Caroline BARRERA, Etudiants d’ailleurs. Histoire des étudiants étrangers, coloniaux et français de l’étranger de la Faculté de droit de Toulouse (19e siècle-1944), Albi, Presses du Centre universitaire Champollion, 2007, 240 p.
Les travaux historiques sur les facultés provinciales et sur les étudiants étrangers qui les ont fréquentées sont suffisamment rares pour qu’on remercie Caroline Barrera, enseignante au centre universitaire d’Albi, organisatrice du colloque « Etudier ailleurs, étudier malgré tout » (Toulouse, 4-5 octobre 2007) et proche du GERME, de s’être lancée dans l’étude des « étudiants d’ailleurs » (étrangers et coloniaux) à la faculté de droit de Toulouse du 19e siècle à 1944. On peut regretter qu’elle n’ait consacré son étude qu’à une seule faculté toulousaine, celle de droit. Caroline Barrera s’en explique en précisant que cet établissement est la plus importante faculté de province et que les étrangers y sont très présents. Mais surtout les archives de la faculté de droit sont exceptionnellement riches, en comparaison avec celles de nombreux établissements universitaires.
Le nombre de ces étudiants, presque insignifiant au 19e siècle, devient important avant et surtout après la Grande Guerre, atteignant la centaine en 1930 (10% de l’effectif étudiant) pour se réduire considérablement dans les années 1930 (12 en 1938-1939). En cause, aussi bien la crise économique que le changement d’attitude des autorités politiques et universitaires à l’égard des étudiants étrangers (fermeture de certaines professions aux non-nationaux). La demande de formation supérieure de certains pays ou de certaines catégories de jeunes explique aussi ces variations, à Toulouse comme dans d’autres villes universitaires. Caroline Barrera pointe les vagues successives de candidats aux études supérieures en France dans le siècle et demi qu’elle étudie : les réfugiés polonais dans les années 1830 et en 1863, suivis par la vague des sujets de l’Empire russe (Polonais, Ukrainiens, Lithuaniens et Russes) dès les années 1880 ; les Roumains entre 1867 et 1892, les Bulgares et les Egyptiens à la fin du 19e siècle ; après la première guerre mondiale et la création de l’URSS, on voit arriver à Toulouse des Ukrainiens, des Serbes, des Russes bien sûr, des Egyptiens, des Lithuaniens, des Chinois, des Turcs, des Perses, etc. Les étudiants issus des colonies ne sont par contre jamais très nombreux dans la Ville rose.
La qualité des archives de la Faculté de droit ainsi que l’utilisation des sources écrites, en particulier les témoignages de grands anciens (Gaston Monnerville, Sammy Beracha, Vladimir Ghika), permettent à l’auteure une présentation passionnante de la vie quotidienne de ces étudiants d’ailleurs : les relations guère faciles avec les camarades français, leur participation aux associations (notamment l’AGET) et aux partis politiques, leurs organisations propres, les clubs franco-étrangers, et bien sûr les problèmes de la vie matérielle : se loger, se nourrir, se divertir. Dans son chapitre intitulé « étudiant d’ailleurs au pluriel », Caroline Barrera esquisse une typologie de ces étudiants : l’étudiant en exil, l’étudiant colonial, le Français de l’étranger, l’étudiante d’ailleurs, l’étudiant-résistant, l’étudiant-révolutionnaire, l’étudiant-soldat, l’étudiant riche, l’étudiant pauvre. Autant de situations différentes d’un point de vue économique, culturel et politique que l’on retrouve dans tous les « quartiers latins » de notre pays.
Enfin, Caroline Barrera fait un sort particulier à deux catégories d’étudiants étrangers qui marqueront la vie universitaire toulousaine : les Américains, reçus avec enthousiasme après la Grande Guerre, et les étudiants juifs, notamment russes, polonais, roumains ou serbes, plutôt bien accueillis à Toulouse avant le changement de contexte des années 1930. Quelques pages évoquent leur persécution sous le régime de Vichy. L’ouvrage se termine par la question de leur avenir professionnel après les études de droit à Toulouse, question sur lesquelles les sources ne sont guère prolixes. Si la plupart probablement retournent travailler dans leur pays d’origine, certains entament la difficile implantation en France, qui leur impose la naturalisation, une démarche toujours aléatoire. D’autres poursuivent leur migration universitaire et continuent leurs études sous d’autres cieux. Enfin, certains maintiennent des liens avec Toulouse en partageant leur vie professionnelle entre leurs deux patries.
Pierre Moulinier
Les Cahiers du Germe n° 27 2008