Retours sur des mouvements lycéens

tout deshayes 1971Retours sur quelques mouvements lycéens visités par les Cahiers du Germe: « Affaire Guiot » en 1971, dans le mouvement des retraites en 2010, liens vers nos articles sur les Comités d’action lycéens de 1968, etc.

Février-mars 1971 : mouvements lycéens et répression

Publié dans Les Cahiers du Germe n° 29 2010/2011

DOCUMENT : MOUVEMENTS LYCEENS IL Y A QUARANTE ANS… déjà avant les « flash ball ».

En février 1971, une manifestation du « Secours rouge » en soutien à la grève de la faim de militants emprisonnés, est interdite. Elle se tient tout de même, mais Place Clichy, à côté du lycée Chaptal, est violemment reprimée par les « brigades spéciales » de la police, qui tirent à l’horizontale des grenades anti-manifestants. Richard Deshayes – qui a rédigé le manifeste du « Front de libération de la jeunesse » (« on n’est pas contre les vieux, mais contre ce qui les a fait vieillir) est énuclée. Une affiche est imprimée : « ils veulent tuer ».

Un élève de math’sup du lycée Chaptal, Gilles Guiot, a le tort de sortir de l’établissement à la même heure. Il est arrêté et la procédure de « flagrant délit » (sans avocat) lui est appliquée. Il est condamné à de la prison ferme.  Aussitôt l’émotion gagne son lycée : élèves, profs, parents, administration protestent.affiche deshayes 1971 L’information est diffusée et rapidement la grève se généralise dans les lycées parisiens, avec des assemblées générales, des « sit-in », des manifestations dans les quartiers. C’est ainsi que naît la « coordination des comités de lutte et de grève » composée de délégués élus par chaque assemblée générale. La première se tient au lycée Chaptal, les deux suivantes au lycée Turgot. La mobilisation est numériquement encore plus importante qu’en mai 68 dans les lycées, avec une forte participation des établissements de banlieue, et même de collèges.

Le mouvement fait sien la revendication de « dissolution des brigades spéciales » en même temps qu’il réclame la libération de Gilles Guiot. Le jour du procès en appel, les lycéens sont installés pour un sit-in  boulevard Saint-Michel (en face du Palais de Justice) et brandissent le portrait de Richard Deshayes. Gilles Guiot est relaxé, Richard Deshayes ne récupérera pas son œil.

Ci-dessous, le sit-in du 19 février 1971, publié dans Jeunesse rebelle, n° 1, journal des cellules lycéennes de la Ligue communiste et des cercles rouges lycéens. (Col. RM – Cité des mémoires étudiantes). Les lycéens tiennent l’affiche « Ils veulent tuer ». La même photographie est reprise en une du journal « Tout », publié par VLR (Vive la Révolution), dont Richard Deshayes était également membre.

jeunesse rebelle 1971

Quelques notes sur les mobilisations lycéennes de l’automne 2010

Le mouvement de mobilisation contre la « réforme des retraites » de l’automne 2010 a connu une forte participation lycéenne, avec des assemblées générales, des grèves dans plusieurs centaines d’établissements et des cortèges importants d’élèves dans les manifestations. Sans développer ici longuement et dans le détail – il faudrait collecter des données plus précises, chronologiques, observations, entretiens – nous voulons ici faire état de quelques réflexions.

Nous écarterons la thèse de la « manipulation », sans verser dans une vision naîve. Bien sûr, le travail militant des organisations lycéennes – syndicales comme l’UNL ou la FIDL, ou politiques – qui ont répercuté dans les établissements des analyses, par brochures, tracts, affiches, réunions, a joué un rôle. De même, la mobilisation enclenchée, les militants déjà engagés sont, comme dans toute mobilisation, investis par leurs camarades des tâches d’organisation et de représentation plus aisément de par leur expérience, réelle ou supposée. Beaucoup sont déjà délégués de classe, voire délégués dans les institutions académiques et nationales de concertation.

En revanche, l’écart entre le nombre de militants et le nombre de lycéens n’autorise pas à faire de ce travail militant LA cause de la mobilisation, et de son ampleur. L’encadrement du milieu lycéen par les organisations est encore plus faible qu’en université ou en entreprise, et si la thèse de la « manipulation » était avérée, il resterait à expliquer pourquoi d’autres appels à la grève, à la manifestation de la part des mêmes mouvements  ne débouche pas de manière identique.

C’est bien que les contexte et contenu comptent.

Autre thématique à discuter, celle du « malaise» de la jeunesse. Si le lycéen bouge, c’est qu’il souffre et le diagnostic est posé : la pathologie qu’il présente est la peur. Il y a au travers de cet emprunt au vocabulaire médical une sorte de dévalorisation. La mobilisation, est un « symptôme », l’action collective est une pathologie, et donc la mission du corps politique et administratif est de soigner…  Ainsi, il y a d’un côté la maladie (la peur, bien entendu « irraisonnée », avec la contestation comme thermomètre) qui s’oppose au sérieux, au « sensé » (la réforme, les mesures prises). On évoque toujours la « fièvre » des grèves, des manifestants, rarement celle des gouvernants et du législateur. Des sociologues posent aussi la question « Les jeunes français ont-ils raison d’avoir peur ? », titre du livre récent d’Olivier Galland. L’inquiétude des jeunes n’est pourtant pas infondée : le chômage, la précarité, les conditions de travail ne sont pas sans réalité, notamment pour les enfants issus des couches populaires.

