La grève générale étudiante de 1976 est le mouvement étudiant qui aura duré le plus longtemps, plus de trois mois de fin février à fin mai ; il faudra attendre trente ans, jusqu’au mouvement contre le CPE de 2006, pour connaître d’une mobilisation aussi prolongée. C’est sous la présidence de Giscard d’Estaing, dans le gouvernement de Jacques Chirac, en décembre 1975 que le secrétaire d’Etat aux universités Jean-Pierre Soisson élabore un projet de réforme des deuxièmes cycles universitaires. Le 18 janvier 1976, soit deux jours après sa nomination, la nouvelle secrétaire d’Etat, Alice Saunier-Séité, publie un arrêté de création de nouvelles filières. Ces dernières seront reconnues pour les universités qui auront adapté les contenus aux débouchés professionnels, après examen par des commissions nationales où siégeront des représentants patronaux. De plus, le caractère national des diplômes est menacé et la sélection à l’entrée de la quatrième année (année de la maîtrise) envisagé. A partir de là, pendant plusieurs semaines les organisations étudiantes, principalement les deux UNEF, le MARC (Mouvement d’action et de recherche critique) comme les mouvements politiques non syndiqués, tels la LCR ou « Révolution », font monter la pression : informations, tracts, meetings et AG, rassemblements (comme les « Etats généraux » organisés le 28 février par l’UNEF dite renouveau). Les syndicats universitaires : SNESUP, FEN, SGEN, etc. prennent position contre la réforme, ainsi que la CPU (Conférence des présidents d’universités). Les grèves commencent en région, c’est le cas à Nantes dès janvier, et se généralisent notamment à partir d’une manifestation nationale à la mi-mars à Paris.
On commence à voir l’émergence d’un courant « autonome » dans les manifestations et dans certaines facultés, comme Tolbiac, Voir ce qu’écrit Sébastien Schiffres :« Lorsque la grève débute en mars sous l’impulsion des groupes d’extrême-gauche, l’UNEF tente durant la première semaine de s’y opposer. Pour beaucoup d’étudiants, la réforme du second cycle n’est qu’un prétexte : il s’agit surtout de faire grève pour ne pas travailler. Certains étudiants qui ne se reconnaissent pas dans les groupes d’extrême-gauche commencent alors progressivement à s’organiser de manière autonome. Cette expérience est relatée dans le numéro 2 de Camarades sous la forme d’une discussion entre les membres du CEA de Tolbiac. Ces étudiants racontent ainsi comment est née le CEA : « Il est arrivé un moment où on en a eu marre des querelles entre organisations et de leur blocage. Le fossé s’est surtout creusé à partir du moment où notre discours a commencé à s’élaborer, où on a rencontré des copains de Nanterre qui avaient sorti un tract où ils proposaient d’autres analyses et d’autres objectifs, depuis on a avancé, toujours est-il que ça a été le point de départ. Dès le début c’était anti-organisation parce que le discours des organisations nous paraissait déjà vide. A partir du moment où on a eu une analyse, le fossé s’est encore creusé davantage. On a commencé à se poser en alternative. On a pu imposer un débat, ne serait-ce que parce qu’on représentait une nouvelle voie. Même avant d’aller à Nanterre, il y avait un noyau ; ça se cristallisait à Tolbiac. En effet, on s’apercevait du décalage qui existait entre ceux qui étaient à la tribune et l’ensemble des étudiants. La première chose qu’on a demandé, ce sont des débats de fond, alors qu’en AG on nous imposait des attaques entre la Ligue (16), l’UNEF, et l’AJS (5) ».
