lecture : Jean-Yves Sabot, Le syndicalisme étudiant et la guerre d’Algérie

Jean-Yves SABOT, Le syndicalisme étudiant et la guerre d’Algérie, l’Harmattan, 1995, 276 p, prix non indiqué. Le titre  ne doit pas induire en erreur: Le syndicalisme étudiant et la guerre d’Algérie  n’est pas une histoire de l’UNEF face à la guerre d’Algérie, non plus que de l’influence du mouvement étudiant sur l’ensemble de cette guerre sans nom. Certes, l’auteur livre en passant son hypothèse personnelle sur l’évolution d’ensemble du mouvement étudiant, sous la forme d’une interprétation et périodisation nouvelles (et différentes de celles proposées par Yolande Cohen et Claudie Weil dans «Entre socialisme et nationalisme, les mouvements étudiants européens», Le Mouvement Social, n°120, juillet-septembre 1982),  sur laquelle bien sûr il y aurait à dire: on aurait, des origines à la Libération, soumission des AGE aux pouvoirs publics et répression du politique, puis émancipation sur un mode syndical unitaire de 1946 à la fin des années Soixante, enfin émiettement politique jusqu’à nos jours

Mais l’essentiel est ailleurs. Dans cette étude, qui reprend sa thèse de science politique, J.Y. SABOT analyse le cas de l’Association Générale des Etudiants de Grenoble de 1954 à 1962, qui fut une des composantes les plus importantes  et dynamiques de l’UNEF pendant les années algériennes, et  s’appuie sur ses abondantes archives. Comme contre-épreuve il examine également l’Association Générale de Dijon, au rôle moindre à tous égards. De plus il a interrogé de nombreux anciens syndicalistes étudiants, principalement grenoblois et dijonnais. Ce parti pris local, qui est sans doute l’élément le plus inédit, entend permettre de mieux cerner l’engagement syndical à ses origines, de mieux suivre les responsabilités ultérieures des syndicalistes étudiants, enfin de situer l’action sur la guerre d’Algérie parmi les autres aspects de l’activisme étudiant. S’il confirme les grandes lignes de ce qui était connu au plan national[1], il y ajoute des variantes locales: dans le cas de Grenoble l’importance du courant chrétien s’exerce non au travers de la JEC, mais du Cercle Catholique Universitaire; de même il offre l’exemple d’une Association générale dominée par des étudiants en sciences, alors que la gauche  étudiante est ailleurs le plus souvent animée par des littéraires, et la droite  par des juristes. En revanche la relativisation de la place prise par la guerre d’Algérie dans la vie de l’AGE, manifeste avant 1959 dans la presse et les débats étudiants, aurait gagné à être interrogée auprès des dirigeants: ne s’agissait-il pas pour eux, avant qu’éclate l’affaire des sursis, d’ «y penser toujours, en parler jamais» ?

Surtout, au delà d’une monographie locale, J.Y. SABOT analyse «l’entrée d’une génération en politique et la formation d’une élite», politique s’entend. L’emploi de  la clé générationnelle le mène à ne pas considérer l’UNEF pour soi, mais plutôt à la disséquer comme  lieu de formation et de production  de valeurs et de comportements socio-politiques. La notion de génération étudiante de la guerre d’Algérie, qu’il juge discutable, est plutôt découpée en strates diverses, en particulier celle prudente de 1954-1956 et celle plus enflammée de 1959-1961. Mais l’ensemble se situe au sein d’une continuité sociologique d’un monde étudiant encore élitaire et fermé entre 1946 et 1962 où s’insère une génération plus resserrée, militante et homogène, unie sur un projet syndical social-démocrate; en cela J.Y. SABOT doute d’une «communauté d’empreinte entre 1956 et 1968», y voyant plutôt une «communauté militante» née en 1946, que désagrègent, à Grenoble comme ailleurs, la nouvelle structuration de l’Université comme la fin du conflit algérien.

Suivant les militants au delà de leurs études supérieures, J.Y. SABOT examine leurs trajectoires professionnelles et politiques sur les trente dernières années.  Préférant le plus souvent le secteur public au secteur privé, cette génération ayant reçu à l’Association générale une formation comparable à celle d’une école de cadres, en a gardé la fibre associative, d’autant qu’elle était dotée d’une aisance matérielle et intellectuelle, et assurée de son avenir; «génération d’administrateurs», frottée aux tâches de gestion assurées par le syndicalisme étudiant, elle s’est engagée politiquement, le plus souvent dans les rangs du P.S., contribuant au renouvellement des élites politiques nationales et locales. La continuité des engagements est bien mise en lumière, au prix peut-être d’un parallélisme forcé entre les fonctions de responsable d’association d’étudiants et celles de maire d’une commune moyenne.

Une étude éclairante, et qui devrait trouver des prolongements avec l’entreprise en cours pour 1940 à 1968 du Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier français, qui doit intégrer les syndicalistes étudiants dans son corpus.

Alain Monchablon

Les Cahiers du Germe (trimestriel) N° 1 – 4° trim 1996



[1] cf Alain Monchablon: Histoire de l’UNEF de 1956 à 1968, PUF, 1983.

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