Le Cnous a 60 ANS : Citoyennetés étudiantes, cogestion, gestion.

Etudiant de France N° 24 1961

Etudiant de France N° 24 1961

Extraits de la communication d’Alain Monchablon et Robi Morder au colloque organisé par la Cité des mémoires étudiantes et le CHS du XXe siècle (Paris 1/ CNRS), avec le concours du GERME & du CESSP (Paris 1), et avec le soutien financier de la région Ile-de- France (Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation) un programme de recherche sur les citoyennetés étudiantes depuis 1968, dont ce colloque est l’un des aboutissements. A paraître dans la collection Germe, aux éditions Syllepse fin 2015.

Si nous commençons par interroger l’intitulé du colloque il convient de rechercher une définition de la citoyenneté puisque nous devons traiter de la « citoyenneté étudiante ». Le Robert en 6 volumes nous indique « Citoyenneté : qualité de citoyen », le « citoyen » étant une « personne considérée comme personne civique », c’est-à-dire remplissant les « conditions requises pour avoir droit de cité ». Nous n’évoquerons pas ici – c’est l’objet d’autres communications du présent ouvrage – les questions relatives à la citoyenneté dans les institutions universitaires stricto sensu. En effet, l’université si l’université est une « cité », plusieurs catégories sont appelées le cas échéant à participer à leur administration, la citoyenneté étudiante se posant alors en termes de participation, en cohabitation (qui peut-être conflictuelle) avec les autres « citoyennetés » (celle des personnels enseignants comme non enseignants). Ce que l’on appelle les « réalisations étudiantes » recouvre une autre réalité.A première vue, la citoyenneté étudiante – comme pouvoir de décision non partagé – devrait être totale puisque ces réalisations sont à l’origine des créations des associations générales étudiantes elles-mêmes, réalisations destinées à répondre à des besoins des étudiants (que ces besoins soient revendiqués par les étudiants, ou qu’ils soient générés par les revendications élaborées par les associations elles-mêmes est une autre question). Cette citoyenneté totale étant équivalente pour ces réalisations à une autonomie de gestion par les étudiants eux-mêmes, les AGE (associations générales des étudiants) étant fondées sur des principes démocratiques : des conseils d’administration, des présidents élus par les étudiants, parmi les étudiants.

Or, au travers de trois exemples : les « œuvres », la FSEF et la mutualité étudiante, nous constatons qu’une telle autogestion des réalisations étudiantes pour les étudiants ne va pas de soi, et l’on est amené à distinguer trois niveaux possibles de citoyenneté : une citoyenneté totale (autogestion de la structure), une citoyenneté partagée (une co-gestion), et enfin une citoyenneté de participation (un accès aux informations mais un faible poids dans la prise de décision), chacune de ces réalisations pouvant avoir connu plusieurs de ces niveaux. Ainsi les œuvres sont passées de l’autogestion à la cogestion, comme la sécurité sociale étudiante a pu passer de l’autogestion à la simple participation, ce qui fut le cas de la Fondation sanatorium (puis santé) des étudiants de France.

I/ L’AUTOGESTION ETUDIANTE DES REALISATIONS

Les « œuvres »,

Documents étudiants N° 6 1961

Documents étudiants N° 6 1961

Les premières « œuvres » sont d’abord gérées par les AGE ; il s’agit de véritables services qui ont pu voir le jour grâce notamment aux apports des anciens membres de ces associations, devenus des notables. Municipalités, mais aussi Groupes professionnels d’avocats, médecins, pharmaciens, chefs d’entreprises, autant de mécènes octroyant dons et donations à ces AGE reconnues d’utilité publique qui acquièrent et équipent ainsi des « Maisons de l’étudiant » avec bibliothèques, salles de gymnastique, fumoirs mais également des restaurants pour les étudiants, des logements et résidences.

L’État, du moins au plan national, n’intervient guère avant la fin du 19ème siècle. En 1897 un décret charge les recteurs assistés des conseils d’Universités, de répartir entre les différentes universités la dotation ministérielle ouvrant aux étudiants diverses aides. Une commission des recteurs, en 1930, eut la tâche de répartir les ressources et d’en suivre l’utilisation. Les ressources étant soit versées directement aux étudiants, soit affectées aux Associations Générales d’Etudiants.

