Le congrès de l’UNEF qui se tient du 3 au 8 avril 1945 au Splendid Hôtel de Dax, sous la responsabilité de l’AGE de Bordeaux, est considéré comme le « dernier congrès d’avant-guerre » tant la dimension folklorique et festive semble primer sur le travail. D’ailleurs, Pierre Rostini l’évoque au congrès suivant (Grenoble 1946, celui de la « charte de Grenoble ») : « je vous demanderai d’apporter à votre travail, cette fois-ci, beaucoup de sérieux, beaucoup de bonne volonté […] l’expérience du dernier congrès de Dax nous a un peu déçus »[1]. L’ordre du jour comprend en effet un vin d’honneur et un banquet d’ouverture le premier jour, un dîner suivi d’un spéctacle le 4 avril, un déjeuner puis une excursion l’après-midi le 6, un apéritif-concert le 7 et le dernier jour, dimanche 8 avril, la messe solennelle, cérémonie au monument aux morts, réception à la mairie de Dax, un banquet officiel et enfin une partie artistique et tauromachique aux arènes conclût le 34e congrès.
Toutefois, le compte-rendu de 192 pages[2], s’il ne nous dit pas séance par séance l’assiduité des congressistes, aborde des questions stratégiques, qui seront en réalité tranchées au congrès suivant. Rappelons d’abord qu’au moment du congrès la guerre n’est pas terminée – il faut attendre encore un mois que Berlin capitule -, et que les étudiants en déportation, en captivité et dans l’armée ne sont pas revenus dans les facultés ni dans les AGE. Bien que le congrès extraordinaire de novembre 1944[3] ait été ouvert par le ministre de l’Éducation nationale, René Capitant, et qu’un protocole d’accord y a été signé entre l’Union des étudiants patriotes et l’UNEF, l’organisation n’a pas tout à fait repris sa place d’avant-guerre. C’est Rosier lui-même, représentant le ministère au congrès de Dax, qui informe les délégués de l’existence de la commission Langevin-Wallon qui prépare la réforme de l’enseignement, qu’elle a presque fini ses travaux, et qu’il faut «vous dépêcher […] Il faut que vous obteniez votre présence à la Commission Langevin, c’est important ». Le congrès, reçoit des messages du FUJP et de l’UEP, lus en fin de congrès, au banquet, où la plupart des « officiels » prennent la parole : M. Phalempin, préfet des Landes, qui fournit les excuses officielles des ministres des Affairés étrangères, de l’Éducation nationale, représenté par M. Rosier[4], du Commissaire régional de la République (représenté par son directeur de cabinet, le préfet Maurice Papon). M. Teitgen, ministre de l’Information, intervient, ainsi que Lescure – ancien responsable de l’UNEF et un des acteurs importants de la manifestation étudiante du 11 novembre 1940[5] représentant l’UJRF.
Réformer l’UNEF

Emmanuel Villedieu
La séance du 4 avril après-midi – elle aurait du s’ouvrir le matin – a pour objet « la réforme de l’UN », c’est occasion de revenir sur le bilan de l’UNEF pendant la guerre et la situation des AGE confrontées à la concurrence de la FFEC, des organisations issues de la résistance, des menaces qui pèsent sur la représentativité de l’UNEF par le projet d’élections de bureaux étudiants de la faculté à l’échelle nationale. La délégation de Lyon, forte de 1400 adhérents et dont Miguet[6] est le porte-parole, porte des jugements très critiques sur l’action (ou les abstentions d’action) du bureau de l’Union. Les Lyonnais interrogent : est-ce que les dirigeants ont défendu l’intérêt de l’organisation ou celui des étudiants ? Le président Villedieu, tout comme Louis Laisney qui, lui, avait été aussi dans la résistance, defendent le bilan car « il fallait que l’UN tienne à tout prix », c’est-à-dire qu’il fallait qu’elle reste dans la légalité pour accomplir ses missions. Les Lyonnais préconisent le dépassement de l’UNEF par des « bureaux élus par les étudiants ». Cette position est soutenue par des délégués des AG de Montpellier (dont le président est membre de l’UEP), Rouen, Bordeaux et Marseille.
