lecture: Sébastien Chabaud, Les étudiants des années 70 : une génération oubliée ? L’exemple de l’université de Paris 13

CHABAUD Sébastien Les étudiants des années 70 : une génération oubliée ? L’exemple de l’université de Paris 13. Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine  sous la direction de Monsieur Philippe Poirrier, Université de Bourgogne, 2001. Génération MNEF ?, comme «génération morale» pour le mouvement de 1986, ou «génération Mitterrand», le terme de «génération» apparaît de manière récurrente dans les médias, et le plus souvent de manière abusive note à juste titre Sébastien Chabaud, tout comme il apprécie de façon critique la manière dont Jean-Christophe Cambadélis construit «sa» génération dans Les chuchotements de la vérité.[1] Néanmoins, ce mémoire – partant du constat que «les années 1969 à 1981 n’ont pas droit au chapitre de l’historiographie des mouvements étudiants» – va partir du présupposé (et conclure) qu’il y a bien une génération «1976» distincte de celle de 1968 comme de celle de 1986. La question est même posée d’un « trait d’union musical », avec une transition de la « crise du rock and roll » vers le « mouvement punk ».

Sebastien Chabaud s’oppose dès lors à l’interprétation de Laurent Joffrin qui englobe ceux de 1976 dans la génération de 68[2]. Et l’auteur d’expliquer : «les étudiants qui participent aux mouvements de 1976 ne font donc plus partie de «l’après 68» puisqu’ils font référence au passé».

La recherche, dans le cadre d’un programme ERASMUS, s’appuie sur quatre fonds d’archives localisés à l’IIH d’Amsterdam[3], dont le plus important est celui de Michel Renard, qui a été un dirigeant de l’Union des étudiants communistes et de l’UNEF renouveau à Villetaneuse (Paris XIII) de 1974 à 1979[4]. Des entretiens réalisés avec Michel Renard, Marcel Jozefowicz (Président de Paris XIII de 1973 à 1978) ont complété ces archives. Mais c’est sans doute – avec évidemment le temps court consacré à une maîtrise – de là qu’émanent une partie des faiblesses. En effet l’auteur (et il en a convenu lui même lors de sa soutenance en présentant de manière critique son propre travail) a été dans une certaine mesure prisonnier d’archives avec lesquelles il n’a pas pris les distances nécessaires. Ceci explique – malgré une prudente «relativisation» – l’importance accordée à «l’affaire Soljenitsyne» et à l’influence que cette affaire aurait eue sur les étudiants. En réalité, plus que Soljenitsyne, les crises que va connaître la mouvance UEC et PCF va provenir soit bien avant, de l’occupation de la Tchécoslovaquie (1968), comme plus tard de l’Afghanistan (1979), et surtout de la rupture de l’union de la gauche en 1977. Par contre, que des militants responsables, comme Renard, consacrent certaines affaires idéologiques de l’attention (ne serait-ce que dans la polémique avec les «adversaires») est logique, ce qui explique qu’on trouve dans ses archives de nombreuses pièces consacrées à ce sujet. Or, le centre d’intérêt d’un dirigeant n’est pas celui des militants, et encore moins de la majorité des étudiants. De même, le centre d’intérêt des rubriques politique ou universitaire de la presse quotidienne ou hebdomadaire (la crise de l’UEC en 1979, dont Michel Renard est un des principaux acteurs) n’est pas forcément celui des étudiants en général, ni même de toutes les forces politiques. Par contre, l’invasion de l’Afghanistan, la rupture de l’Union de la gauche, oui.

Si le mémoire dans son contenu est plus nuancé,  ses titres et sous-titres révèlent une hésitation : «la bataille de la presse et des étudiants»,  ne concerne qu’une minorité d’étudiants lecteurs.

Un contexte idéologique (crise du communisme), une situation internationale (les crimes de Pol Pot au Cambodge, l’Afghanistan), il faut enfin une troisième condition à l’existence de cette génération : un évènement fondateur. C’est, nous dit Sébastien Chabaud,  la grève contre la réforme du 2° cycle du printemps 1976 qui fonde une génération particulière dans la période du septennat Giscardien. L’auteur va donc comparer d’un côté 1968 et 1976, en en dégageant points communs et spécificités, puis 1976 et 1986. Nous n’entrerons pas ici dans le détail du mémoire. Certes, il y a des continuités comme il y a des spécificités. Mais dire «révolutionnaires» en 68 et «utilitaires» en 76 en constatant qu’en 68 les étudiants veulent transformer l’université contre l’archaïsme alors qu’en 1976 les étudiants veulent conserver l’université contre les réformes gouvernementales est assez hâtif. Il ne faut pas se fier au vocabulaire des tracts, mêmes s’ils ont de l’importance, pour déterminer ce que pensent ou veulent les étudiants. Ce ne sont pas «les» étudiants qui écrivent les tracts, mais certains d’entre eux. Ce sont les stratégies et tactiques des militants et des groupes qui apparaissent ainsi, et ce que les militants peuvent imaginer que pensent les étudiants. De plus, si certains thèmes ne sont plus abordés, ce n’est pas parce qu’il y a des régressions, mais qu’en partie les questions ont été soit résolues, soit se posent différemment. Ce n’est pas parce que la «révolution sexuelle» s’exprime par journaux, revues, slogans et reportages que les pratiques sont moins traditionnelles. Dans les «années 68», on se marie plus (y compris chez les militants) que dans la fin des années 1970, pourtant plus «sages» quant aux formes d’expression publiques. Evidemment, en 1976, la crise économique et le chômage apparaissent plus souvent qu’en 68 comme thèmes, dans les tracts, les mots d’ordre. En conclure que la grève de 1976 est moins opposée à la sélection que 1968 – au prétexte que cela apparaît moins dans les tracts et textes du fonds Renard – est quelque peu hâtif. S’il y a bien une constante – avec des variations – dans les mobilisations étudiantes tant nationales que locales ou sectorielles (médecine par exemple), c’est bien l’opposition proclamée à la sélection.

