Louis Chauvel, Le destin des générations, Structure sociale et cohortes en France au XXème siècle, Coll. Le lien social, PUF, 1998, 301 pages.
Bouleversements de la structure sociale, causes et conséquences : une approche en trois temps du « destin de générations. » Trois temps pour souligner les inégalités intergénérationnelles et nous en expliquer les raisons et les risques. Auparavant, Louis Chauvel s’attarde sur les notions. De quoi parle t’on lorsque l’on utilise la notion de génération ? Mot médiatique, voire gadgétique, il a pourtant un sens bien précis comme le souligne Karl Mannheim (Le problème des générations, 1928) et le rappelle Olivier Galland (Sociologie de la jeunesse, 1997) ou d’autres. En fait, la notion de génération peut être comprise de trois manières : généalogique, historique (conscience d’une appartenance commune) et sociologique . C’est ce dernier sens qui intéresse Louis Chauvel. Synonyme de cohorte, la génération serait ce groupe arbitraire qui aurait, par exemple, en commun une période de naissance. L’étudier reviendrait à comprendre sa situation et son devenir à l’intérieur de la société. Elle serait le révélateur des mouvements de fonds et des changements sociaux (p 20). Aux notions de cohortes et de génération, l’auteur ajoute celles de classe et de strate, en précisant qu’il est important de tenir compte des hiérarchies sociales à l’intérieur d’une cohorte. Que nous apprend l’étude des différentes générations ? Il semble que certains individus soient nés à une moment plus propice que d’autres et qu’ils en tireraient les bénéfices toute leur vie. Ainsi, les changements sociaux concernent certaines cohortes et pas d’autres. Tout le monde n’en profite pas. Il en est ainsi de l’emploi et de la scolarisation. Par exemple, la génération de 45 aura bénéficié de l’élévation du niveau des diplômes et de la multiplication des postes d’encadrement, alors que celle de 75, est confrontée à la dévalorisation des titres scolaires et à l’intensification des déclassements sociaux. Louis Chauvel s’interroge sur ces différents aspects pour essayer de mettre en lumière les logiques générationnelles. Il se préoccupe aussi des conséquences de ce déséquilibre entre les générations et s’interroge sur la capacité de la société à réagir à cette inégale répartition des chances entre les plus vieux et les plus jeunes. Il va même jusqu’à parler, au sujet des aides publiques dont chacun bénéficie, de la multiplication des cas de « spoliation des jeunes par les vieux » (p 246). Le mot est fort, mais donne à réfléchir, surtout lorsqu’on s’intéresse à la question des retraites. C’est aussi la question des valeurs qui est posée. Quelle génération produit les valeurs ? Qui détient aujourd’hui la légitimité culturelle, politique et sociale ? Certainement pas les jeunes générations qui ont parfois des contraintes et des intérêts opposés aux acteurs sociaux et dont les autorités semblent avoir du mal à tenir compte. Ainsi la loi serait la suivante : « ces salariés âgés ont aussi, tous ensemble, un intérêt à la conservation de leur poste de travail, de leur statut, de leur stabilité, de leur revenu, même si c’est à la défaveur d’un jeune moindrement rétribué, déclassé, précaire ou chômeur. » (p 248) Nous voilà prévenus. Que faire ? Louis Chauvel voit en l’action collective une manière de réagir. Les jeunes doivent « prendre conscience de leur existence » et investir les syndicats et les partis. Quant à ces structures, il faut qu’elles ouvrent davantage leurs portes. Certes, c’est une solution. Cela nous entraîne vers un autre débat, dont la phrase introductive pourrait être celle, conclusive, de Louis Chauvel, rappelant un des principes de responsabilité d’Hans Jonas : « notre responsabilité (…) est d’œuvrer pour ouvrir (aux nouvelles générations) un avenir au moins aussi bénéfique que le présent dont nous disposons, et surtout de nous abstenir d’accroître notre bonheur présent, s’il doit induire le malheur des générations avenir. » (p 258).
Valérie Becquet
Les Cahiers du Germe trimestriel, n° 10, 1999