Dans son livre, Une histoire d’Alsace, l’AFGES, 90 ans au service des jeunes, Lionel Courtot, docteur en ethnologie à l’université de Strasbourg, revient sur l’histoire et les réalisations de l’Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg depuis sa création en 1923. Dernière association étudiante en France à gérer son propre restaurant universitaire, la Gallia, L’AFGES est aujourd’hui menacée de perdre la gestion de ce lieu emblématique. Face à cette actualité, l’AFGES se tourne vers son histoire, fait le point sur 90 ans de réalisations au service des étudiants malgré les réticences institutionnelles et le poids de l’histoire. L’auteur présente d’ailleurs cette « saga étudiante » comme une épopée intimement liée au passé douloureux de l’Alsace durant le XXe siècle. Les quarante premières pages sont réservées à des discours d’élus locaux, anciens membres ou non de l’AFGES, comme autant de témoignages attestant de l’importance de cette association étudiante dans la vie locale. Plusieurs cahiers iconographiques en noir et blanc et en couleurs, réalisés à partir de documents d’archives,[1] rythment la lecture de cet ouvrage.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale l’Alsace redevient française. Une campagne de dé-germanisation est entreprise à l’université de Strasbourg, dont la nouvelle version est inaugurée par le président Poincaré en novembre 1919. Durant la période ou l’Alsace-Lorraine était sous le giron allemand les premières associations étudiantes se créent en France. La plupart d’entre elles se réunissent en union nationale (UNAEF qui deviendra UNEF) en 1907. A Strasbourg, le mouvement francophone est demeuré présent auprès d’une certaine jeunesse, avec en particulier le Cercle des étudiants de Strasbourg, rattaché à l’UNEF. Une initiative venue des étudiants eux-mêmes donne naissance le 9 février 1923 à l’Association générale des étudiants de Strasbourg qui deviendra fédérative (ce qui permet de faire élire le comité de l’AG par les délégués des amicales et non par une assemblée générale réunissant la masse des étudiants) en 1926. La présidence est tout d’abord confiée à Sava Bobtcheff puis à Albert Ricklin en 1926. La fédération est rejointe par des amicales et un journal est crée, Strasbourg université.
Durant l’entre-deux-guerres, l’AFGES se lance dans un projet ambitieux d’amélioration de la vie matérielle des étudiants, cela passant aussi bien par la création d’un organisme centralisant les activités en faveur des étudiants qu’en négociant un régime d’abonnement aux transports locaux à prix réduits ou encore avec la création d’un foyer étudiant et la mise à disposition de logements et de soins gratuits. L’AFGES développe également son activité à l’internationale du fait du nombre important d’étudiants étrangers présents à Strasbourg. Subsiste encore le problème de la nourriture qui sera solutionné par l’ouverture d’un restaurant universitaire baptisé la Gallia en 1927. Deux ans plus tard, un service de médecine préventive est mis en place à l’initiative des étudiants. Un centre de vacances est même ouvert en Corse, à Morsiglia.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, la ville de Strasbourg est envahie puis annexée par le troisième Reich. L’université doit se réfugier à Clermont-Ferrand et les locaux de l’AFGES sont occupés par les allemands. Les membres de l’association qui ne sont pas partis au front tentent de maintenir l’association à flot en Auvergne.
Au lendemain de la guerre et après la rédaction de la Charte de Grenoble en 1946, l’AFGES reprend les rênes de la Gallia. Un comité des œuvres en faveur des étudiants est constitué localement. Progressivement l’AFGES retrouve son activité, met en place une bibliothèque, un ciné-club. Mais après la création du CNOUS et des CROUS en 1955 des tensions, qui ne cesseront de croitre, se font sentir avec les membres de l’AFGES. La représentation étudiante au sein de ces comités est alors fortement réduite.
Dans les années cinquante, au début de la guerre d’Algérie, l’AFGES est dirigée par des « majos modérés ». Elle affirme sa solidarité avec l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) et milite ouvertement pour une paix négociée. Près de dix ans plus tard, durant l’été 1966, des sympathisants de l’Internationale situationniste demandent au bureau de l’AFGES de rédiger une critique générale du mouvement étudiant et de la société. C’est finalement Mustapha Khayati, délégué de l’Internationale situationniste qui rédigera De la misère en milieu étudiant. Devant la tournure que prennent les événements conséquents à la publication de cette brochure et la gestion considérée comme catastrophique du bureau de l’AFGES, le tribunal de Strasbourg place les locaux et la gestion de l’association sous séquestre et désigne un administrateur judiciaire. Le « bureau situationniste » perd finalement le procès. Il conservera néanmoins une influence sur les événements de mai 1968 à Strasbourg. Ce n’est qu’en mai 1973 qu’une assemblée générale peut enfin se tenir, l’AFGES n’a pas vraiment fonctionnée pendant cinq ans.
Elle est péniblement remise en route dans les années soixante-dix. L’Amicale des étudiants en médecine quitte pourtant l’association en janvier 1978 dénonçant sa mauvaise gestion. La direction et l’administration de la Gallia sont confiées à un Conseil d’administration nouvellement crée qui donne un statut au restaurant universitaire. Les rapports avec l’administration du CROUS restent conflictuels jusqu’à ce jour.
Au début des années 1990 l’AFGES se dote d’une administration salariée. Elle participe à la création de la Fédération des associations générales d’étudiants (FAGE) en 1989, qui installe son siège à Strasbourg.
Durant ces vingt-cinq dernières années, L’association alsacienne mène des activités allant de l’organisation de conférences sur l’emploi, de concerts, d’une semaine sur la santé, de la mise en place d’une épicerie solidaire ou encore le projet des « Cités d’avenir » visant à recréer du lien social dans les lieux de vie collectifs des étudiants.
[1] Les archives de l’AFGES sont conservées aux Archives municipales de Strasbourg.