MUSSELIN, Christine, Les configurations universitaires, analyse comparative et longitudinale de l’articulation entre l’Etat, les universités et les universitaires, mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches, sous la direction de Catherine Paradeise, Université de Paris 10, 2000, 359 p. + annexes. Tout au long de plus de trois cent pages, Christine Musselin s’efforce de préciser le fil conducteur de quinze ans de recherches sur les universités. Retours en arrière, résultats actuels et projets se présentent comme les moments d’un parcours. Un objet identique, des angles d’analyse différents, des remises en cause théoriques, un ton critique, pas d’ennui en perspective pour le lecteur mais une vraie difficulté à présenter en une page le contenu de ce travail. Le mémoire de Christine Musselin est découpé en quatre parties : la première présente les résultats des premières recherches et de plus récentes ; la seconde porte sur la notion de « configuration universitaire », la définit et en explique les contours ; la troisième, plus historique, tente de mettre en évidence les aspects successifs de la configuration universitaire et la dernière s’attache à présenter les travaux en cours sur le marché du travail universitaire.
Dans la première partie de son travail, Christine Musselin revient sur ses méthodes de recherche et ses options théoriques. Nourries de sociologie des organisations, ses premières études, menées en collaboration d’Erhard Friedberg, se composent d’une approche comparative du fonctionnement des universités françaises et allemandes. « Il s’agissait d’étudier ces universités en tant qu’organisations en s’intéressant plus particulièrement aux activités qui nécessitent a priori un minimum de coopération et d’action collective entre les membres d’une même université. » (p.10) A partir de ces enquêtes, l’auteur rappelle la spécificité organisationnelle des universités. Elles peuvent être définies comme des « anarchies organisées » mais ne mettent pas œuvre le modèle de décision y étant généralement associé (Garbage can model – modèle de la poubelle). Les qualifier d’ « anarchie organisé » conduit à l’étude des caractéristiques d’un tel modèle. Ce dernier en comprendrait trois : « la multiplicité des objectifs et des missions, la « molesse » de leurs « processus de production » et la participation fluctuante de leurs membres. Il semble exister une « faible dépendance fonctionnelle » entre les différentes activités des universités, en particulier celles relevant de la recherche et de l’enseignement. Cela a plusieurs conséquences : d’une part, l’absence de coordination entre elles et de visée programmatique et, d’autre part, la difficulté à identifier les technologies mobilisées et les productions (savoirs et activités de recherche). Par contre, l’auteur repère des mécanismes décisionnels réguliers, stables et parfaitement identifiables » (p.16), disqualifiant ainsi la référence au modèle de la poubelle. Le fonctionnement des universités induit des formes de prise de décision que Christine Musselin s’attache à mettre en évidence. Il existerait des « structures formelles » (règles, procédures, découpages territoriaux) « qui prévoient et prescrivent explicitement (ce qui ne veut pas dire de manière complète) l’allocation des tâches et des fonctions, les lieux et les modalités d’exercice de la coordination, les attributions hiérarchiques et la répartition de l’autorité. » (p.18) Elle pense, en particulier, aux laboratoires, aux départements, aux UFR, etc., qui sont présentés comme étant des formes peu contraignantes mais nécessaires à « l’action collective ». La coordination du fonctionnement de l’université se réaliserait à deux niveaux : le niveau hiérarchique et le niveau délibératif. « Cette valorisation de l’auto-gouvernement des universitaires par eux-mêmes et en assemblées n’est pas un phénomène récent, mais, s’il n’a jamais été un exercice aisé, l’évolution contemporaine des universités l’a rendu de plus en plus complexe et difficile. » (p.26) De tels constats conduisent l’auteur à mettre en évidence, à partir d’une comparaison France-Allemagne- Etats-Unis, les limites d’une approche strictement organisationnelle de l’université. Elle s’intéresse alors au pilotage de l’enseignement supérieur dans les trois pays et note l’existence de « modèles nationaux ». Ainsi, en France (avant l’introduction des contrats quadriennaux), « l’orientation des structures relationnelles vers la profession, la prédominance des logiques disciplinaires au sein du ministère, les concours nationaux qui limitent l’intervention des profanes et le recours aux incitations pour encourager des innovations, révèlent une certaine dépendance de la tutelle française à l’égard des intérêts des universitaires. A contrario, en Allemagne, les décisions prises par les ministères sans s’appuyer sur l’avis d’experts, les négociations au cas par cas entre la tutelle et les présidents d’universités, témoignent d’une certaine autonomie du ministère vis-à-vis des intérêts des disciplines ». (p.59) C’est à partir de tels résultats que Christine Musselin développe la notion de « configuration universitaire » dans la seconde partie de son habilitation.
