lecture : Pierre Bauby et Thierry Gerber. Singulière jeunesse plurielle

Pierre BAUBY – Thierry GERBER. Singulière jeunesse plurielle. PUBLISUD 1996 – 198 F. Le titre du livre de Pierre Bauby et de Thierry Gerber indique qu’il se situe dans la question que se posent bien souvent aussi bien acteurs et militants que chercheurs : existe t’il une ou plusieurs jeunesses ?

Dans une première partie, les auteurs nous invitent à visiter «les jeunes des années 1990», ce qui implique de «s’interroger sur ce que recouvre la notion de jeunesse». A la suite d’un premier chapitre qui fait l’inventaire des analyses publiées, se dégage ainsi des «éléments d’un portrait socio-politique», des jeunes dans leur diversité, «la notion de jeunesse apparaît comme trop unique et uniformisante». Des «traits saillants» se dégagent des «manifestations plurielles» des jeunes : «sensibilité pragmatique, individualité autocentrée et solidaire, méfiance et ouverture et tolérance». En fait, toute cette première partie (qui traite ensuite de la relation des jeunes au travail, au syndicalisme, à la politique, à l’environnement) est une sorte de passage en revue des différents auteurs et chercheurs qui se sont exprimés dans les dernières années dans diverses publications (livres et revues). De ce point de vue, c’est une sorte de somme de références et citations, avec tableaux statistiques et chiffres à l’appui. Mais la quantité des citations nuit souvent à la compréhension du point de vue des auteurs, qui apparaît comme noyé par les points de vue de ceux qu’ils citent.

La deuxième partie concerne les «Coups de jeunes». C’est ainsi que Pierre Bauby et Thierry Gerber caractérisent les mobilisations de la dernière décennie. Les mobilisations de 1986 (contre le projet Devaquet), des lycéens de 1990/1991, contre le projet CIP de 1993 et de novembre 1995 sont ainsi décrites et comparées. S’en dégage l’image à la fois d’un «phénomène générationnel» dans lequel se différencient les jeunes travailleurs, ceux des banlieues populaires et enfin les scolarisés (lycéens et étudiants). Ainsi, ce n’est pas tant deux, mais même trois jeunesses qui peuvent se distinguer jusque dans les manifestations (et est reprise la question de la division étudiants/lycéens «insérés» et «casseurs» qui s’était posée en 1990/1991 et au moment du CIP). La comparaison entre ces différents mouvements souffre toutefois de l’inégalité des matériaux de travail – et même de l’absence de certaines sources. Ainsi, on a à disposition effectivement sur 1986, les mouvements lycéens et le CIP de livres ou d’études publiées dans les revues. Les auteurs ont par ailleurs en 1993 et 1995 pu réaliser nombre d’entretiens, consulter les articles de presse, observer sur le terrain manifestations et coordinations. Disposant de ces matériaux, le «tour de force» qui consiste à publier deux mois après le mouvement de 1995 une étude sur celui-ci amène en retour le danger d’une absence de recul. De surcroît, (même s’il y en a peu, il en existe), il n’y a pas eu exploitation des différents mémoires de maîtrise ou DEA et de recherches menées (et non éditées sous forme de livre ou d’articles de revues). Ceci amène ainsi à négliger la continuité qu’il y a entre les coordinations des années 70 et celles d’aujourd’hui (comme si les coordinations étaient nées en 1986), et a présenter comme nouveauté ce qui est assez ancien : par exemple la volonté de non délégués d’assister en observateurs aux coordinations..

On peut reprendre enfin le constat – qui vaut également pour l’excellent ouvrage de référence sur les jeunes de Gérard Mauger Jeunesse : état des recherches (la documentation française) de la faible production concernant les organisations de jeunes. En effet, ce sont des stratégies et tactiques collectives, d’organisation, qui jouent aussi en faveur de ‘l’unité» ou de la «diversité» de la jeunesse, comme en matière de tactique de lutte : «coordination», «négociation», etc.. Ainsi, par exemple, dans la mobilisation des jeunes scolarisés contre la loi Debré en 1973, s’appuyant certes sur des différenciations, c’est une organisation («lutte ouvrière») qui met le gros de ses forces sur les collèges techniques pour permettre la création d’une coordination des élèves du technique distincte de la coordination lycéenne. De la même manière, ce qui a permis la coordination nationale de 1986 c’est certes la généralisation du mouvement mais aussi une alliance préalable de courants organisés qui -avec d’autres étudiants- constituent une colonne vertébrale permettant l’émergence de la coordination nationale face à d’autres courants qui freinaient cette dynamique. Il ne s’agit pas évidemment d’opposer «spontanéité» et «organisation» (comme il serait absurde de séparer la mobilisation de 1995 avec les syndicats et militants étudiants qui en avaient tout de même préparé le terrain, du moins du point de vue des revendications, quelqu’ait été leur comportement ultérieur) mais au contraire de comprendre qu’il y a une relation étroite entre ces divers éléments, dont la dialectique réelle ne correspond pas à la caricature journalistique.

 Ces critiques étant exposées, ce livre – qui comporte un cahier de 16 pages avec des photographies prises par Thierry Gerbe des manifestations – , avec ses citations, observations, revue de presse, entretiens, constitue un matériel utile.

Robi Morder

Les Cahiers du Germe (trimestriel) N° 1 – 4° trim 1996

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