1986-2016, les 30 ans du mouvement Devaquet. 2/ Retrait ou pas retrait? Le collectif national de l’UNEF ID des 3 et 4 octobre 1986

un-vaquetPour préparer les trente ans du mouvement contre la réforme Devaquet, dont Il en sera question lors de deux ateliers les 17 et 18  novembre lors des journées Archives et mémoires étudiantes de la Cité, et le 3 décembre 2016 au cours de l’ initiative « Il y a 30 ans, « Devaquet si tu savais », organisée par  l’AAUNEF, la Cité des mémoires étudiantes, le Germe avec plusieurs acteurs de l’époque nous continuons le « feuilleton » dont le premier article était « 1986-2016, les 30 ans du mouvement Devaquet. 1/ le printemps : du projet du GERUF au projet Devaquet ». Voir aussi sur notre site éléments de bibliographie ainsi que : des éléments de chronologie.

A la rentrée 1986 la revendication du retrait du projet Devaquet n’allait pas de soi, et ne revêtait pas forcément les mêmes contenus selon les forces même quand elle fit l’unanimité apparente.Le collectif national de l’UNEF-ID des 3 et 4 octobre 1986 est l’occasion de remettre à l’ordre du jour la « controverse initiale »[1] sur les liens entre auto-organisation et action syndicale. Mais la question de la formulation de la revendication : réclamer le retrait explicitement ou non, éclaire également les stratégies syndicales : « syndicalisme réaliste », répertoire d’action minoritaire, mouvementisme…[2]

Les contraintes du « syndicalisme réaliste »

La revendication du retrait n’a d’abord pas été préconisée par la majorité de l’UNEF-id, du moins par la « majorité de la majorité »[3]. Quand les premières versions du projet furent rendues publiques, elle insista sur quelques aspects négatifs sans jamais se prononcer sur la logique générale de la réforme ni demander le retrait du projet. Jusqu’au collectif national du 4 octobre 1986, la majorité de l’UNEF-id se déclarait simplement « inquiète » : « Dès maintenant, nous pouvons agir. Dans toutes les réunions de rentrée dans les facs […] nous proposons à nos adhérents de soutenir le texte suivant :  » les étudiants se déclarent extrêmement inquiets du texte […] ils affirment leur volonté de voir préserver (droits d’inscription, diplômes nationaux, etc… »[4].

Du côté de l’UNEF SE, dont les AGE s’étaient bien investies en mai 1986 dans les mobilisations contre le projet du GERUF[5], Jean-François Courtille, au Mans en 1986, montre une réalité locale sans doute plus nuancée : « Au début de l’automne 1986, l’orientation de l’UNEF, dont le président était à l’époque Patrice Leclerc, était toujours celle de la Solidarité étudiante. Face au projet Foyer (en juin 1986) puis au projet Devaquet (en octobre 1986), l’UNEF appelait les étudiants à « déraciner un projet qui remettait en cause le droit de tous à accéder aux études »[6]. Mais en cette rentrée de septembre/octobre elle ne mobilise pas ses forces sur la revendication du retrait. Elle a programmé une semaine d’action du 20 au 25 octobre contre le « budget peau de chagrin », avec une « carte pétition » exigeant de l’Etat son réinvestissement financier dans la sécurité sociale étudiante, dont elle dénoncé les hausses de cotisations . Xavier Aknine devant la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale, en donne une explication qui même a posteriori, elle ne manque pas d’intérêt : l’UNEF SE préférait de manière « pédagogique » montrer aux étudiants les effets concrets et néfastes des applications « anticipées » et localisées tant  du projet que de la politique gouvernementale pour permettre dans un second temps une « nationalisation » du problème par la référence au projet Devaquet. Il explique: « Nous avons eu le souci de ne pas mener une bataille théorique sur le projet Devaquet. A la rentrée, beaucoup d’étudiants ne connaissent pas encore l’université. Nous voulions attendre en quelque sorte l’expérience anticipée de la loi Devaquet sur le terrain afin d’enraciner ensuite la lutte dans la réalité vécue »[7]

Ne pas « perdre la face »