Laisser gérer ces biens et moyens par ces jeunes gens peut certes être dangereux – ne risquent-ils pas de tout dilapider en beuveries et autres fêtes et monômes ? Le jeu en vaut pourtant la chandelle, puisqu’il s’agit- les étudiants étant alors peu nombreux et souvent issus des élites – de futurs notables et qu’en leur laissant la gestion de ces services ils sont ainsi amenés à se familiariser avec l’administration des institutions et entreprises qu’ils sont appelés à diriger. Les AGE constituent bien alors des lieux de sociabilité et de complément de formation – l’on pourrait dire aujourd’hui de « stages » – pour les futures élites.

L’augmentation du nombre d’étudiants dans l’entre-deux-guerres, les conséquences économiques de la Grande Guerre puis de la crise sur les groupes sociaux (les « classes moyennes ») dont sont issus la plupart des étudiants changent la donne. Les besoins sont plus importants, ils nécessitent des investissements qui dépassent le mécénat local.

Avec le gouvernement du Front populaire, le ministère Jean Zay va développer une politique nationale. La création du CSOE (Conseil supérieur des œuvres pour les étudiants) permet pour la première fois une reconnaissance institutionnelle nationale à l’UNEF puisqu’elle siège au CSO en tant que telle, mais implique une certaine dépossession des AGE, au point que désormais les rectorats avant de verser une subvention à l’AG devront consulter le bureau national de l’UNEF. Si d’un côté la représentation nationale étudiante s’en voit renforcée, l’autogestion locale des « réalisations » laisse la place à la cogestion des œuvres.

[…]

II/ LE CENTRE NATIONAL DES OEUVRES, UNE EXPÉRIENCE DE CITOYENNETÉ ÉTUDIANTE PAR LA COGESTION (1957-1961)

Dans l’histoire du mouvement étudiant, la cogestion du CNO (Centre nationale des Ouvres universitaires et scolaires) a fait figure de conquête majeure. Elle n’a pourtant duré que quelques années, de 1957 à 1961, mais elle a porté les espoirs dune génération militante qui y voyait beaucoup plus que des satisfactions matérielles, une étape vers une citoyenneté étudiante active, assise sur une base ferme et en expansion.

Avant la loi de 1955

Une étape fut franchie en 1936 avec Jean Zay, fraîchement nommé ministre de l’Education nationale du gouvernement Blum. Dès le mois de juillet un arrêté créait un Comité supérieur des Œuvres en faveur des étudiants, rattaché à la Direction ministérielle de l’Enseignement supérieur, mais doté d’un secrétariat permanent. Le président et le secrétaire général de l’UNEF étaient membres de l’assemblée du comité, lequel publia un Courrier de l’Etudiant, organe à la fois du CSO et de l’UNEF. Le CSO survécut à l’épreuve de Vichy, mais fut transformé en Comité Supérieur des Ouvres en faveur de la Jeunesse Universitaire au lendemain de la Libération, par l’arrêté du 13 septembre 1946, au statut incertain : malgré la présence majoritaire de l’administration, il n’est qu’un comité consultatif auprès du ministre. Et l’UNEF n’y est pas présentée comme le seul organisme représentant les étudiants. Suit un arrêté du 5 mars 1947 qui fait du Centre un service intégré au MEN, où la part étudiante est réduite, mais qui est abrogé dans les jours qui suivent, devant les protestations principalement étudiantes. Puis l’arrêté du 8 aout 1948 crée le CNOUS sous sa dénomination définitive, où la proportion d’étudiants est accrue, mais dont les décisions sont soumises à l’approbation du ministre. Les années qui suivent sont celles de controverses sur le statut juridique du Centre : intégration à la Direction de l’Enseignement Supérieur, fondation ou établissement public. Le débat parlementaire ouvert en 1954 aboutit à la loi promulguée le 16 avril 55, avec l’appui des députés socialistes et communistes. L’UNEF a fonctionné durant cette période comme un groupe de pression efficace, obtenant l’appui des parlementaires face à une administration de l’enseignement supérieur réservée sinon hostile.