L’élection du bureau
L’élection du bureau, poste par poste, fait apparaître, au moins pour deux postes, deux sensibilités : l’une plutôt critique et rénovatrice, l’autre plus traditionnelle, sans que cela soit explicite. Pour la présidence, Pierre Rostini est présenté – face au président sortant, Villedieu, par Bellot « au nom de Clermont-Ferrand » ; Strasbourg et Marseille soutiennent, ainsi que Lyon. Rostini explique qu’il a le même programme que Villedieu, mais que lui, il fait le travail à Paris (sous-entendu, Villedieu est peu présent)[7]. Sur le fond, il « estime que l’UNEF doit devenir plus revendicative pour tenir compte des transformations ». Au premier tour Villedieu obtient 87 voix, Rostini 86. Au deuxième tour avec 98 voix, Villedieu obtient la présidence. Rostini est élu 1er vice-président à l’unanimité, chargé des relations extérieures. Pour l’autre poste, l’élection de la vice-présidente féminine oppose au 2e tour Melle (sic) Villequiez à Melle Sirère qui est « de la même tendance que Rostini », Miguet la soutient. Villequiez est élue avec 90 voix contre 71.
De Dax à Grenoble… et Prague
Paradoxalement, le congrès de Dax a été plus « politique » que celui de Grenoble, puisque y était en jeu la survie de l’organisation étudiante. En tous cas, la délégation lyonnaise, et Miguet, ont – à la lumière des débats et rencontres du congrès – évolué, convaincus que l’UNEF, à condition de se réformer et de transformer ses structures, sera le cadre d’action adéquat dont les étudiants ont besoin, et approuvent la position de Villedieu de créer des cercles d’études corporatives dans les AGE.
En ce qui concerne la dimension internationale, des délégués belges et hollandais assistent au congrès. Villedieu charge Rostini et Laisney, secrétaire général, de suivre ce dossier[8]. Une réunion des nations alliées se tient à Londres en avril 1945. Rostini y représente l’UNEF et constate que la plupart des organisations étudiantes considèrent l’ancienne CIE est dépassée. Le projet de Villedieu, qu’il avait présenté dans son rapport introductif au congrès, de ranimer la Confédération Internationale des Étudiants (CIE) d’avant-guerre ne serait soutenu, le cas échéant, que par quelques rares délégations étrangères. Fin 1945 Villedieu sera écarté des délégations internationales. En 1946 le congrès de Grenoble[9] en avril et la constitution de l’UIE à Prague en août[10] marquera la victoire des Lyonnais et d’une nouvelle génération.

Pierre Rostini, le premier assis à gauche
[1] Discours d’accueil de Pierre Rostini, 21 avril 1946,
[2] Ours, fonds Michel de la Fournière, 93 APO 4.
[3] Voir sur notre site « il y a 70 ans le congrès extraordinaire de l’UNEF »,
[4] Au cours du congrès, Rosier intervient surtout en tant « qu’ancien » de l’UNEF – il a été président de l’AGE de Lyon, puis du bureau national dans les années 1920 – plus que comme représentant du ministère.
[5] À noter, Lescure ne fait aucune mention du 11 novembre 1940. Le seul qui en parle est le sous-préfet de Dax, M. Chapel, qui y consacre la quasi-totalité de son message.
[6] Miguet, étudiant en médecine, résistant, sera en 1946 l’animateur de la Commission d’études syndicales de Lyon, et co-rédacteur avec Paul Bouchet de la Déclaration des droits et devoirs des étudiants (charte de Grenoble).
[7] En 2006, dans le train qui nous menait au colloque des 60 ans de la charte à Grenoble, Bouchet et Rostini nous confirmaient que Villedieu était beau parleur mais assez piètre travailleur.
[8] Une conférence internationale s’est tenue à Londres mars 1944, mais l’UNEF n’y était pas représentée.
[9] Dossier charte de Grenoble sur notre site.
[10] Sur notre site, « Il y a 70 ans, Prague, en août 1946: le congrès de fondation de l’Union internationale des étudiants ».