Article publié dans La Revue de l’Université, n° 19, 1999.
Si « l’affaire MNEF » ramène vingt ans en arrière au « congrès de réunification » de l’UNEF-ID, l’on a tendance à ignorer cette organisation en privilégiant l’UNEF-US, l’OCI ou la LCR. Pourtant, il y eût une reflexion et une pratique tentant de synthétiser l’ancien syndicalisme au nouveau mouvement étudiant de l’après 68, se distinguant de la tradition UNEFienne comme des pratiques de l’extrême-gauche étudiante. Beaucoup entre dans l’histoire, mais beaucoup demeure d’actualité[1]….
Aux origines le MARC (Mouvement d’action et de recherche critique):
C’est aux lendemains de mai 68, alors que sévit la crise de l’UNEF, que certains de ses militants estimant qu’il faut saisir la chance des élections universitaires et voir ce qui est possible impulsent des listes sous des noms divers (MARC 200 à nanterre, BASE à sciences po Paris). Ils condamnent « l’irresponsabilité » de la direction UNEF, tout en refusant de suivre le courant « renouveau » à cause de sa « conception corporatiste » et de son manque de démocratie. D’autres équipes partagent cette volonté de participation « conditionnelle » aux élections tout en se situant dans une « voie socialiste », telle « U 70 » à Lyon. Dès janvier 1969 – c’est à dire après le congrès de Marseille du syndicat étudiant qui décide d’appeler au boycott des élections – ces groupes prennent acte de la « pluralité du syndicalisme étudiant » et refusent de « perdre du temps et de l’énergie dans des luttes de tendances stériles au sein de l’UNEF ».[2]
Ils se coordonnent de manière régulière à partir de mai-juin 1969. Une rencontre nationale a lieu à Bierville les 25 et 26 octobre 1969. Des objectifs communs sont précisés, à savoir le projet d’une éducation permanente et critique, une université ouverte aux travailleurs, une autogestion à tous les niveaux, une planification démocratique. Une « conception radicalement neuve du syndicalisme étudiant » est affirmée : « décloisonner l’université du reste de la société en travaillant avec la centrale syndicale qui correspond le mieux à nos aspirations : la CFDT ».. Un bureau national provisoire est mis en place en octobre 1969 qui prépare le I° congrès du MARC les 7 et 8 mars 1970. Les dirigeants étudiants socialistes qui avaient décidé en janvier 1970 d’investir le MARC pour renforcer leur courant dans l’UNEF se retirent de la nouvelle organisation. En revanche, elle attire au cours de sa première année d’existence de nouvelles équipes (MARC 2000 et OPTION 71 à Toulouse, RES à St-Etienne) et de nouvelles sections se créent (Strasbourg, Grenoble, Nancy, Lille). Paralèllement, au cours de ces deux années l’extrême-gauche puis le PSU abandonnent le syndicalisme étudiant et les restes de l’UNEF sont partagés entre UEC et AJS-OCI (qui développent – au délà de leurs différences d’orientation – une conception « traditionnelle » du syndicalisme) Les militants du MARC partagent une orientation autogestionnaire, la volonté de lier dans une perspective stratégique (et pas simplement d’alliance ponctuelle) luttes et mouvements étudiants et ouvriers, avec un projet d’enseignement dans une société nouvelle (en ne se contentant pas de lutter simplement « contre » les réformes gouvernementales). Ceci se concrétise par une référence et des liens concrets avec la CFDT, organisation syndicale qui dans les années 70 apparaît porter un projet syndical anticapitaliste et autogestionnaire du même type. Bien sûr, les deux UNEF font également référence au « mouvement ouvrier » de manière générale (même si dans la pratique les liens plus étroits existent avec la CGT pour l’UNEF renouveau et avec FO et la FEN pour l’UNEF us) mais le MARC – tout en disposant de son autonomie sur son terrain (comme n’importe quelle fédération syndicale) semble mettre en pratique un tel lien et se considère comme la CFDT chez les étudiants. Et quand le programme commun de gouvernement est signé par les partis communiste, socialiste et radical de gauche en février 1972, le MARC adopte une position d’indépendance (comme la CFDT) tout en affirmant un projet socialiste.Le MARC critique le programme commun car il ne remet pas en cause le rôle de reproduction des rapports de domination du système scolaire, ni son isolement vis à vis de la société.
