Alain COULON, Saeed PAIVANDI, Les étudiants étrangers en France : l’état des savoirs, Rapport pour l’Observatoire national de la Vie Étudiante (OVE), Université Paris 8, mars 2003, 50 p.
Le rapport sur « l’état des savoirs » relatifs aux étudiants étrangers rédigé par Alain Coulon et Saeed Paivandi est une véritable mine pour tous ceux qui s’intéressent à cette question. Ce rapport comprend notamment une bibliographie de sept pages, ainsi qu’une analyse statistique préalable particulièrement fournie de cette population. Les rédacteurs de ce rapport sont tous deux enseignants en sciences de l’éducation à Paris 8, – université dont on sait qu’elle compte la plus forte proportion d’étudiants étrangers en France – , et le second (Saeed Paivandi) est lui même auteur d’une thèse de sciences de l’éducation, consacrée aux étudiants iraniens . Dans leur revue de la bibliographie sur le sujet, les auteurs remarquent d’ailleurs que nombre des travaux portant sur la question des étudiants étrangers, et notamment des thèses, sont le fait d’étudiants étrangers. Ces thèses, qui très souvent sont des monographies portant sur les ressortissants d’un pays, ou d’une région géographique déterminée, – dont l’étudiant est lui-même membre- , se répartissent principalement entre cinq disciplines : linguistique, sociologie, psychologie, sciences de l’éducation et histoire. Comme le soulignent les auteurs du rapport, ces travaux ont une faible visibilité, d’où l’intérêt d’en parler plus avant.
- Qui sont les étudiants étrangers en France ?
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Définir ce qu’est un étudiant étranger n’est pas évident. En effet, un étudiant peut très bien avoir une nationalité étrangère mais être un résident non permanent du pays d’accueil, ou issu d’une famille étrangère qui réside dans le pays d’accueil. D’où l’intérêt de la distinction entre « étrangers résidents » et « étrangers en situation de mobilité ». Ainsi pour l’UNESCO : « un étudiant étranger est une personne inscrite dans un établissement d’enseignement supérieur ou d’un territoire où elle n’a pas sa résidence permanente ». Il semblerait qu’en France aujourd’hui, près d’un tiers des ressortissants étrangers inscrits dans l’enseignement supérieur sont des résidents. On le voit, la catégorie « étudiant étranger » ne possède qu’une unité nominale et la suite de l’analyse révélera qu’on a à faire ici à une population extrêmement diversifiée, tant par ses origines, ses pratiques, que ses projets, ce qui n’est pas sans poser problème pour qui s’intéresse scientifiquement à celle-ci.
Si l’on s’en tient à la définition traditionnelle de l’étudiant étranger (étudiant de nationalité étrangère), il apparaît qu’en 2001/2002 en France les étrangers constituent 9% de la population étudiante de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, et 11,5% des effectifs de l’Université française. Pendant longtemps la France a occupé la deuxième place, derrière les Etats-Unis, parmi les pays d’accueil des étudiants étrangers dans le monde. Mais depuis 1993, elles a été dépassée par l’Allemagne et le Royaume-Uni. Aujourd’hui, les Etats-Unis accueillent près d’un étudiant étranger sur trois dans le monde, et l’on observe aussi la montée de nouveaux acteurs régionaux comme l’Australie, ou le Japon.
L’analyse des flux révèle que 62% des étudiants étrangers dans le monde sont originaires des pays du Sud et poursuivent leurs études dans les pays du Nord (migration Sud/Nord), 30% de ces étudiants viennent d’un pays du Nord et se déplacent dans un autre pays du Nord (migration Nord/Nord) et 8% des étudiants étrangers du Sud étudient dans un autre pays du Sud (migration Sud/Sud). Ces chiffres soulignent bien la non réciprocité des échanges internationaux en la matière. En effet, ce sont principalement les étudiants du Sud qui viennent étudier dans le Nord, et non l’inverse.
Quand on examine de plus près les destinations des étudiants étrangers, il apparaît que les Asiatiques vont essentiellement aux Etats-Unis, en Australie, au Japon ou au Royaume-Uni, les Africains s’adressent aux universités française, tandis que les Européens vont au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Etats-Unis. Concernant l’Afrique, une analyse plus fine révèle que celle-ci envoie donc prioritairement ses étudiants en France : 41% des étudiants africains à l’étranger choisissent la France, 14% vont aux Etats-Unis, 9% en Allemagne et 8% au Royaume-Uni. Alors que 51% des étudiants étrangers dans les universités françaises sont africains, ils ne sont que 6% aux Etats-Unis, 8% au Royaume-Uni et 10% en Allemagne. De même on observe, – francophonie oblige sans doute -, que le Canada et la Belgique comptent également beaucoup d’Africains parmi leurs étudiants étrangers. Manifestement, la mobilité des étudiants étrangers est fortement déterminée par les rapports de domination, tant économique, scientifique que culturelle, structurant les échanges internationaux. De même l’histoire, et notamment celle de la colonisation, joue un rôle non négligeable. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans peser sur les travaux de recherche des étudiants étrangers, notamment en sciences humaines et sociales.
