Appel à la grève du 21 octobre 1986. Fonds UNEF ID. Cité des mémoires étudiantes.
Pour préparer les différentes initiatives des trente ans du mouvement contre la réforme Devaquet, nous continuons le « feuilleton » dont le premier article était « 1986-2016, les 30 ans du mouvement Devaquet. 1/ le printemps : du projet du GERUF au projet Devaquet » et le deuxième «2/ Retrait ou pas retrait, le collectif national de l’UNEF ID des 3 et 4 octobre 1986»
Côté institutionnel, le projet de loi suit son cours. Déposé le 11 juillet au Sénat, il devait y être discuté en ce début d’été. Mais le calendrier parlementaire est bousculé. Le projet suit un calendrier différé du fait de l’encombrement et des retards de l’ordre du jour parlementaire. Le projet Devaquet dès lors fait en premier lieu l’objet d’un débat les 23 et 24 septembre au Conseil économique et social qui après discussion du rapport de Jean-Louis Mandinaud , publie son avis, adopté par 168 voix contre 13 (groupe de la CGT) et 12 absententions (groupes de la CFTC et de la FEN) au Journal officiel du 29 septembre 1986. Le texte vient ensuite au Sénat le 28 octobre. Des amendements le durcissent et il est adopté en première lecture le 30 octobre. Le passage à l’Assemblée nationale est prévu pour la fin novembre. L’on s’attend évidemment à des réactions, mais comme pour toute réforme. Alain Devaquet explique : « Je savais, depuis avril, qu’il y aurait des manifestations. Non par quelque don de double vue mais parce que c’est une règle générale […] je pensais cependant que mon projet était raisonnable et que les manifestations resteraient maîtrisables, l’explication et le dialogue aidant »[1].
Dans les lycées, c’est « une rentrée calme et sans bavures »[2] avec toutefois des mouvements, sans lien avec le projet Devaquet, centrées sur les conditions matérielles avec des revendications anti-austérité ? C’est le cas à Tours, à Rennes, à Montpellier, à Poitiers. Les caractéristiques de ces mobilisations semblent être leur « spontanéité et la massivité »[3]. A la mi-septembre le ministre Monory envisage une réforme des lycées, plus particulièrement du baccalauréat.
Une routine militante
Etudiants de France. Fonds UNEF ID. Cité des mémoires étudiantes.
Dans les universités, tout au cours du mois d’octobre c’est un travail en profondeur qui reprend après la « campagne inscriptions » habituelle du mois de juillet syndical étudiant où la réforme est déjà évoquée. Cette routine militante commencera à donner des résultats en termes de mobilisation à partir de la « grève d’avertissement » du 21 octobre décidée par le CN de l’UNEF ID. C’est d’abord un travail qui commence par l’information avec le matériau fourni par les syndicats, notamment l’UNEF ID qui publie un commentaire du projet de loi en se concentrant sur les articles relatifs au passage entre les cycles, les diplômes nationaux, la réglementation des examens, l’accès à l’université, les droits d’inscription, la composition des conseils.
Le 21 octobre marque une étape. La « grève d’avertissement » ne concerne pas à l’origine que le projet Devaquet, mais couvre l’ensemble des conditions de rentrée et le budget. C’est déjà une date prévue comme journée revendicative du secteur public et des fonctionnaires et on note une participation de lycéens et d’étudiants variable selon les villes dans les cortèges syndicaux.
21 octobre : L’appel de Caen
A Caen, c’est un nombre important d’étudiants qui descend dans la rue. L’AG convoquée par l’UNEF ID a réuni 400 étudiants adoptant un appel qui sera soutenu également par l’UNEF SE et l’UNEM de Caen, connu comme « l’appel de Caen ». Il se prononce pour le retrait du projet Devaquet, la tenue d’AG dans chaque université, la formation de comités réunissant syndiqués et non syndiqués contre la réforme, l’organisation d’une manifestation nationale à Paris. Tirant un bilan positif de la grève d’avertissement, le BN de l’UNEF ID confirme la convocation « d’Etats généraux étudiants contre le projet de loi du gouvernement » le 22 novembre à Paris, le syndicat organisant pour ce faire des AG qui éliront des délégués (voir reproduction ci-dessous).
Bilan du 21 octobre. Fonds UNEF ID. Cité des mémoires étudiantes
L’appel de Caen circule en France par le canal de la minorité LEAS notamment. Des comités d’information (sous d’autres noms parfois: « de mobilisation », « contre la réforme ») se constituent et reprenant les argumentaires syndicaux, diffusent et vendent des brochures. A Nanterre par exemple les étudiants de sciences économiques reproduisent et vendent 4 F les textes du Sénat édités par l’UNEF ID. Ces comités regroupent des militants de l’UNEF ID, parfois des AGE, des libertaires (comme à Nanterre), des « inorganisés », à Limoges, à Caen, au Mans l’UNEF SE s’y investit. . Ces sont des milliers de dossiers, des dizaines de milliers de tracts, des dizaines de réunions avec 10, 15, 20 ou 30 participants qui à leur tour informent autour d’eux. Syndicats, comités interviennent dans les amphis, les TD, labourant le terrain sans aucune certitude de ce qui pourra finalement y être récolté.
Vers la grève et la coordination
L’UNEF ID marche ainsi sur plusieurs jambes : la minorité développe la dimension mobilisation, la direction assume au moins une fonctionnalité institutionnelle : préparation d’un « pendant étudiant » de l’appel des 90 présidents d’université avec un appel des élus étudiants[4], un communiqué quotidien sur les « amendements anti-étudiants »[5] pendant le débat sénatorial[6]. Le 6 novembre un premier contact se noue entre Caen, Rouen, Nantes, Lille, Reims, Le Mans sur la base de l’appel. Le 11 novembre au BN de l’UNEF ID Isabelle Thomas propose que le syndicat se positionne pour la grève générale, mais cette position demeure minoritaire. Le 15 novembre, sur la base de l’appel qui a recueilli 15 000 signatures, des étudiants des universités les plus mobilisées dans 10 villes – à l’exception de Dijon – Limoges, Nantes, Amiens, Lille, Paris 1, Villetaneuse, Le Mans, Rouen et Caen se réunissent à Caen. Un représentant du BN de l’UNEF ID est présent en observateur. Cette première coordination avance la perspective de la grève générale des universités et annonce son intention de participer aux Etats généraux de l’UNEF ID du 22 novembre, en se réunissant la veille à Jussieu. Le contact est désormais quasiment permanent entre Caen et Villetaneuse.
Nouveau fonds de la Cité des mémoires étudiantes : le recueil Arnaud Moyencourt.
[1] Alain Devaquet, L’amibe et l’étudiant, p 159.
[2] Le Monde, 5 septembre 1986.
[3] Gaëlle et Olivier« Ce que nous avons fait », texte pour le comité central de la LCR.
[4] Qui ne comporte pas d’appel au retrait du projet, et paraît après le début (imprévu) de la grève,
[5] Isabelle Martin, Les dossiers de l’UNEF n° 91, octobre 1986.
[6] Voir le « communiqué de campagne »n° 1 « 3 000 Francs pour avoir le droit d’étudier », Les dossiers de l’UNEF n° 91, communiqué n° 2, « 8 positions anti-étudiantes » dans Les dossiers de l’UNEF n° 92.