L’ère de la cogestion ?

théorie

La loi fait du CNO un établissement public, doté de la personnalité civile, distinct donc de l’administration de l’Education nationale. (JORF du 17 avril 1955).Son directeur, distinct du directeur de l’enseignement supérieur, est désigné par le ministre sur proposition du CA, devant lequel il est responsable. Ce CA de 22 membres, réuni trimestriellement, comprend onze membres de l’administration, y compris le ministre qui a en cas de besoin voix prépondérante. Les onze autres membres du CA sont : Six étudiants (dont un élève de Grande Ecole) désignés par les associations les plus représentatives, et cinq personnalités proposées par lesdites associations étudiantes. On note que cette formulation de vaut pas formellement monopole de représentativité de l’UNEF, mais dans les faits il en est alors bien ainsi. Il s’agit donc, pour la première fois, d’une gestion paritaire, d’autant que le secrétariat permanent du CNO, constitué peu après, sera également paritaire, et se réunit fréquemment, ce qui donne du corps à la cogestion.

L’UNEF se trouve donc amenée à gérer restaurants et cités universitaires, ainsi que le fonds de solidarité étudiante (FSU).

La cogestion enfin établie est aux yeux de l’UNEF tout autre chose qu’un rôle passif de représentation des usagers : une forme de gestion, permettant de définir les besoins et d’amorcer, par des plans pluriannuels leur satisfaction. Des commissions spécialisées (budget, questions sociales, étudiants étrangers, fonctionnement des établissements) doivent être mises en place pour analyser les besoins et mettre en œuvre des propositions. Mais, soucieuse de se concentrer sur l’essentiel, l’UNEF n’est pas favorable à l’extension des activités du CNO dans le secteur des loisirs et de la culture, d’autant que les AGE ont là leur propre domaine. A la même époque l’UNEF demande la cogestion de la Fondation Santé des Etudiants de France (FSEF). Mais il s’agit de plus encore : d’une étape vers la cogestion de l’Université, à une période où l’UNEF croit pouvoir obtenir une représentation étudiante dans les Conseils d’Université et de Faculté ( le projet est avorté au printemps 1958) . En outre, par la formation de cadres rompus à la gestion, l’UNEF affichera son sérieux, qui donnera de nouvelles justifications à la revendication de l’allocation d’études. De plus cette ouverture plus large sur l’Université et ses besoins amènera à « une véritable intégration du syndicat étudiant dans la vaste action de tous les syndicats » (congrès de Marseille, 1958).

Une telle orientation n’est pas jugée incompatible avec le maintien d’activités gestionnaires propres aux AGE : dans les deux cas, il s’agit de promouvoir la responsabilisation des cadres étudiants, et la gestion directe par la connaissance des problèmes concrets préserve d’un « théoricisme irréaliste » (Documents Etudiants, n° 6, avril-mai 1961) comme de l’ignorance des besoins. Mais elle implique un gros effort de formation des étudiants, et l’UNEF organise en ce sens des journées de formation dès 1956, ainsi qu’elle envisage un bulletin spécialisé.

Pratique

Dans les faits la cogestion ne se met pas en place avant 1957 : ce n’est qu’en janvier qu’un décret et un arrêté (19 janvier 1957) fixent la procédure budgétaire et l’organisation des commissions. Et le directeur du CNO n’est finalement désigné par le ministère qu’en août 1957. Du moins est-il acquis aux principes de la cogestion.

La cogestion est ainsi acquise au niveau national, d’autant que l’absentéisme ou le manque de préparation de certains représentants de l’administration donne parfois à l’UNEF l’occasion de faire triompher ses orientations, est-il dit au Congrès de Grenoble, en 1959.

Il n’en va pas de même au niveau des CROUS où la parité n’existe pas (les étudiants sont six dans un CA de quinze membres), et où les services rectoraux veulent conserver leurs attributions. On comprend que l’UNEF pousse à la centralisation des normes, demandant l’aval du CNO pour les projets de construction de logements et de restaurants.