Si on s’intéresse plus précisément au cas français, on observe qu’en fonction de leur origine, les étudiants étrangers ne font pas les mêmes choix de filières d’études. Ainsi en 2001-2002, les Américains (59%) et les Européens (48%) s’orientent principalement vers les lettres et sciences humaines (faut-il y voir un effet du prestige de la « culture française » dans ces pays ?), tandis que les filières scientifiques et techniques sont très recherchées par les étudiants d’origine maghrébine (43%) et les disciplines économiques, juridiques et de gestion par les Africains (41%). Il serait possible alors de distinguer entre une quête de « connaissance générale », ou culturelle au sens large, et la recherche de connaissances appliquées, ou plus directement opérationnelles. Ainsi, les auteurs du rapport citent un travail déjà ancien de M-C Viguier selon lequel « très peu, parmi les étudiants du Tiers monde, sont venus dans le seul but de connaître la culture française, alors que ce motif est invoqué par la quasi totalité des étudiants occidentaux ».
Concernant la répartition par cycle, il apparaît qu’en France les étrangers se répartissent à peu près également selon les 3 cycles (36% en 1er cycle, 33% en second cycle et 31% pour le 3ème en 2001). Mais les Africains s’inscrivent plus massivement en premier cycle, les Européens en second cycle, et les Asiatiques et les Maghrébins en 3ème cycle. On observe ainsi des usages sociaux, mais sans doute aussi professionnels, culturels, etc., fortement différenciés des études universitaires selon la nationalité des étudiants. Enfin concernant leur répartition géographique, il apparaît que les étudiants étrangers sont plus particulièrement concentrés en Ile de France (et notamment l’académie de Créteil), puis dans l’académie de Strasbourg, ainsi que celle de Montpellier.
Parmi les déterminants de la mobilité étudiante transnationale, on peut mentionner l’influence de facteurs « centrifuges » tels que la mauvaise qualité des universités locales, la défaillance de l’offre de formation dans une discipline et à un niveau donné, les situations de crise (guerre, crise économique ou politique dans le pays d’origine, etc.), la politique des bourses, les accords de coopération internationaux, etc. En fait, les raisons de cette mobilité sont souvent multiples, d’où l’impossibilité de parler du cas des étudiants étrangers en général, sans spécifier à chaque fois la nationalité, comme le milieu social considérés. Ainsi pour les étudiants maghrébins par exemple, elle est au moins toujours double, à la raison universitaire s’ajoutant aussi une raison « sociétale ». La gratuité de l’enseignement supérieur en France, ainsi que les aides sociales aux étudiants (aide au logement, restaurant universitaire), contribuent aussi à orienter les flux.
La politique française d’accueil des étudiants étrangers a évolué dans le temps. A une période d’ouverture consécutive à la décolonisation, a succédé à partir du début des années 1980 une politique beaucoup plus restrictive qui n’est pas sans rappeler celle appliquée vis-à-vis de l’immigration en général. Ainsi dès 1974, le rapport Dischamps propose de donner la priorité aux étudiants des pays européens et des grands pays à technologie avancée, avec lesquels il y a la possibilité d’obtenir « la réciprocité des avantages ». Ainsi s’instaure l’idée d’accueillir en priorité « de bons étudiants étrangers », et notamment les plus solvables d’entre eux, phénomène que la « marchandisation » contemporaine de l’enseignement supérieur contribue sans doute à amplifier. Mais les tropismes économiques, culturels, historiques, linguistiques, politiques et autres sont tels que la situation ne se modifie que lentement, et ce malgré un investissement récent important dans les programmes d’échanges européens (Erasmus, Tempus, Lingua).
