engagements passés».
Distinction d’avec les mobilisations de 1968 – 1973 c’est le caractère «apolitique» d’un mouvement qui ne remet pas en cause la société, qui ne se lie aux organisations adultes (partis ou syndicats) que de manière «contrainte», utilitaire. Et c’est là que le bât blesse. Car ce n’est pas dans l’opposition «idéologisme/apolitisme» qu’il faut chercher les différences, mais bien dans les relations avec les organisations. Il aurait été intéressant de se pencher sur les stratégies d’organisations (SOS racisme qui constitue la colonne vertébrale du syndicat lycéen «FIDL», les Jeunesses communistes) qui ont conduit en 1990 à l’existence de deux coordinations, d’autant que très souvent les «leaders» ont été «formés» au contact des organisations et aux rapports entre les directions de ces organisations et une base moins encadrée, ce qui là effectivement est une différence avec les mouvements des années 70 (voir Didier Leschi les mouvements lycéens 1968-1973) Maîtrise histoire Paris X, 1986), d’autant qu’il y a moins de militants et beaucoup plus de lycéens et de lycées. Mais n’oublions pas que les courants qui ont crée SOS et la FIDL, ou les Jeunesses communistes ne sont pas nés ces dernières années, et constituent des cadres organisés dans lesquels – même de manière imparfaite – l’histoire, l’expérience, les outils se transmettent, Il n’y a pas ainsi un vide total entre 1973 et 1986. Il y a des mouvements lycéens encore en 1974, 75, 76 (réformes Fontanet et Haby), en 1978 dans la banlieue parisienne avec des mouvements d’occupation communs avec les parents d’élèves, en 1979 dans l’enseignement technique contre «l’alternance Beullac». Par ailleurs, l’UNCAL[1], la Coordination permanente des CET, la Coordination permanente lycéenne, le Syndicat lycéen lié à l’UNEF ID sont des organisations nationales qu’on retrouve jusqu’au début des années 80, et «SOS racisme» joue par rapport au mouvement lycéen de 1986 un peu le rôle «d’école politique» qu’ont joué les «Comités viet-nam lycéens» par rapport aux CAL en mai 68.
Robi Morder.
Les Cahiers du Germe (trimestriel) N° 1 – 4° trim 1996
[1] voir dans Le mouvement social 168 Juillet 1994 spécial «jeunesses au 20e siècle» l’article de Paul Ariès «Requiem pour un syndicalisme lycéen : l’UNCAL à Lyon entre 1973 et 1979».