D’un 22 mars (2018) à l’autre (2019)

affiche 22 mars 2019Après le colloque autour des « traces du 22 mars » à l’occasion du cinquantenaire de 2018, le 22 mars 2019 s’est tenue à l’université Paris-Nanterre une nouvelle journée d’étude consacrée à la « liberté d’expression en mouvement(s) », co-organisée par le Sophiapol (Laboratoire de sociologie, philosophie et anthropologie politique, Université Paris-Nanterre, EA 3932), l’ISP (Institut des sciences sociales du politique, Université Paris-Nanterre/CNRS, UMR 7220) et la Cité des Mémoires étudiantes.

Cette journée (voir programme) a questionné la liberté d’expression des étudiant.e.s à l’aune de leurs mobilisations collectives, en se focalisant sur des exemples historiques – le Free Speech Movement aux États-Unis, l’UNEF sous la guerre d’Algérie, le mouvement du 22 mars 1968 à Nanterre, etc. – ou davantage contemporains – les retournements du sens de la liberté d’expression par l’extrême-droite américaine sur les campus et sur Internet, les freins à la mobilisation représentés par la hausse des frais d’inscription, etc. – aussi bien en France qu’à l’étranger (Brésil, États-Unis et Égypte en particulier).

La session du matin a été dédiée à l’étude des liens entre liberté d’expression étudiante et l’« aphasie » (post-)coloniale. Les organisateurs.trices ont repris l’utilisation de ce concept d’origine psychanalytique qu’en a faite l’anthropologue américaine Ann Laura Stoler – professeure à la New School of Social Research de New York, présente à la journée – à partir de ses recherches dédiées à la mémoire de la colonisation en France. Selon elle, le terme d’aphasie est en effet plus approprié pour désigner le rapport à ce passé douloureux que ceux d’« amnésie » ou d’« oubli » car il recouvre plusieurs procédés qui se superposent, notamment la conjugaison des difficultés d’investigation et de nomination de ce phénomène. Or, les mouvements étudiants, des deux côtés de l’Atlantique, se sont largement développés au cours des années 1950-1960 autour des questions décoloniales, en particulier le Vietnam et l’Algérie : cela a été rappelé par Stoler elle-même dans une intervention consacrée aux luttes de 1968 à l’Université Columbia de New-York, mais aussi par Robi Morder, président du GERME, revenant sur les prises de position de l’UNEF pendant la séquence 1958-1962 ou encore par Seloua Luste Boulbina, professeur de philosophie à Paris VII Diderot, dans un récit auto-biographique de son expérience d’étudiante bi-nationale franco-algérienne dans les années 1970-1980. La matinée a été clôturée par une discussion lancée par Éric Fassin, professeur de sociologie à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis, autour des récentes controverses associant « minorités » et « gauche identitaire » à l’université : si les étudiant.e.s, en France, ont pu historiquement recourir – pour une partie d’entre elles et eux – à leur liberté d’expression pour critiquer les empreintes de la colonisation, il devient aujourd’hui difficile d’échapper aux accusations croisées de la part de l’extrême droite comme de certains défenseurs de la laïcité et des principes républicains lorsque des « minorités » viennent prendre la parole à l’invitation de collectifs d’une gauche que le sociologue qualifie de « minoritaire » plutôt que d’« identitaire ».

Le rôle joué par l’extrême-droite a été le fil rouge qui a conduit à la session de l’après-midi, consacrée plus largement au sens de la liberté d’expression contemporaine en France comme à l’international. Se sont succédées les interventions d’Ademar Pozzatti Jr. (Université Fédérale Santa Maria, Brésil), autour des oppositions étudiantes à l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil, de Simon Ridley (Université Paris-Nanterre) retraçant les retournements dont fait actuellement l’objet le Free Spech Movement des années 1960 par l’Alt-Right américaine, de Frah Ramzay (Université Paris-Nanterre et Université de Lausanne) autour du mouvement étudiant égyptien de 2013 ou encore de Modibo Coulibaly (Université Paris-Nanterre) sur les récentes protestations contre la hausse des frais d’inscription pour les étudiant.e.s étranger.e.s en France, vue comme un frein potentiel à leur capacité de se mobiliser.

La journée s’est terminée par une table ronde avec des associations étudiantes de Nanterre autour de la liberté d’expression actuelle sur le campus ainsi que par la projection du film « les révoltés. Paroles et images de mai 1968 » (Blue Bird prod, 2018) en présence de l’un de ses réalisateurs, Jacques Kebadian.

Print Friendly, PDF & Email
(Comments are closed)