Pour ce faire, elle rappelle que de nombreuses analyses se sont attachées à étudier séparément les « trois mondes » que sont les universitaires, les universités et les modèles nationaux et propose de les dépasser. Qu’est-ce qu’une configuration universitaire ? « Celle-ci désigne le cadre au sein duquel s’inscrivent, prennent sens et se répondent, le type de gouvernement développé par les établissements, le style de pilotage adopté par la tutelle et les modes de régulations internes des disciplines. » (p.78) L’application de cette définition aux trois pays étudiés (dont la France avant les contrats) permet à nouveau de mieux percevoir leurs spécificités. Le configuration universitaire française se caractérise par une « double centralisation, à la fois étatique et corporative », une prévalence au niveau des relations avec la tutelle des logiques disciplinaires et une faible existence de l’université en tant qu’institution. Ces aspects sont développés dans le cadre de la troisième partie, dont on retrouvera certains chapitres dans un ouvrage devant paraître au mois de mars.
Dans cette troisième partie, Christine Musselin se penche, entre autres, sur l’histoire des universités françaises. Son modèle théorique lui permet de mettre en évidence la prégnance du modèle napoléonien que les réformes initiées sous la IIIème République avaient tenté d’évacuer. Cette lecture organisationnelle de l’histoire est tout à fait passionnante. Elle met en lumière le poids des disciplines, le pouvoir des doyens, la logique facultaire, etc. Puis, l’auteur s’intéresse aux lois Faure et Savary et à leurs applications respectives, pour en venir à la situation actuelle. D’après l’auteur, nous serions passés de la « République des facultés » au « temps des universités ». « Près de quinze ans après la première étude que j’ai menée dans les universités françaises, les enquêtes empiriques réalisées récemment révèlent l’importance des changements survenus. Les entités anomiques et sans leadership du début des années quatre-vingt ont développé leur capacité décisionnelle, se sont dotées d’équipes présidentielles actives et on renforcé leur identité collective. Contre toute attente, les universités françaises ont pris forme et sont devenues possibles. » (p. 172) Certes, elle rappelle que les changements survenus ne sont pas « en rupture total avec le passé », le « modèle centralisé et uniforme » n’ayant pas disparu. Les facteurs du changement sont ainsi étudiés un à un : massification, diversification des publics et des universités, tout comme leurs conséquences sur le modèle universitaire (remise en cause des principes d’uniformité et d’égalité nationales). L’un d’entre eux fait l’objet d’une attention particulière. Il s’agit de l’instauration des contrats d’établissement, dont on découvre la genèse (croustillant !), les contours et les effets. « La politique contractuelle n’a pas seulement modifié les modes de pilotage de la tutelle, elle a aussi impulsé une nouvelle dynamique au sein des universités, ou plus exactement elle leur a donné l’opportunité de découvrir qu’il leur était possible d’élaborer une politique d’établissement, de définir un projet collectif, de décider en commun des orientations à prendre et des priorités à retenir. » (p.251) Christine Musselin nous présente alors ses travaux les plus récents afin de souligner les transformations de la configuration universitaire (renforcement du gouvernement des universités, glissement du national vers le local, affaiblissement de la logique des disciplines, etc). Elle achève son propos sur les « défis à venir » que le lecteur intéressé découvrira dans son livre. Il reste que si la boucle semble bouclée, Christine Musselin ne clôt pas pour autant son chantier de recherche puisqu’elle nous fait découvrir ses premières pistes de recherche sur « les marchés du travail universitaire ». A suivre…
Valérie Becquet
Les Cahiers du Germe trimestriel n° 17 – 1° trimestre 2001