Nous retombons donc sur la question des générations politiques et des générations étudiantes. D’un côté, 1976 est une mobilisation particulière, longue (entre un et deux mois de grève selon les universités) qui touche plusieurs centaines de milliers d’étudiants. Ceux de premier cycle ont déjà connu la grève lycéenne contre la Loi Debré (1973), les plus anciens ont connu mai 68 et la rentrée, notamment parmi les dirigeants, au milieu ce sont des étudiants qui ont connu – jeunes étudiants – la grève contre les DEUG de 1973. Il n’est donc pas certain que 1976 soit le premier grand évènement (grève) auquel ces étudiants sont exposés. Par contre, 1976 va marquer des militants déjà engagés depuis longtemps. Des dirigeants comme Michel Renard, Julien Dray, Marc Rozenblat, Jean-Christophe Cambadélis, Charles Najman, militent depuis longtemps, et sont déjà dirigeants de l’UEC, les deux UNEF, de la LCR, AMR – PSU, MAS, quand ils abordent la grève de 1976. Ces militants sont bien de la génération des années 68, mais, effectivement, 1976 est pour eux un tournant, car ils doivent faire le «tri» dans l’héritage de ce qui demeure opératoire et ce qui devient à leurs yeux obsolète dans l’action. Encore faut-il noter que chacun le fait à sa façon, en fonction de son histoire, de son implantation, de ses orientations et intérêts C’est dans cette reconfiguration programmatique puis organisationnelle (la «réunification» et la création de l’UNEF-ID, comme l’évolution de l’UEC) qu’est également reconfiguré le répertoire d’action collective. Est-ce que cela suffit à faire une génération étudiante, ou bien un groupe restreint de quelques centaines de personnes à expérience commune? Là est la question. Par contre, 1968 comme 1986 sont plus que des mobilisations étudiantes. Si 1968 marque autant, c’est qu’il s’agit d’abord d’une crise sociale, politique d’ensemble. Le discours révolutionnaire s’explique par une situation révolutionnaire, ou presque. Ce qui n’est pas le cas en 1986. Toutefois, cette lutte contre la Loi Devaquet marque les étudiants qui y participent, car 1986 devient une crise politique largement au délà de l’Université. 1976 demeure dans l’Université. Quant aux effets politiques – du moins électoraux – de ces mobilisations, je ne crois pas que la grève étudiante de 1976 ait fait basculer le vote de nombreux étudiants aux législatives de 1978[5]. Par contre 1986 a sans aucun doute influé sur le choix aux élections de 1988, d’autant que le poids étudiant était plus important (près de 2 millions contre moins d’un million dix ans plus tôt).

Ce mémoire a le mérite, non seulement de participer de nos discussions sur les générations étudiantes, mais aussi de contribuer à l’étude de ces années 70 effectivement peu traitées.

Robi Morder

Les Cahiers du GERME trimestriel n° 20 – 4°  trimestre 2001



[1] Voir notre note de lecture « trois livres pour un enterrement », Cahiers du Germe trimestriels,  N° 15/16, 2000.

[2] Dans notre contribution au colloque IHTP de1998, nous intégrons 1976 comme fin des « années 68 » estudiantines. Voir Legois – Monchablon – Morder dans Les années 68, le temps de la contestation, Complexe 2001.

[3] Il s’agit des fonds Michel Renard, documentation France, Brieuc-Yves Cadat (sur le MAS et la fusion avec l’UNEF-US en 1980), Bras-nus (tracts et journaux de 68).

[4] Voir la présentation de ce fonds faite par Jean-Philippe Legois dans nos Cahiers N°6. 1998.

[5] Mais le résultat des élections de 1978 précipite les tensions au sein du PCF, et la crise de l’UEC, plus que « l’affaire Soljenitsyne » qui ne s’avérera « révélatrice » pour ces dissidents « qu’après-coup ».

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