« Le soutien au programme commun de gouvernement suppose une conception du syndicalisme que nous rejetons »[3]. L’UNEF renouveau quant à elle se déclare partie prenante de l’union de la gauche. Si l’UNEF us s’y refuse au nom de l’indépendance syndicale c’est aussi au nom d’une séparation des rôles syndicats/ partis que critique le MARC. Ce dernier refuse certes de se soumettre à un programme élaboré par des partis, mais considère qu’un syndicat peut également débattre d’un projet global de société.
Vers un nouvelle organisation : le mouvement d’action syndicale.
Le MARC ne dépassera pas au cours de son existence quelques centaines d’adhérents et sera, du moins jusque vers 1974/1975, plus une coordination de groupes locaux plus ou moins militants et un groupe de reflexion qu’une organisation en tant que telle. Pendant un temps, certains étudiants socialistes du CERES (dont certains dirigeants de la Mutuelle) en seront membres mais ce courant dans l’ensemble fera le choix de l’UNEF-renouveau. C’est à partir de 1974/1975 que le MARC se transforme de manière plus militante avec une perspective de « dépassement » dans le cadre d’une nouvelle organisation explicitement syndicale. En effet, avec l’entrée de l’AMR[4] dans le PSU[5] en 1974, ce parti qui avait décidé en 1971 d’abandonner le syndicalisme étudiant décide de s’y réinvestir[6]. C’est le MARC qui est évidemment privilégié. Du côté socialiste, notamment après les présidentielles de 1974, le constat d’un fort électorat socialiste estudiantin permet d’envisager la construction d’un syndicat en dehors des deux UNEF. Si le courant « mitterandiste » fait le choix d’un syndicat ouvertement et purement socialiste (le COSEF[7]), les étudiants « rocardiens » développent un projet plus ouvert. C’est dans ces conditions que se forme, avec l’appui de la CFDT, le CNIL, (comité national d’initiative et de liaison), avec le MARC, PSU, ES, JEC dès 1975. Ce comité de liaison doit préparer un congrès de fondation d’une nouvelle organisation en avril 1976. C’est ainsi qu’est fondé le Mouvement d’action syndicale (MAS) lors d’un congrès tenu à la Sorbonne.
Le mouvement du printemps 1976[8] contre la réforme du deuxième cycle, dans lequel les militants du MARC et du PSU sont bien présents, insuffle une dynamique à la nouvelle organisation alors que certains pouvaient craindre les limites d’un seul accord de sommet. Ce sont de nombreux étudiants, issus de la lutte et de comités de grève, qui adhèrent au MAS pour l’action et non pour servir à telle ou telle stratégie politique. Le MAS sera en phase avec les thèmes qui touchent une bonne partie de la jeunesse : le féminisme, la lutte pour un syndicat de soldats, la démocratie dans les luttes, l’intervention pédagogique. En cela, il tranche avec les pratiques syndicales traditionnelles de « délégation de pouvoir » et strictement retranchées dans le domaine universitaire comme il se distingue du « mouvementisme » de l’extrême-gauche. Il entretient des liens privilégiés avec la CFDT, le SGEN évidemment ainsi qu’avec des organisations de la mouvance autogestionnaire (syndicat du cadre de vie, « informations pour les droits du soldat »…). Le MAS édite un journal (« luttes étudiantes »), des bulletins internes de formation et d’information, et projette de créer des services et d’intervenir dans le domaine culturel. Mais évidemment, le nombre d’adhérents comme les capacités « d’appareil » sont plus faibles face aux deux UNEF qui sortent, elles aussi, renforcées par la grève de 1976. « Ni troisième UNEF, ni groupe d’extrême-gauche, nous avons affirmé notre volonté de développer le MAS sur des bases syndicales, anticapitalistes, autogestionnaires »[9]
La LCR dans le MAS
