Gilles MOREAU (coordonné par), Les patrons, l’Etat et la formation des jeunes.La dispute. Paris. 2002. Comme le souligne dans son introduction Gilles Moreau, «les historiens nous apprennent que ces transformations récentes ne sont pas nouvelles (…) elles rejouent, sur le theatre contemporain, en habits d’aujourd’hui, une pièce aussi ancienne que l’enseignement professionnel lui-meme, celles des rapports complexes et souvent conflictuels que n’ont jamais cessé d’entretenir à son propos l’école et l’entreprise». Nous ne saurions rester indifférents à la question de la formation professionnelle et de «l’insertion», question qui est au cœur le plus souvent – que ce soit de manière formulée ou, au contraire, latente – des mobilisations de la jeunesse scolarisée sur les questions de «sélection», de «dévaluation des diplomes», etc… L’intérêt de cet ouvrage collectif[1] c’est qu’il examine sous différents aspects (et pour diverses périodes) la manière dont l’Etat a été investi par les organisations ouvrières de défendre la formation professionnelle – au travers de l’enseignement public, de diplômes à valeur nationale et reconnus – face au(x) patronat(s), plutot soucieux de rentabilité immédiate.
L’affrontement n’est pas nouveau entre les deux conceptions, qui se dénigrent parfois outrageusement : les diplômes seraient pour les uns «bidons», les connaissances scolaires «inutiles», tandis que pour d’autres la formation sur le tas, y compris apprentissage et stages seraient une surexploitation systématique. Nous avons vu, dans les manifestations étudiantes et lycéennes ces dernières décennies, la dénonciation des «stages-bidon», de la soumission de l’école au marché et au patronat, mobilisations qui se plaçaient sous la bannière de l’indépendance de l’enseignement. Mais nous avons aussi rencontré parmi les acteurs étudiants et lycéens un discours de dénonciation d’une école coupée de la vie réelle (par exemple dans les «années 68»), discours qui a pu etre repris à leur profit par une partie du patronat mais aussi par les autorités administratives et politiques. La multiplication des stages en est une preuve manifeste.
Les formes du conflit ont néanmoins connu une profonde transformation. Par exemple, l’allongement de la scolarité, la création de nouveaux diplômes tels le BEP, les Bac Pro (voir contribution d’Antoine Prost), ou l’extension de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur (Prisca Kergoat). La possibilité d’ouverture concorde avec l’aspiration des couches populaires à des études générales longues qui apparaissent aussi bien de promotion que protectrices face au chmage alors que – effet pervers – des filières sélectives (IUT par exemple) laissent sur le carreau les publics qu’ils étaient censés accueillir. Vincent Troger souligne la perte du «ciment identitaire» qui existait dans l’enseignement professionnel face à la multiplication des diplomes (CAP – BEP – BTS – DUT….), et à la «dilution» dans le système scolaire général
Il est vrai qu’entre allongement de la scolarité d’une part et développement de l’apprentissage de l’autre, il y a t’il encore place – comme ce fut le cas dans les années 70 – à un mouvement spécifique du «technique»? En mai 68, s’étaient multiplié les CAET (Comités d’action de l’enseignement technique). En 1973 et dans les années qui suivent, il y a des coordinations du technique – puis des organisations («Ceux du Technique», CP-CET puis CP-LEP) – distinctes des lycées généraux. Durant toutes les années 1970, des grèves annuelles touchaient les IUT en février pour la reconnaissance des diploômes dans les conventions collectives. Avec la massification consécutive aux années 1980 et à l’objectif des «80% au niveau bac», il semble bien y avoir eu «dilution» de cette spécificité du technique. Mais on pourrait considérer qu’avec la massification, il y a eu «contagion», car finalement les mouvements étudiants et lycéens vont en partie adopter les revendications «professionnelles et les formes d’expression, alors que les «héritiers» recherchent d’autres filières de distinction.
La définition des programmes, l’organisation des cursus et des stages, les projections dans l’avenir, comptent dans les conditions de vie et d’étude des jeunes scolarisés, et pour leurs mobilisations. De telles recherches ne peuvent en conséquence nous laisser indifférents.
Robi Morder
Les Cahiers du Germe trimestriel – N° 22-23-24 – 2°-3° et 4° trimestres 2002
[1] (Catherine AGULHON, Christian BAUDELOT, Stéphane BEAUD, Jean-Pierre BRIAND, Guy BRUCY, Pascal CAILLAUD, Henri ECKERT, Nathalie FRIGUEL, Prisca KERGOAT, Fabienne MAILLARD, Gilles MOREAU? Antoine PROST, André D. ROBERT, Marc SUTEAU, Daniel TACAILLE, Lucie TANGUY, Anne THEBAUD6MONY, Vincent TROGER)