Les deux directions syndicales partagent en réalité en cette rentrée une analyse de la situation convergente : elles ne croient pas à la possibilité d’une mobilisation d’ampleur. Cela est confirmé par tous les témoignages concernant la majorité de l’UNEF ID, quant à l’UNEF SE, il y a à prendre en compte également l’analyse du Parti communiste quant au « glissement à droite » de la société, et de la jeunesse universitaire pour en conclure implicitement à la faible possibilité d’une mobilisation massive nationale. Dans l’ensemble, notamment pour l’UNEF ID majoritaire, cela relevait bien de la conception  « syndicaliste réaliste »[8] : revendiquer un peu pour espérer obtenir satisfaction sans trop élever l’exigence puisqu’il aurait fallu élever aussi le degré de mobilisation, en passant de l’action syndicale institutionnelle (prise de position d’élus, de personnalités, discussions, pétitions) à une action impliquant une activité élargie à la hauteur de l’enjeu sans risquer de perdre la face si la mobilisation n’atteint pas le niveau nécessaire du rapport de force. Car alors, c’est se décrédibiliser vis-à-vis des interlocuteurs (plus aucune menace ne sera prise au sérieux) et de la base (absence de gains obtenus). Ne pas demander le retrait d’un côté évite la défaite puisqu’on ne peut perdre sur ce qu’on n’a pas réclamé, et d’un autre côté tenter de modifier un projet permet d’apparaître comme « ayant gagné » quelque chose. Sans être officiellement mandatés par l’UNEF ID pendant le débat parlementaire deux auteurs d’une « commission IM/AB » fournissent aux groupes parlementaires socialistes des arguments et amendements possibles[9].

C’est une tendance lourde de la logique des majorités syndicales que de se montrer « prudentes » car les positions acquises (crédibilité, légitimité) peuvent être perdues. Les logiques minoritaires – ayant plus à conquérir qu’à perdre – peuvent utiliser plus largement de la palette du répertoire d’action collective.

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brochure des JCR tirée dans la nuit du 20 au 21 novembre 1986 après le démarrage de la grève dans dix universités.

Le « retrait » dans le répertoire d’action minoritaire

Si dans le tract de rentrée de la LEAS le terme de « retrait » n’est pas utilisé (on évoque la lutte « contre le projet gouvernemental ») au BN de l’UNEF ID du 13 et 14 septembre la LEAS[10] propose de se prononcer pour le retrait du projet, la mise en place de comités syndiqués/non-syndiqués, l’appel à une manifestation au ministère.

A l’entrée du Collectif national de l’UNEF ID, le projet de résolution de la majorité a deux axes : la nouvelle loi et les œuvres, les élections aux CROUS devant se tenir au printemps 1987. Sur la loi, la résolution critique des aspects de la réforme (droits d’inscription, reconnaissance du baccalauréat remise en cause, sélection possible entre les cycles, caractère national des diplômes), constate que ces « mesures sont inadmissibles » et qu’il faut tout mettre en oeuvre pour qu’elles ne deviennent pas la loi à l’Université.  l’UNEF ID étant devenue le « point de ralliement », il n’est pas proposé d’actions unitaires, de comités mais des « AG d’information » et décision est prise d’appeler à une « grève d’avertissement » le 21 octobre. La LEAS dépose une série d’amendements à l’ouverture du CN avec l’exigence explicite du retrait du projet  de loi[11]. Elle propose la mise en place de comités d’information, de mobilisation s’appuyant sur « l’esprit de la charte de réunification » concernant l’autoorganisation (« Quand vient l’heure de l’action, il est du devoir du syndicat de créer les meilleures conditions démocratiques au mouvement qui implique la participation à d’autres formes d’organisation »).

Si la majorité refuse ces comités (l’heure de l’action ne serait-elle pas encore advenue?), elle accepte d’intégrer certains amendements plus fermes proposés par la tendance LEAS, dont le contenu était également voisin des positions du groupe « Questions socialistes » (ou « sensibilité Villetaneuse ») au sein de la majorité syndicale. La position officiellement adoptée par le syndicat est donc celle du retrait du projet Devaquet. Mais dans les déclarations qui suivent ce collectif national, la revendication du retrait n’est que peu mise en avant, en tous cas pas comme revendication centrale par la majorité. Encore en novembre, avant l’examen du texte par l’Assemblée nationale, l’UNEF-ID rend public un «appel des élus étudiants », ne contenant pas la demande de retrait du projet[12].