Force dominante dans les mobilisations étudiantes, puisqu’encore en 1976, comme en 1972 et 1973 elle dirige la coordination étudiante contre la réforme du 2° cycle, la LCR n’en connaît pas moins une crise stratégique grave. Ayant abandonné le syndicalisme étudiant et l’UNEF après 1968, elle ne peut rien proposer aux étudiants quand se termine la lutte que… l’adhésion pure et simple. Ce sont ses militants qui animent les AG et les coordinations, mais elle ne dispose pas d’un cadre unitaire large pouvant accueillir les étudiants désireux de « continuer le combat » sans pour autant adhérer à un parti politique. Le PCF et l’OCI de leur côté, bien que minoritaires dans ces mouvements, en récoltent pour autant plus les fruits par le biais de leurs UNEF. En 1975, la LCR avait commencé à changer d’orientation, puisqu’elle entendait promouvoir un « mouvement unitaire et démocratique » permanent, « lié au mouvement ouvrier » sur les questions universitaires sans pour autant revenir à une orientation de construction d’un syndicat. Dans un premier temps, la LCR dénoncera le CNIL comme une simple opération d’appareils et va essayer de créer une coordination permanente des comités de lutte étudiants après la grève. Mais les comités de lutte existant refusent « l’unité avec les réformistes » alors que la LCR veut rassembler en un front unique toutes les forces étudiantes de gauche et d’extrême-gauche. Ainsi, la rencontre des comités de lutte à Lyon fin mai 1976 est un échec, alors que le MAS s’est déjà crée et doté de structures. A l’été 1976, la LCR décide de rentrer dans le MAS estimant qu’il s’agit du meilleur outil pour constuire ce mouvement unitaire et démocratique. Comme elle, le MAS est pour l’autoorganisation, pour la liaison avec le mouvement ouvrier et anticapitaliste. Il n’a pas aux yeux des étudiants radicaux le même passif que l’une ou l’autre des UNEF. L’entrée de la LCR dans le MAS ne va pourtant pas se faire sans problèmes. En effet, la direction du MAS dans un premier temps déclare incompatible l’appartenance aux deux organisations : « La LCR n’a cessé de mettre en cause nos relations privilégiées avec la CFDT au nom d’une réunification syndicale CGT-CFDT abstraite aujourd’hui (…) n’a jamais rejeté la théorie du mouvement politico-revendicatif, alors que le MAS a fait le choix du syndicalisme (…) la LCR réaffirme qu’elle se battra pour le mouvement unitaire et permanent (alors qu’un) syndicat unique empêcherait la confrontation claire de stratégies différentes… »[10]. En vérité, la direction du MAS craint de devenir minoritaire (rappelons qu’il y a environ 1 500 étudiants organisés dans les « comités rouge étudiants » de la LCR, et qu’il n’y a guère plus de 1500 à 2 000 adhérents au MAS en 1976, dont une partie se situe à l’extrême-gauche, comme la plupart des étudiants du PSU). Un accord est trouvé, puisqu’au congrès de Lille (décembre 1976) les étudiants de la LCR rentrent au MAS en ayant négocié au préalable les conditions d’adhésion et le maintien de certains équilibres.
Le changement de majorité de mai 1977
Les accords de sommet ne valent pourtant que si la base accepte de suivre… Alors que la direction de la LCR ne voulait pas devenir majoritaire dans les instances nationales, de peur de voir les équilibres rompus, au sein du MAS et avec la CFDT et le « mouvement ouvrier », la dynamique militante ignore ces impératifs. En effet, au même moment une scission frappe au PSU comme à la LCR. La « tendance B » du PSU et les autogestionnaires de la LCR créent une nouvelle organisation politique (les CCA[11]) et font pression pour qu’une alliance de « gauche » LCR-CCA, majoritaire à la base le soit également au sommet. Cette tactique syndicale s’appuie sur un pronostic politique : la gauche PS-PCF va gagner aux législatives de 1978 et il s’en suivra une mobilisation importante des étudiants commes des travailleurs. Alors que les directions syndicales tenteront de modérer les revendications pour ne pas nuire à un gouvernement « ami », il faut dores et déjà que certains secteurs syndicaux ne respectent pas cette modération. Dès lors, le risque de voir la CFDT rompre avec un MAS réorienté sera contrebalancé par un engagement étudiant dynamique. Il ne faut ni calquer, ni subordonner les rythmes propres des jeunes aux rythmes des organisations adultes estiment t-ils. Aux assises de Grenoble de mai 1977, c’est cette orientation qui triomphe. Il est vrai que l’attitude de la direction PSU – ES (rocardiens) favorise cette radicalisation. Elle a dissous la section de Toulouse et exclu 13 militants de Villetaneuse (dont Julien Dray), qui avaient eu « le tort » de prendre position pour le boycott des élections