1986-2016, les 30 ans du mouvement Devaquet. 1/ le printemps : du projet du GERUF au projet Devaquet

photo135Il y a 30 ans, une grève générale mettant en action et dans la rue des millions d’étudiants et de lycéens, mettait fin non seulement au « projet Devaquet », mais à toute réforme globale instaurant la sélection. Il aura fallu que les gouvernants usent d’autres voies: réformes sectorielles, d’application locale, ayant aussi entraîné, avec un moindre succès, des mobilisations (LMD, LRU). Utilisant tout le répertoire d’action collective, grève, manifestation, coordinations, implications syndicales, question de la négociation, cette mobilisation a non seulement marqué une génération, mais les questions posées demeurent pour  beaucoup actuelles. Il en sera question en novembre avec les journées Archives et mémoires étudiantes de la Cité, et en décembre 2016 par une initiative co-organisée entre l’AAUNEF, la Cité des mémoires étudiantes et le Germe.

Nous consacrerons à cet évènement plusieurs contributions au cours des prochains mois, avec documents, références, pour constituer un dossier sur le site du Germe. Commencçons par le commencement. En effet, si l’on considère le mouvement comme une mobilisation de trois semaines (de la mi-novembre 1986, quand la grève démarre à Caen et Villetaneuse, au retrait du projet par Jacques Chirac le 8 décembre 1986 et à la dernière manifestation du 10 décembre), il faut remonter en amont, aux sources du projet et de la mobilisation, sans oublier les moments consécutifs au retrait. Il est dès lors nécessaire de rappeler qu’avant le projet de réforme ministériel, il y a eu une proposition de loi qui n’avait pas été reprise en tant que telle par le gouvernement.

uni 1986A droite : abroger la Loi Savary et établir l’autonomie, la concurrence, le pouvoir des professeurs

François Mitterand a été élu à la présidence de la République en mai 1981 pour 7 ans, et une nouvelle majorité de gauche s’installe à l’Assemblée nationale.  En 1984, après un processus de deux ans d’élaboration, la loi Savary réformant l’enseignement supérieur est adoptée. Elle soulève l’ire d’une partie du corps des professeurs de rang A, notamment de droit et de médecine, et l’UNI comme la Fédération des syndicats autonomes de l’enseignement supérieur et de la recherche se promet d’obtenir l’abrogation de la loi après la victoire de la droite aux législatives de mars 1986. Le GERUF est ainsi créée en mars 1984 avec 18 universitaires et quelques autres pour préparer l’après 1986. Jacques Rougeaud, Yves Durand, Gérard Daury de l’UNI sont des chevilles ouvrières du GERUF, Yves Durand devient le conseiller enseignement et recherche du premier ministre de la cohabitation, Jacques Chirac, qui lors de sa campagne avait promis l’abrogation de la loi Savary. Le 9 avril dans son discours à l’Assemblée nationale, il confirme « le principe d’autonomie tant à l’entrée au moment de la sélection des étudiants qu’à la sortie au moment de la délivrance des diplômes.

intervention Bernard Debre 21 avril 1986Sans attendre, le 11 avril plusieurs parlementaires UDF et RPR (centristes et gaullistes) déposent une proposition de loi, dite « Loi Foyer » et qui s’inspire, pour ne pas dire copie, le programme du GERUF, proposition publiée le 23 avril sous le numéro 75. L’exposé des motifs trace l’orientation : « Chaque établissement doit déterminer lui-même ses propres structures, son propre statut » afin que la « concurrence, l’esprit d’initiative et la responsabilité deviennent les maîtres-mots d’un système d’enseignement supérieur nouveau ».  L’article 5 autorise les universités  à définir les conditions d’accès et les titres. Pour le député PS du Loiret, Jean¨Pierre Sueur, il s’agit d’un « poisson pilote » révélateur des « contradictions d’un pseudo-libéralisme ».

Premières mobilisations et réactions

La proposition de loi, semblant légitimée par Chirac et son conseiller, provoque immédiatement de vives réactions dans quelques universités. Le 30 avril une manifestation regroupe 2000 à 3000 étudiants à Montpellier (1000 à 3000), le 14 mai ils sont 1500 à Brest avec des lycéens,  aisni que plusieurs centaines de jeunes à Quimper, à Landerneau, et le 21 mai un bon millier à Bordeaux. Ces démonstrations sont limitées certes, mais intervenant en période de partiels, sans mots d’ordre nationaux, elles indiquent la sensibilité du milieu étudiant aux questions soulevées. L’UNEF ID rencontre le ministère le 22 mai et en fait le compte rendu par tract. L’UNEF dite SE, présente dans ces mobilisations, semblera finalement sous-estimer leur dynamique à la rentrée d’octobre, et laisse la place à l’UNEF ID et à ses composantes.

En avril/mai, du côté syndical, on en demeure comme d’usage encore à la prise de contacts avec le nouveau gouvernement, sans a priori sur une réforme qui n’est pas encore officielle, avec le rappel des revendications traditionnelles. L’UNEF ID, vient de connaître un bouleversement puisque le 16 avril sa majorité quitte le parti trotskyste (PCI) qui la dominait pour s’orienter vers le Parti socialiste. Un courant de gauche du parti socialiste quant à lui anime SOS Racisme dont la présence dans les lycées, comme dans les universités dans une moindre mesure, forme aussi une masse importante de militants ayant fait des manifestations et utilisé de nouveaux modes d’expression (pins, fêtes, etc.). L’UNEF-id publie la proposition avec ses commentaires en avril, en mai, pour la LEAS, il y a « état d’urgence » à l’université..

De la proposition du GERUF au projet de Loi

Alain Devaquet le décrira dans son livre L’amibe et l’étudiant (Paris, Odile Jacob, 1988), soucieux de ne pas provoquer de mobilisations trop importantes, ne partageant pas toutes les options du GERUF et de son émanation parlementaire, il réagit au « sabbat des extrémistes » (p 117) en tentant de les court-circuiter. Négligeant la proposition Foyer, il commence à travailler un projet qui est soumis néanmoins aux pressions du GERUF dont les membres sont dans une situation d’influence et au conseil restreint du 3 juin, des compromis doivent être passés sur la composition des futurs CA des universités. Le 9 juin, le projet est soumis au Conseil d’Etat, le 12 juin le ministre le présente à la Conférence des présidents d’université. Le 1er juillet le CNESER consulté le repousse en bloc par 27 voix contre 24 qui acceptaient l’examen article par article, au CSEN (Conseil supérieur de l’Education nationale) il récolte au contraire 36 avis favorables contre 28.

Le 11 juillet le projet est adopté en Conseil des ministres et le calendrier d’examen prévu est le suivant : une première lecture d’abord au Sénat à la rentrée, avant l’examen par l’Assemblée nationale en novembre. (Exposé des motiFs du projet du 11 juillet et premières réactions).

(A suivre)

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