Du côté des partisans de la revendication ouverte du retrait du projet celle-ci pouvait revêtir des significations différentes.

Pour les « syndicalistes-mouvementistes » (ou « mouvementistes ») comme la LEAS, le « retrait » était considéré comme la revendication « unifiante » susceptible de recueillir l’accord et de mobiliser les étudiants, les différents processus ultérieurs (politisation,  conscientisation, projets alternatifs) ne pouvant résulter que de la mise en mouvement d’un nombre maximum de participants. Du côté des militants du PCI, la minorité de ceux qui y sont restés et qui n’ont pas suivi les dissidents au Parti socialiste se prononcent également pour le retrait[13].

Pour certains « syndicalistes-réalistes », ceux de la sensibilité minoritaire (« Villetaneuse ») de la majorité de l’UNEF-id, si la perspective de la limitation des revendications était envisagée, c’était en fonction du « rapport de forces ». Leur perspective était celle d’une « négociation à chaud », estimant impossible, et inféconde, une négociation « à froid » comme l’entendait au départ la majorité de l’UNEF-ID[14].

Du côté de certains « alternatifs », lors d’un stage animé par les militants jeunes de la Fédération de la gauche alternative (FGA) les 11 et 12 octobre auquel étaient invités des membres et dirigeants du PSU, des JCR, de Pour un syndicalisme autogestionnaire (PSA) il est noté qu’existent « des perspectives divergentes, notamment sur les moyens de riposte  à la réforme Devaquet ». Pour une partie de ce courant « la lutte contre la réforme Devaquet ne  peut en rester à la simple agitation immédiate, elle se doit d’élaborer des contre-projets en positif » et évoque à ce sujet « d’éventuelles luttes étudiantes »[15]. Il apparaît nettement que ce courant, tout en défendant la revendication du retrait du projet Devaquet, ne conclut pas à la possibilité de mobilisations importantes : « la conjoncture nous accule à la défensive et laisse peu d’espoirs de voir se réaliser des transformations en positif de la situation universitaire »[16]. Les « alternatifs » donnent la priorité à l’activité « propositionnelle »., leur analyse des possibilités de mobilisation les contraignent à concevoir la proposition de ces  projets alternatifs – dès lors qu’ils ne sont pas liés à la perspective de mouvements de lutte mais à des discussions au sein des cercles de militants syndicaux, associatifs, politiques – comme pure activité idéologique, de propagande, pouvant être concrétisée localement si l’occasion s’en présente, mais à titre d’exemplarité expérimentale destinée à être popularisée, sans possibilité ni volonté d’élargissement de mobilisations

D’autres enjeux sous-jacents

En tous cas, les enjeux dépassent le cadre purement universitaire et syndical : la première cohabitation est mise à l’épreuve, et pour les animateurs de la majorité de l’UNEF-ID qui viennent de décider le 29 septembre de rentrer au Parti socialiste[17] ils doivent « faire ses preuves ». Le Monde du 8 octobre 1986, sous le titre « L’UNEF-ID appelle à la grève » ne s’y trompe pas : « La rentrée universitaire est à peine entamée que les étudiants de l’UNEF-ID (Indépendante et démocratique) appellent à une grève nationale des cours, le 21 octobre prochain. Pour les quelque cent cinquante délégués qui ont participé au collectif national de l’UNEF, les 4 et 5 octobre, ce mouvement constitue un « avertissement contre le projet de loi sur le supérieur et les mesures de déréglementation généralisée qu’il contient ». Les dispositions prévues notamment en matière de droits d’inscription, de conditions d’entrée à l’Université et de régime des diplômes  » laissent les étudiants sans droits et à la merci de l’arbitraire des conseils des établissements, et ce d’autant plus que leur représentation y est fortement réduite. Appeler à la grève quelques jours après la rentrée et alors que le projet de réforme n’est pas encore soumis à l’examen du Parlement constitue un pari risqué. Mais les responsables de l’UNEF-ID,  » regonflés  » par leur rupture récente avec le PCI (trotskiste) et leur ralliement à la mouvance socialiste, sont décidés à prouver leur capacité nouvelle de mobilisation des étudiants.