universitaires. Minoritaire, le BN sortant tient ses assises dans un amphithéâtre voisin et tente de faire survivre un « MAS » maintenu qui survit quelque peu. Toutefois, il est victime de ses divisions internes[12] – d’autant plus exacerbées que la taille du groupe est plus petite[13]. Il n’en demeure plus que des avatars locaux (comme le MAS Nantes) après mars 1978. La CFDT échaudée par l’expérience se retire de tout nouveau lien avec les organisations étudiantes jusqu’en 1982[14], les étudiants du PSU se dispersent et les étudiants socialistes rocardiens adhèrent pour certains à l’UNEF-renouveau, pour d’autres à l’UNEF-US où ils retrouvent d’autres socialistes « mitterandistes » au sein de la « tendance reconstruction syndicale ». Ainsi, la LCR « probablement sans l’avoir voulu tout à fait, pour la première fois se trouve à la tête d’une organisation syndicale »[15]
Le MAS doit surmonter cette scission, et faire face aux conséquences matérielles de la rupture avec la CFDT (locaux, papier, machines….). Le III° congrès a lieu en décembre 1977, le journal sort, des circulaires également. Mais certaines divergences anciennes éclatent. La LCR maintient son refus des élections universitaires, alors que la minorité autogestionnaire préconise la présentation de listes pour les conseils d’université et d’UER. Mais ces différenciations apparaissent plutôt comme des nuances, la majorité expliquant que le boycott n’est pas un principe mais une tactique. Pendant l’année 1977/1978 le MAS est présent dans les luttes d’IUT, de médecine, d’archi. A l’occasion des législatives de mars 1978, il prend position pour battre la droite sans consignes plus précises. L’UNEF-renouveau prend une position similaire, mais en appelant à voter pour les candidats de l’union de la gauche, tandis que l’UNEF-us s’en tient à une stricte position de neutralité.
du MAS-US à l’unification avec l’UNEF-US
L’échec de la gauche aux élections législatives sonne le glas du projet porté par le MAS après 1977. Il n’y aura pas de phénomène de type « front populaire » avec une mobilisation d’en bas appuyant des propositions de changement à l’université. L’heure est donc à la construction d’un outil syndical de manière plus classique. Les militants de la LCR qui étaient d’une sensibilité plus autogestionnaire laissent la place à d’autres sensibilités. Julien Dray, nouveau secrétaire général du MAS, va donner une impulsion qui va a la fois renforcer organisationnellement le syndicat mais lui faire perdre une partie de son originalité. En effet, d’un côté on abandonne un certain amateurisme et des campagnes syndicales centrales vont rythmer l’action et permettre de consolider l’organisation par des thèmes communs. Après avoir réussi une petite percée aux élections au CROUS de 1978[16], les élections à la MNEF de 1979 permettent le retour de ce courant du mouvement étudiant dans la mutuelle au terme d’un combat mêlant pression et négociations. Le MAS obtient deux sièges au Conseil d’administration, en la personne de Julien Dray et de Laurent Zappi.
Mais d’un autre côté, la référence au syndicalisme anticapitaliste et autogestionnaire est abandonnée et l’orientation ressemble de plus en plus à celle de l’UNEF-US : refus de la participation érigée en principe, appels incantatoires à la grève générale, priorité mise sur le développement de l’organisation en tant que telle négligeant parfois des collectifs unitaires plus larges, appels à l’unité mais dénonciations de l’UNEF-renouveau… Bien évidemment, la différenciation des pratiques militantes apparaît sur le terrain, les « cultures politiques » et « habitus militants » des « lambertistes » de l’UNEF-US se distinguent bien de celles des militants du MAS. Disposant de toutes façons d’un appareil bien plus faible, il continue de s’appuyer sur « l’auto-organisation » lors de luttes comme à promouvoir des comites de mobilisation plus larges sur des thèmes précis (avortement/contraception, étudiants étrangers…).
Paralèllement à cette évolution de la majorité du syndicat, un rapprochement se dessine entre l’OCI et la LCR qui ont entamé alors des pourparlers d’unification[17]. Tout concourt donc à la perspective d’une unification MAS/UNEF-US.