2. Les parcours des étudiants étrangers.
La plupart des travaux soulignent que les universités françaises ne sont pas bien préparées pour l’accueil des étudiants étrangers. On peut même parler d’absence de politique d’accueil, les étudiants étrangers éprouvant ensuite souvent un fort sentiment d’isolement lors de leur séjour. En fait, l’université est peu « intégratrice » et donne l’image d’un univers faiblement organisé. De même, l’orientation scolaire étant déjà un casse tête pour nombre d’étudiants français, on comprend que le problème soit redoublé pour les étudiants étrangers, et notamment pour ceux provenant de systèmes scolaires/universitaires très différents du modèle français (Indiens, Japonais, etc.). En fait, les étudiants étrangers ont une double affiliation à accomplir : l’une parce qu’ils sont souvent de nouveaux étudiants, l’autre parce qu’ils sont étrangers. Concernant les questions d’orientation, les principaux informateurs des étudiants étrangers sont généralement leurs compatriotes déjà installés en France. Sous la pression des contraintes extérieures, nombre d’entre eux sont obligés de changer leurs projets d’études, et souvent ce n’est pas l’intérêt intellectuel, personnel ou professionnel qui prime, mais la « faisabilité » du projet.
Les résultats académiques des étudiants étrangers sont généralement moins bons que ceux des étudiants français. Les redoublements et les retards sont importants. L’obstacle de la langue joue un rôle non négligeable, ainsi que les conditions matérielles difficiles dans lesquelles vivent nombre d’entre eux, et qui obligent une bonne part à travailler pour financer leurs études. Mais ici encore, toute généralisation est abusive. En effet, il n’y a guère de rapport (au sens propre, comme au sens figuré d’ailleurs) entre un étudiant Erasmus financé provenant d’un autre pays européen, et effectuant un passage d’un an au plus en second cycle dans une université française, et un étudiant algérien ou marocain d’origine populaire souhaitant obtenir le plus haut niveau de diplôme possible (Doctorat) et sur lequel le poids des nécessités économiques pèse autrement plus lourd, ce qui conduit d’ailleurs parfois au sacrifice des études. En fait, et notamment pour les étudiants issus des pays les plus pauvres, la distinction entre migration pour des raisons intellectuelles, académiques, de formation, etc., et migration économique (ou « sociétale ») n’est pas toujours évidente. De même, on soulignera l’importance des problèmes de logement, nombre d’étudiants étrangers, notamment en région parisienne, rencontrant les pires difficultés pour se loger. D’où un recours important à la cohabitation.
Pour beaucoup d’étudiants originaires des pays du Sud, l’expérience française signifie la découverte de la démocratie universitaire et de la liberté d’expression. De même, les libertés académiques dans le choix des sujets de recherches, et ce plus particulièrement en sciences sociales et humaines, fascinent nombre d’entre eux provenant de pays où l’autonomie académique n’existe guère et reste donc à construire. Cela dit, certains ne sont pas non plus sans dénoncer la domination symbolique, comme l’ethnocentrisme, auxquels ils sont de facto soumis en venant faire leurs études en Occident. Ainsi V. Zuniga, un chercheur d’origine mexicaine, souligne que l’emprunt systématique des notions toutes faites, sans aucune considération critique, sans aucune référence à leurs conditions de production, à leur genèse et à leur fonction, constitue la première forme de soumission de l’étudiant du Tiers-Monde. L’auteur pense également que la retraduction de la problématique de ces pays dans les termes des préoccupations des chercheurs des pays développés constitue une forme d’expression de la conscience soumise. La production scientifique des étudiants étrangers se trouve alors prise dans les rets de la domination symbolique transnationale.
Nombre de travaux consacrés aux étudiants étrangers s’intéressent au sens de l’expérience culturelle que représente pour eux la poursuite d’études dans un autre pays que le leur. Ainsi, le fait de vivre entre deux cultures, deux systèmes de normes, valeurs, n’est pas sans provoquer parfois un véritable « choc culturel », ou des troubles « psychologiques ». Mais si certains chercheurs ne voient que « les difficultés » dans le vécu des étrangers, d’autres sont attentifs aussi aux aspects positifs de l’expérience. Il y a en effet de la place entre le misérabilisme et l’expérience enchantée. Certains auteurs distinguent ainsi deux stades dans l’expérience de l’étudiant étranger. Le premier est celui de la séparation observée en début de séjour, qui se présente comme un conflit d’ambivalence, l’émergence d’un sentiment de perte, de culpabilité, qui réactive d’autres expériences de séparation. Le second est celui de la désillusion, dans la mesure où, chez tous ces étudiants, on observe l’existence d’un mythe de la France. A ces deux temps, il serait possible d’en ajouter un troisième se présentant sous la forme d’une conciliation, plus ou moins réussie, entre culture d’accueil et culture d’origine. Décrivant l’expérience d’étudiants originaires d’Asie, une chercheuse parle ainsi d’étudiants expérimentant un conflit des valeurs entre Orient et Occident, ou entre tradition et modernité.