En outre l’implication des AGE dans leur nouveau rôle est variable ; à Paris en 1956, le stage projeté fut « un échec lamentable » (UNEF Information, janvier 1957). Aux dires du vice-président chargé de la question, il est fréquent que les budgets des centres régionaux soient votés sans véritable examen, les AGE se « laissant traiter en mineurs » (Congrès de Lyon, avril 1960) La politisation fait parfois sentir ses effets : à l’automne 1959, les représentants étudiants sont absents du CA du CRO de Montpellier. L’AGE de Montpellier est alors occupée à défendre les thèses de l’Algérie française. Et en 1960 (Congrès de Lyon) le rapport du vice-président intérieur déplore : « nous devons dire ici que la baisse progressive de l’intérêt des AGE pour les problèmes de gestion nous paraît un signe inquiétant. »

De ce point de vue la crainte d’une bureaucratisation de l’UNEF, réduite à un syndicalisme de techniciens, exprimée au Congrès de 1959 par J. Freyssinet, président sortant, n’a pas le temps de se réaliser.

pancarte dans une manifestation de mai 1968

Car à cette même date de 1960 l’UNEF connaît ses premières graves difficultés avec le pouvoir. On sait l’importance qu’a prise alors la question algérienne. Depuis la reprise de relations officielles entre l’UNEF et l’organisation des étudiants algériens, liée au FLN, les représailles gouvernementales affectent le syndicat étudiant. Mais lors de l’assemblée générale extraordinaire de juin, consacrée aux récentes mesures gouvernementales, le vice-président intérieur estime que l’Algérie est pour partie un prétexte pour le gouvernement : « on ne nous a pas pardonné la cogestion ». De fait le Premier ministre Michel Debré n’a jamais fait mystère de son hostilité de principe à la cogestion, qui minerait l’autorité de l’Etat. Point de vue énoncé publiquement à l’Assemblée nationale par le député de la majorité André Fanton. Peut-être est-ce pour cela que le CNO est alors paralysé de longs mois : le ministère ne désigne un successeur au directeur sortant, le recteur Babin démissionnaire en juin 1960, qu’en février 1961. Puis, un arrêté ministériel (18 septembre 1961) avait écarté le président de l’UNEF de la liste des administrateurs étudiants du CNO, et avait attribué trois des six sièges accordés aux « associations étudiantes les plus représentatives » à une association nouvelle et hostile à l’UNEF, la FNEF. Un mois plus tard, le décret du 18 octobre 1961 faisait du directeur du CNO, désormais non responsable devant le CA, la seule autorité désignant les personnels du centre. Comme le note avec regret le président de l’UNEF dans son rapport de 1962 (congrès de Reims) « la cogestion est soudain devenue plus difficile à réaliser. »

En 1963, malgré la montée d’une opposition de gauche qui voit dans la cogestion « la pire forme d’intégration du syndicalisme étudiant par l’Etat », le congrès de l’UNEF se prononce pour le maintien de ses représentants au CNO. Il rappelle le caractère supposé subversif de la cogestion et se propose de faire appliquer la cogestion jusqu’aux comités de gestion des restaurants universitaires. La question est tranchée par le décret du 18 octobre qui fixe une nouvelle composition du conseil d’administration : sept représentants de l’administration, sept personnalités choisies par le ministre, sept étudiants choisis « parmi les associations les plus représentatives. » Il n’y a plus de cogestion. Dès lors les représentants de l’UNEF, lorsqu’ils sont présents, se bornent à dénoncer les décisions prises malgré eux, leurs propositions étant toutes écartées.

Au Conseil d’administration du 27 octobre 1967, le directeur expose que « le dialogue au niveau national ne peut concerner que les problèmes de conception », écartant donc la gestion. Encore répond-il aux observations de quelques « personnalités qualifiées » proches de l’UNEF, les dirigeants de celle-ci s’étant abstenus de venir siéger. La guerre d’Algérie et ses effets avait modifié pour longtemps les priorités, voire les objectifs du mouvement étudiant.

Alain Monchablon, Robi Morder

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