Une coordination nationale étudiante se met en place qui se réunira à plusieurs reprises. Un journal est édité, Grève générale des universités. La question de la négociation se pose, et les différents acteurs y apportent des réponses différentes. Le mouvement s’achève sans retrait de la réforme, mais avec de nombreuses modifications. Les deux UNEF se renforcent, le MAS (Mouvement d’action syndicale) est fondé à partir du processus de « dépassement » du MARC, l’extrême-gauche est obligée de se poser la question syndicale et la LCR décide de revenir dans le syndicalisme étudiant après en être sortie en 1968. Le cycle des « années 68 » s’achève dans le mouvement étudiant, la « génération » 76 sera celle qui fera la « réunification » de 1980 et l’UNEF ID.
Quelques publications et références sur le mouvement étudiant de 1976.
A noter qu’à notre connaissance il n’y a pas eu de travaux universitaires spécifiques sur le mouvement de 1976, seuls quelques lignes ou pages dans des mémoires ou des thèses y font référence. L’on a donc ci-dessous essentiellement des éléments rédigés par des acteurs, ou bien « à chaud ».
Productions des acteurs
ANTOINE A., OLLIVIER F., ROCKY P., « Quelques réponses aux camarades de l’ex-tendance B du PSU », in Critique communiste N° 16, juin 1977.
COLMOU Yves et LIENEMANN Pierre-Henri, « La tentative du MAS », Esprit N° 23-24, novembre-décembre 1978.
Grève générale de l’Université, journal du comité national de grève étudiant. 2 numéros parus, avril et mai 1976.
Ligue Communiste Révolutionnaire, Problèmes du mouvement étudiant, Paris 1976.
MAURICE René, préfacé par MANO Jean-Luc, L’UNEF ou le pari étudiant, Paris, Editions Sociales, 1976. Biographie de René Maurice
MONGIN Olivier, « Mouvement étudiant, monde étudiant », in Esprit N° 23-24, novembre-décembre 1978.
PSU, « tendance B », Que faire de l’Université, Paris, Savelli, 1977.
Mémoires d’acteurs qui en traitent :
SAUNIER SEITE Alice, En première ligne. De la communale aux universités, Paris, Plon, 1992.
STORA Benjamin, La dernière génération d’octobre, Paris, Stock, 2003. (note de lecture)
CAMBADELIS Jean-Christophe, Le chuchotement de la vérité, Paris, Plon, 2000 (note de lecture)
DRAY Julien, SOS Génération, Paris, Ramsay, 1987
Textes de bilan syndicaux
UNEF US, Rapport d’activité D. SIFFERT, 63ème congrès, novembre 1976.
UNEF renouveau, Rapport d’activité R.MAURICE, 63ème congrès, mai 1976.
MAS, « bilan de la mobilisation », Les textes du premier congrès du MAS, décembre 1976.
Recherches
CHABAUD Sébastien Les étudiants des années 70 : une génération oubliée ? L’exemple de l’université de Paris 13. Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine sous la direction de Monsieur Philippe Poirrier, Université de Bourgogne, 2001. Voir note de lecture sur notre site.
DOMENC Michel, GILLY Jean-Pierre, Les IUT, ouverture et idéologie, CERF, Paris 1977.
LEGOIS Jean-Philippe, MONCHABLON Alain, MORDER Robi, « Le mouvement étudiant et l’Université, entre réforme et révolution (1962-1976) », in DREYFUS-ARMAND Geneviève et alii (dir), Les années 68, le temps de la contestation, Paris-Bruxelles, Complexe, 2000.
MORDER Robi, Revendications-négociations: débat et pratiques dans le mouvement syndical étudiant en France (1976-1989), DEA de science politique sous la direction de M. Dobry, Paris X Nanterre, 1989. Extraits
MORDER Robi,
chapitre
MORDER Robi, « le Mouvement d’action syndicale », la Revue de l’Université N° 19, 1999.
SCHIFRES Sébastien, La mouvance autonome en France de 1976 à 1984, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine et sociologie politique, (Anne Steiner et Gilles Le Beguec dir.)Université Paris 10 Nanterre, 2004.
TOURAINE Alain (sous la direction de), Luttes étudiantes, Seuil, Paris 1978.