Ce conflit entre tradition et modernité est récurrent et trouve notamment à s’exprimer au travers du rapport à la religion. En effet dans les moments de crise consécutifs au déracinement culturel, la religion offre parfois une ressource identitaire aux étudiants. Comme le souligne un chercheur parlant des étudiants africains , elle peut être une manière de se préserver psychologiquement face à la crise identitaire qui survient au cours du séjour en France et de surmonter, pratiquement le « choc culturel » consécutif de la rencontre de deux cultures. En fait, l’adaptation à une nouvelle culture est un processus très lent et un chercheur d’origine africaine affirme à ce propos qu’un « minimum de quatre années de séjour est indispensable pour que l’étudiant étranger se sente relativement adapté au nouveau groupe social ».
Parmi les facteurs positifs de l’acculturation, les auteurs mentionnent la prise de conscience de la diversité des cultures occidentales, du relativisme, et en même temps la revalorisation de leur culture d’origine. Cela dit, nombre d’étudiants étrangers, notamment originaires du Sud, soulignent les aspects négatifs de la vie occidentale : matérialisme, excès de la société de consommation, valeur hypertrophiée de l’argent, gaspillage et surtout individualisme. Selon l’expérience que nous en avons en tant qu’enseignant à l’université de Paris 8, il semble aussi que beaucoup soient choqués par la trop grande « permissivité » sexuelle régnant, de leur point de vue, en Occident. On voit alors que l’ethnocentrisme n’est pas réservé qu’aux seuls Occidentaux.
La question du retour au pays d’origine
La question de l’exode des compétences, ou de « la fuite des cerveaux » est déjà ancienne, puisqu’elle date des années 1960. Dans le cadre des politiques d’aide au développement des pays du Tiers monde, la migration des étudiants du Sud vers le Nord était initialement censée, par la production d’un personnel qualifié retournant ensuite dans son pays d’origine, contribuer au développement du Sud. Or, un rapport de l’UNESCO du début des années 1960 soulignait déjà que « ce sont les pays sous-développés qui, chaque année, fournissent des médecins, des ingénieurs, des professeurs, aux pays industriels », phénomène confirmé ensuite par d’autres enquêtes. Le retour ne s’effectue donc pas dans les proportions escomptées. A cela, il y aurait deux raisons. La première serait professionnelle et économique (les diplômés ayant peu de chances, en raison de la crise endémique dans laquelle sont plongés leur pays d’origine, de trouver un emploi correspondant à leur niveau de qualification) et la seconde culturelle. En effet, une partie de ces non-retours s’expliquerait par les difficultés liées à la réadaptation dans le pays d’origine, une fois les études achevées. En rentrant chez lui, l’étudiant doit faire face un problème important qui est celui du « transfert des connaissances acquises et l’essai de synthèse entre les valeurs étrangères et indigènes, et ceci dans le cadre du travail, de la politique, de la famille ainsi que dans la vie quotidienne ». On retrouve alors les problèmes traditionnellement rencontrés par les populations immigrées au sens large et qui en font des étrangers dans leur pays d’accueil, comme dans leur pays d’origine.
Comme le lecteur aura pu le remarquer ce rapport, tant par sa densité que par l’extension de son propos, offre une belle introduction à la question des étudiants étrangers. Sa lecture est donc à recommander à tous ceux souhaitant s’initier à peu de frais à cette question, et contribuer aussi par là à rompre l’isolement dans lequel vivent nombre d’étudiants étrangers. Et de fait, on peut penser qu’une meilleure connaissance réciproque est gage d’échanges plus enrichissants, pour les uns comme pour les autres. Car au travers des étudiants étrangers, c’est bien le monde entier qui se presse dans les universités françaises. Et le regard que ceux-ci sont susceptibles de porter sur notre société, culture, peut nous aider à rompre avec l’ethnocentrisme, ou mieux encore « l’occidentalisme » spontané, dans lequel nous sommes le plus souvent inconsciemment enfermés. Mais comme on l’a vu plus haut, le biais ethnocentrique n’est pas réservé aux seuls Français, et l’on voit tout le travail qui reste à faire pour accéder à une compréhension réciproque un peu plus fine, – et surtout sans jugement de valeur -, de la culture de l’autre. Cet effort de rupture avec nos adhérences préréflexives est d’ailleurs le moins qu’on puisse attendre de la part des praticiens des sciences de l’homme… D’où l’intérêt de la question des étudiants étrangers qui, de question simplement sociale, migratoire, politique (ou commerciale…), gagnerait aussi à être pensée comme une question permettant de poser, – mais de manière concrète et empirique -, tout une série de problèmes d’ordre épistémologique fondamentaux pour les sciences de l’homme.
Charles Soulié
Les Cahiers du GERME n° 25 mai 2005