Voir aussi interview de Patrice Leclerc dans le journal de l’UEC, Clarté, octobre 1986.

A suivre….

[1] Didier Leschi, Les stratégies syndicales étudiantes : l’UNEF-ID dans la crise de novembre-décembre 1986, DEA d’histoire, J.-J. Becker (dir.), Paris 10, 1987.

[2] Sur les stratégies syndicales et les répertoires d’action, voir Robi Morder, Revendications-négociations : débat et pratiques dans le mouvement syndical étudiant en France 1976-1988, DEA de science politique, Michel Dobry (dir.), Paris 10-Nanterre, 1989, ainsi que « Les répertoires d’action collective des mouvements étudiants », Cahiers du Germe, spécial 4, 2003. http://www.germe-inform.fr/wp-content/uploads/2016/03/le-repertoire-daction-collective-%C3%A9tudiant-Morder-CDG-special-4-2003.pdf

[3] Au « congrès extraordinaire » de mars 1986 les tendances socialistes et la majorité « lambertiste » forment une nouvelle majorité. En avril suivant Jean-Christophe Cambadélis, la plupart des « lambertistes » quittent le PCI et rejoignent le PS. Au sein de la majorité la « sensibilité Villetaneuse » se distingue (dont la porte-parole la plus connue est Isabelle Thomas) comme on le verra.

[4] « Note sur le projet Devaquet », Dossiers de l’UNEF N° 85, septembre 1986.

[5] « 1986-2016, les 30 ans du mouvement Devaquet. 1/ le printemps : du projet du GERUF au projet Devaquet »

[6]https://fr.wikipedia.org/wiki/Discussion:Union_nationale_des_%C3%A9tudiants_de_France_dite_Solidarit%C3%A9_%C3%A9tudiante 

[7]Emmanuel Aubert, « Rapport de la Commission d’enquête relative aux évènements de novembre et décembre 1986 », Assemblée Nationale, N° 850.  Annexe I, procès- verbal d’audition de M. X. AKNINE, page 380.

[8] Robi Morder, Revendications-négociations…  op.cit.

[9] Il s’agit d’Isabelle Martin (IM) et d’Alain Bauer (AB), le texte est dactylographié au Pantheon, Paris 1, université ou Alain Bauer détient des mandats importants, puisqu’il en sera le vice-président étudiant.

[10] Paul Masson, « Rapport de la Commission d’enquête », Sénat N° 270, annexe au procès-verbal de la séance du 12 juin 1987..p 117. La tendance Luttes étudiants action syndicale (LEAS) de l’UNEF-ID était principalement animée par les étudiants JCR/LCR. Le collectif national de rentrée des JCR tenu les 6 et 7 septembre adoptait l’objectif de « préparer une rentrée chaude » autour de l’antiracisme, le projet Devaquet, les conditions d’études et pour ce faire favoriser la mise en place de structures d’organisation soutenues par les syndicats sans y être subordonnées.

[11]Préparée plusieurs jours auparavant, le texte ne comportait pas le mot lui-même de retrait,preuve que la préoccupation était plus sur les modalités d’action. Cet oubli est rectifié juste avant de proposer l’amendement au CN. C’est Robi Morder qui a tenu la plume pour la reformulation, le rajout est visible sur le document original.

[12] Le Monde campus, 20 novembre 1986. La grève a démarré à Villetaneuse et se généralise depuis trois jours.

[13] La Fédération des étudiants révolutionnaires diffuse un tract dans les universités en ce sens début juillet, et au bureau comme au collectif national Alexis Mourre défend le retrait en faisant de la Loi Devaquet la suite des lois Savary et Faure.

[14] Julien Dray, SOS Génération, Paris, 1987.

[15] Compte rendu dans Liaisons pour l’autogestion, bulletin de la « tendance 3 » de la LCR, N° 6, novembre 1986

[16]  Eléments pour une politique alternative à l’Université, brochure du cercle Inter facultés de la FGA, rédigée avant l’été.

[17] Jean-Christophe Cambadélis, « La gauche doit se renforcer au Parti socialiste », Le Monde,1er octobre 1986.

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