La minorité autogestionnaire du MAS refuse ce qu’elle considère être comme une dérive et réclame un retour aux sources. Elle s’insurge contre une unité privilégiée avec l’UNEF-US et au nom de la réunification totale (notamment avec l’UNEF-renouveau) s’oppose énergiquement à une fusion partielle avec l’UNEF-US. Au IV° congrès (Tours, mai 1979) elle se constitue en « tendance syndicaliste autogestionnaire » sur la base d’un texte de référence[18]. Elle obtient 20% des voix à la grande surprise, y compris de ses animateurs. Dès lors, les rocardiens qui reviennent dans le MAS s’intègrent dans cette tendance aux côtés des militants des CCA. D’abord il s’agit de quelques individus, puis de groupes qu’ils dirigent comme l’UNEF-renouveau de l’IEP de Paris ou le MAS autonome de Nantes, sans oublier les militants issus de la « coordination permanente lycéenne », syndicat autogestionnaire dans lesquels cohabitent depuis plus d’un an lycéens des CCA, rocardiens, psu, lcr, etc… La TSA appuie la perspective d’une réunification, même partielle, même avec l’UNEF-US, à la condition qu’il y ait des comités de base pour préparer un congrès d’unité et que le MAS y défende une orientation autogestionnaire. Cette évolution de la minorité du MAS sur la question de l’unité s’explique par divers facteurs. Puisque la majorité du MAS a adopté une orientation identique à celle de l’UNEF-US, autant être minorité d’un gros syndicat que d’un petit et avoir un cadre de débat plus large que le simple tête à tête d’extrême-gauche LCR/CCA. D’autre part, les rocardiens, présents également dans l’UNEF-US, tout comme les mitterandistes poussent à une unification permettant de disposer à l’université d’un contrepoids à l’UNEF-renouveau.
D’un autre côté, la majorité syndicale s’hétérogénéise. D’un côté, l’OCI provoque une scission dans la LCR, scission qui touche son secteur étudiant. Ainsi, sur deux fleurons étudiants – Caen et Tours – cette dernière ville quitte la majorité LCR. A l’intérieur de la majorité du MAS, des militants LCR ou non, sont plutôt réticents à une fusion avec une UNEF US aux pratiques (parfois violentes) qu’ils rencontrent sur le terrain.
C’est dans ces conditions que l’UNEF-US réussit à imposer son rythme et son calendrier au MAS. C’est le congrès de réunification des 3, 4 et 5 mai 1980 qui voit naître l’UNEF-UD et disparaître le MAS. Ainsi, le MAS n’aura pas eu le temps de capitaliser la place qu’il occupait encore dans les coordinations IUT de février 1980, ni dans la grève des écoles d’architecture ou dans la vague de grèves qui déferle pour l’inscription des étudiants étrangers. Quant aux élections aux CROUS de 1980 qui auraient pu renforcer la position du MAS dans une fusion ultérieure, elles arrivent après la formation de l’UNEF-ID.
Conclusion : que reste t’il de l’héritage du MAS ?
D’une époque ou le faible nombre de militants syndicaux donne plus de poids aux stratégies et tactiques des organisations politiques, il ne faudrait pas conclure que le syndicalisme étudiant se résumait à cela. Il y avait – et il y a – autonomie des étudiants vis à vis de leurs propres partis. D’ailleurs, la plupart des dirigeants syndicaux étudiants ont quitté leurs organisations politiques pour en rejoindre d’autres sur la base de leur expérience syndicale.
L’UNEF-ID n’a ainsi pas été que la suite d’une UNEF-US qui aurait avalé, digéré et réduit à néant un concurrent potentiel. En effet, le MAS apporte à la nouvelle organisation – malgré les trajectoires diversifiées de ses courants et membres[19] – une des nouveautés de l’après mai 68 : l’auto-organisation. La « charte de réunification » signée au préalable par tous les courants de l’UNEF-US et du MAS dispose en effet que « quand vient l’heure de l’action, le rôle du syndicat est de promouvoir l’autoorganisation », ce qui est une nouveauté pour la tradition UNEFienne. Il faudra six ans pour que le texte passe dans la culture militante, avec la coordination contre la réforme Devaquet. Quant à une dimension autogestionnaire, impliquant de ne pas se contenter d’un syndicalisme du refus, petit à petit elle gagnera l’ensemble du mouvement étudiant. La négociation, la mise en avant de revendications et de projets en positif, la participation aux conseils, les revendications et préoccupations pédagogiques sont désormais dans le patrimoine commun du mouvement étudiant. Aux clivages anciens succèdent désormais d’autres clivages : comment participer, comment négocier, quelles revendications… Les termes ont changé : à autogestion succède « économie sociale », « citoyenneté », « démocratie directe », il conviendra donc d’en revenir au contenu.
