Jean Le Pen étudiant

liste union ss etudianteLe Pen a dix neuf ans quand il vient à Paris s’inscrire à la Faculté de droit à l’automne 1947.  Il adhère en même temps à la Corpo, « association corporative des étudiants en droit » fondée en 1935 par un militant d’extrême droite passé par Vichy mais toujours influent. La Corpo est à la fois un cercle où se pratiquent le ping-pong les jeux de cartes, la boisson car il y a un bar, et une association membre de l’UNEF, que le Pen définira plus tard comme « apolitique et aconfessionnelle d’extrême droite. » Précisons que les statuts adoptés indiquent que le président doit être « de sang français ». Le Pen est président en juin 1949, puis réélu en décembre 1950 ; son élection est facilitée par les statuts qui autorisent le bureau à distribuer des cartes gratuites à des étudiants désignés par lui comme « nécessiteux. » Il est réélu en 1951.  Il reste ensuite omniprésent à la Corpo, alors que la liste qu’il patronnait est invalidée en 1952 par la justice pour fraude.

Représentant la corpo aux congrès nationaux de l’UNEF il y donne la mesure de sa nature tonitruante. En 1949 au congrès du Touquet il est éloquent contre la présence de l’UNEF à l’UIE[1] dont le siège est à Prague, mais le premier rôle est tenu par les étudiants du RPF gaulliste. Au congrès de 1950 il dénonce le vice président sortant Henri Bangou coupable d’anticolonialisme et lui adresse une couronne mortuaire. Par ailleurs il est alors presque seul à voter contre la revendication phare de l’UNEF, l’allocation d’études. Son rôle semble considérable au conseil d’administration de novembre 1950 qui voit la démission forcée du président de Bernis et le changement de majorité à l’UNEF ; en réalité si le Pen y est tonitruant, l’action décisive est celle des étudiants du RPF [2]. Au congrès suivant à Aix les Bains, il se présente  à la messe saoul au point que le curé qui lui refuse la communion est injurié et houspillé. Il faudra des interventions de haut niveau pour faire abandonner les poursuites. Hyperprésent au congrès de Montpellier en 1952, son dernier congrès d’étudiant il échoue à se faire élire au bureau national, n’obtenant qu’une infime minorité des voix.

Ayant quitté la faculté en 1953, sa dernière présence à l’UNEF date de 1957 lorsqu’il parade  en uniforme d’officier parachutiste dans les couloirs du congrès de Paris en cherchant à intimider ceux qui doivent prendre position contre la torture en Algérie.

Alain Monchablon

[1]Dans une lettre à Georges Hadacek, de la FGEL, Jean Le Pen explique sa conception de l’internationale. Une simple internationale technique, « non idéologique », matérielle, comme l’était – selon lui – la CIE, sans « intention de crééer le mythe d’un étudiant pris comme valeur supra-nationale ». Sans date, cette lettre a été publiée en circulaire de la FGEL en novembre 1951. Coll. privée.

[2] Didier Fischer explique que Jean-Marie Le Pen « peut sans susciter la moindre réprobation se tailler, grâce à un processus classique de reconstruction de la mémoire, une stature qu’il n’avait pas dans l’action militante étudiante. Le président de la Corpo de droit de Paris, qui n’a jamais pu accéder à des responsabilités au bureau national de l’UNEF, tant ses camarades se méfiaient de son caractère impulsif et de ses frasques qui tranchaient avec l’image qu’ils se faisaient d’un dirigeant syndical, peut ainsi bien des années plus tard recueillir un héritage qui n’aurait jamais dû lui être destiné. Quelques rodomontades et manœuvres d’intimidation, dont il était coutumier, suffirent à faire croire qu’il était l’auteur du renversement de majorité au sein de l’UNEF. Dans les faits, le poids de la Corpo de droit ne dépassait guère les bancs de la faculté du même nom, ainsi que le périmètre étroit du local qu’elle possédait et du bar qu’elle animait rue Cujas. Son leader, certes connu dans le milieu étudiant parisien, n’avait pas de réel poids syndical. Alors que l’immense majorité des étudiants revendiquait en faveur de l’allocation d’études, Jean-Marie Le Pen et son entourage proche, dont Claude Chabrol, s’y opposaient. […] A lui seul, et malgré ses qualités d’orateur et de « fort des halles », Jean-Marie Le Pen n’aurait pas pu retourner le CA de l’UNEF. Il fut un acteur qui ne joua pas dans cette affaire les premiers rôles mais dont on se souvient au regard de la trajectoire politique qui fut la sienne à partir des années 1980. De bonne foi, un témoin essentiel comme Gérard de Bernis peut ainsi considérer que Jean- Marie Le Pen était à la fois l’instigateur et le bras armé du complot qui le renversa en novembre 1 950. Ce transfert de responsabilité montre à quel point tout souvenir appartient à la fois au passé et au présent. La mémoire n’est jamais constituée. » Didier Fischer, « Entre secret et mémoire: les étudiants gaullistes et leur prise de pouvoir à l’UNEF à la fin des années quarante« , dossier « Le secret en histoire », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 58, 2000.

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