Beaucoup d’observateurs se sont étonnés de voir de jeunes lycéens manifester pour les retraites alors qu’eux-mêmes n’y parviendront que dans 45, ou 50 ans pour les plus jeunes. Il est intéressant d’établir une cartographie chronologique des mobilisations lycéennes, qui ont commencé dans des villes moyennes, souvent frappées d’un taux de chômage important. De même, à Paris, ce sont d’abord des lycées accueillant des enfants des quartiers populaires de la capitale (comme les lycées Voltaire, Turgot) qui ont été touchés en premier. D’autres établissements ont aussi été touchés. Il y a eu une conjonction entre plusieurs éléments. La situation sociale  de leurs parents ou grand-parents, confrontés à l’usure au travail, l’entrée dans le marché du travail sous le signe de la précarité et de l’insécurité sont plus concrets que la retraite dans un demi-siècle, et c’est cette contestation qui est au cœur de la protestation sociale des lycéens mobilisés.

Dans un environnement d’une scolarité de masse, le lien intergénérationnel, entre scolaires et salariés (ou chômeurs) se confirme depuis le CIP ou le CPE, loin de l’enfermement dans un « ghetto » lycéen ou étudiant. De même, le répertoire d’action collective est repris d’un mouvement à l’autre, avec notamment les « blocages ». Les grands mouvements étant très proches au cours des dernières années (2005, 2006, réforme du bac…) les élèves de terminale ont déjà connu les mobilisations précédentes et ont acquis quasiment des « réflexes », ce qui explique les délais beaucoup plus rapides entre les premières mobilisations et les coordinations, les blocages, les initiatives d’ampleur, sans omettre les moyens de communication qui permettent d’accélérer la circulation de l’information, éventuellement de désinformations.

Les jeunes sont une plaque sensible de la société, et l’on a pu constater les effets de la crise morale, très profonde même si elle est en « toile de fond ». N’oublions pas que c’est en même temps que se développe la contestation contre la réforme des retraites que l’affaire dite « Bettencourt » prend également de l’ampleur. Et il s’agit là d’une face émergée d’un iceberg que les jeunes, ici les lycéens, n’ignorent pas. Les décalages entre les valeurs transmises par les familles et l’école (les valeurs peu ou prou républicaines d’égalité et de fraternité) et les réalités sociales et économiques (pauvretés et richesses ; sacrifices inégalement répartis entre groupes sociaux),comme  les valeurs prônées désormais dans les discours dominants (individualisme, compétition, réussite financière) portent des contradictions pouvant nourrir les indignations porteuse de désirs d’autres possibles.

Les trajectoires sociales méritent en effet d’être rappelées[1] : si dans l’ensemble, en moyenne 3,6% des élèves entrés en sixième n’atteignent pas la classe de 3ème, ce taux mont à 5,6% pour les enfants d’ouvriers non qualifiés (0,4% enfants d’enseignants, 0,7% enfants de cadres supérieurs). La majorité des entrants en sixième rentrent à l’université (53,4%), ce taux baissant pour les enfants d’ouvriers non qualifiés (31%), et montant à 89,4ù et 82,3% pour les enfants d’enseignants et de cadres.

Malgré le « collège unique », les différenciations sociales demeurent dans les filières : on passe de 36% d’enfants d’ouvriers, retraités ou chômeurs en 6ème, à 25% en seconde générale et technologique, et 52% dans les cycles professionnels.

L’ampleur de la mobilisation lycéenne a été certes limitée en comparaison avec des précédents et a décru – dépendant du mouvement global sur les retraites – avec les vacances de la Toussaint.. Il ne faudrait toutefois pas sous-estimer l’évènement. Là où ce mouvement sur les retraites manquait de secteurs de référence (comme les transports l’avaient été en 1995, ou les enseignants en 2003), contre toute attente, les secteurs des lycées avait commencé à le devenir, redonnant dans certaines villes un élan à la mobilisation globale. Le nombre d’établissements touchés a été significatif : entre 300 et 600 suivant les chiffres. Le ministère comme la presse ont mis en relation ce chiffre avec le nombre total de lycées : 4000. Or, quand l’on examine de plus près ce total, on s’aperçoit qu’il n’est pas significatif. En effet, il faut compter principalement sur les 2579 lycées publics ( dont 1012 lycées professionnels) qui scolarisent 80% des élèves de la seconde à la terminale et non sur les 1723 établissements privés (dont 660 professionnels) qui scolarisent 20% des effectifs. Ceci nous amène à une fourchette non de 8 à 15% des lycées touchés, mais en vérité à une fourchette de 12 à 23%.

[1] Voir Repères et références statistiques, édition 2010, Ministère de l’éducation nationale.

Robi Morder

Les Cahiers du Germe n° 29 2010/2011

Sur notre site également :

Une bibliographie : Bibliographie indicative sur les mouvements lycéens

Des articles

Robi Morder : Les comités d’action lycéens

Cécile Hochard: Les lycées de Paris et de la région parisienne de 1938 à 1947

Valérie Becquet :Mise en place et fonctionnement des conseils de la vie lycéenne

Des notes de lecture

Trois livres pour un enterrement Sur les années 1968 et 1970 (une partie traite des CAL à La Loi Debré et à la CPL)

Alain Borredon. Une jeunesse dans la crise Sur 1986 (autour du mouvement Devaquet)

Pierre Bauby et Thierry Gerber. Singulière jeunesse plurielle De Devaquet aux grèves de 1995

Laurence Corroy, La presse des lycéens et des étudiants au 19ème siècle

Des biographies

Gérard Doriath Elève au lycée Voltaire

Marc Coutty Elève au lycée Turgot

Maurice Najman Elève au Lycée Jacques Decour, un des fondateurs des CAL

 

 

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