Robi Morder
Publié dans La Revue de l’Université, n° 19, 1999.
[1]Peu de sources sont accessibles, et j’ai du puiser dans mes archives personnelles et dans celles des JCR… comme dans ma mémoire, en vérifiant les documents. Il convient par honnêteté élémentaire de rappeler que j’ai été au BN du MAS de 1979 puis à celui de l’UNEF-ID après 1980 jusqu’en 1984 en tant que représentant de la tendance autogestionnaire.
[2]Voir Robi Morder « 1971, la scission de l’UNEF » et « l’UNEF et la participation étudiante » dans les N° x et y de la Revue de l’Université
[3]Conseil national du MARC 14 janvier 1973
[4] Alliance marxiste révolutionnaire. Groupe d’origine trotskyste mais se réclamant de l’autogestion et d’une conception critique du léninisme.
[5] Michel Rocard venait de quitter le PSU pour rejoindre le parti socialiste. Dans la gauche CFDT, les comités de soldats, les mouvements lycéens et étudiants le côte à côte des militants PSU et LCR permet d’envisager une fusion de ces deux organisations. C’est en tous cas cette perspective qui explique l’entrée de l’AMR qui espère ainsi participer à la formation d’un grand parti révolutionnaire pour l’autogestion.
[6] Voir le dossier dans Tribune socialiste 30 novembre 1975, avec les signatures de Pascal Doriva, Geneviève Petiot, Charles Najman, Joël Roman…
[7] Comité d’organisation pour un syndicat des étudiants de France. On y retrouve Pascal Beau, Jean-Marie Le Guen et nombre de dirigeants de la MNEF.
[8] Voir Alain Touraine et al. « Luttes étudiantes », Le Seuil 1978.
[9] Bilan du premier congrès du MAS – décembre 1976
[10] Déclaration du conseil national du MAS – 2 et 3 octobre 1976.
[11] Comités communistes pour l’autogestion, crées les 7 et 8 mai 1977, peu avant le deuxième congrès du MAS.
[12] Par exemple, on trouve deux « N° 16 » du bulletin de liaison, le second annulant le premier qui aurait été édité par des non mandatés. Le conflit semble opposer des étudiants socialistes et des ESU qui cohabitent pour peu de temps.
[13] 300 cartes en 1978, ce qui est révélé en interne par des militants qui s’étonnent qu’en quelques heures le nombre de cartes déclarées passe à 780…
[14] En 1982, elle soutient PSA. Voir l’article de JP Legois.
[15]P. Boggio – Le Monde 18 mai 1977.
[16] 14,5% dans les CROUS où il se présente. Notons des résultats comme ceux de Caen (23,6%), Tours (37%), Tolbiac (29%), Panthéon (40%) Dauphine (45%)
[17] En réalité, l’OCI réussit la manoeuvre visant à affaiblir la LCR en provoquant une scission internationale dans ses rangs.
[18] Ce texte aura une postérité. Il servira, enrichi, comme plate-forme de la TSARS dans ‘l’UNEF ID en 1982 et de manière plus développée comme programme syndical de la TEMAS (« tendance des étudiants pour une majorité d’action syndicale » alliant LCR et poperenistes) au congrès de l’UNEF ID de 1989.
[19] Au sein de ‘l’UNEFID la LCR animera la tendance « luttes étudiantes action syndicale », et les CCA la tendance « syndicaliste autogestionnaire-reconstruction syndicale ». Ces deux tendances fusionnent en 1984. Les rocardiens sont dans la tendance socialiste « pour l’union syndicale », rejoints par Julien Dray et ses amis en 1982. En 1986, la majorité de l’UNEF ID rejoint le parti socialiste… On est alors bien loin de l’orientation de l’UNEF-US et du « syndicalisme du refus » puisque l’UNEF ID participe aux élections, négocie, revendique une allocation d’études et fait des propositions de réforme tout en acceptant l’autoorganisation… On n’est finalement assez près de l’orientation du MARC.