Il y a 60 ans, août 1963, création de l’UNEA (Union nationale des étudiants algériens)

REVOLUTION UNIVERSITE UNEAC’est en août 1963 qu’est fondée l’Union nationale des étudiants algériens.(*) Il faut inscrire dans la longue durée l’histoire de l’UNEA, dans les rapports conflictuels entre le mouvement étudiant et les pouvoirs publics algériens, en fait le parti FLN, depuis l’indépendance. Ces questions étaient déjà présentes dans le contexte particulier de la guerre et ses contraintes (clandestinité, difficulté de débattre publiquement, réunir des congrès). Les relations avec le parti FLN et le pouvoir sont marquées par une tension demeurant tout au long de la vie de l’UNEA entre la subordination vis-à-vis du parti, donc de l’Etat, et la volonté d’autonomie. La vie de l’Union sera ainsi scandée par des moments de confrontations, et compromis, jusqu’à la dissolution de l’UNEA en janvier 1971. « à cette date, selon Ali El-Kenz se clôt une période marquée par le rôle extrêmement actif de l’Université algérienne autour de la lutte d’indépendance. La disparition de l’UNEA en est l’illustration ultime. »[1]

Que représente le monde étudiant algérien pendant cette décennie ? En 1962/1963, selon les statistiques officielles, il y avait 2800 étudiants, ce chiffre va croître jusqu’à atteindre 19300 étudiants en 1970/1971. Même si la croissance est importante (multiplication par sept en neuf ans), nous sommes encore loin de l’université de masse. La population de l’Algérie compte près de 12 millions d’habitants en 1966[2],  plus de 14 millions en 1971. Dans le même temps, l’enseignement secondaire passe de 19500 à 105000 élèves.

De l’UGEMA à l’UNEA

A l’indépendance, Les étudiants dits « musulmans » qui ne représentaient au début de la guerre qu’un dixième des effectifs de l’université d’Alger, et étaient encore plus minoritaires dans les facultés de la métropole, sont désormais majoritaires dans les trois universités d’Alger, Oran et Constantine[3].

Après la grève générale de 1956, puis la dissolution de l’UGEMA (Union générale des étudiants musulmans d’Algérie) [4] par les autorités françaises en janvier 1958, la plupart des étudiants algériens étaient allés poursuivre leurs études à l’étranger, en Europe de l’Est, comme en RFA, aux USA, etc. ou existent des sections. L’une des questions importantes pour les militants étudiants organisés dans l’UGEMA touche aux relations avec le nouveau pouvoir et sur l’autonomie du mouvement lui-même vis-à-vis du FLN et du gouvernement.

Le 5e congrès convoqué pour septembre 1962 à Alger est révélateur de la crise, la réunion se transforme en fin de compte en « conférence nationale préparatoire » du congrès. Le 5e congrès se tiendra finalement en août 1963. Il décide, tout en affirmant la continuité de l’UGEMA d’un changement de nom, place à l’UNEA, Union nationale des étudiants algériens, le « M » de musulman est abandonné[5].

Entre subordination au pouvoir et autonomie étudiante

L’orientation apparaît plutôt progressiste, et les étudiants – malgré les problèmes – soutiennent les décrets de mars 1963 sur l’autogestion, et l’orientation dite « socialiste » de Ben Bella. A l’indépendance, le mot d’ordre est lancé du retour des étudiants en Algérie pour construire le pays. La tâche des intellectuels est d’acquérir et surtout de mettre leurs compétences au service de la nation, du peuple, de la révolution. Les étudiants sont également encouragés, en dehors de leurs cours, à mettre non seulement leurs têtes mais leurs bras à disposition de l’agriculture, pour les récoltes. Un Comité d’action révolutionnaire des étudiants à la campagne (CAREC) a pour objectif « d’aider les comités de gestion qui forment spontanément à l’initiative des paysans à ce moment là »[6]. Un autre aspect est le soutien, l’adhésion, aux dimensions internationales anticolonialistes et antiimpérialistes du pouvoir politique.

En 1965, Ben Bella est renversé par le coup d’État de Boumedienne du 19 juin, ce qui correspond en gros à la fin de l’année universitaire. Le coup met fin à la « cohabitation tranquille »[7] à laquelle pouvoir central et UNEA étaient arrivés. Les sections d’Alger, de Paris condamnent le coup. A la rentrée d’octobre, sur la base de l’expérience (arrestations de dirigeants étudiants, dont le président de l’UNEA, répression et reprises en mains du côté syndical), la direction de l’UNEA, qui était passée dans une semi-clandestinité, confirme la condamnation le coup. Néanmoins, dans les rapports de forces de l’époque, des compromis sont possibles avec le nouveau pouvoir, qui se montre désireux de ne pas s’aliéner les étudiants. La poursuite de la politique tiers-mondiste par Boumedienne, le maintien d’un discours « socialiste », la nationalisation de secteurs de l’économie algérienne font que les équipes militantes de l’UNEA vont, pendant des années, au prix de débats internes, de séparations, de manœuvres, maintenir une existence légale, plus ou moins tolérée, à condition de ne pas franchir certaines frontières.

Les confrontations sont toutefois nombreuses, on en citera quelques unes.

En janvier 1966, des étudiants marocains d’Alger manifestent contre l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, soutenus par leurs camarades algériens. Mais la tonalité de la manifestation est aussi d’opposition à Boumedienne. Certains manifestants, 11 Marocains et 6 Algériens responsables de la section d’Alger, sont arrêtés. La section d’Alger ayant appelé à la grève, le gouvernement prononce sa dissolution. Le 18 février, le CE de l’UNEA propose un « plan de normalisation » avec libération des détenus, garanties pour la tenue d’un congrès démocratique, mais le pouvoir répond en désignant un nouveau comité directeur, dont le président dénonce « le pouvoir [de Ben Bella qui] entouré d’une équipe de conseillers apatrides, avait ouvert les portes de l’UNEA à des pseudo-étudiants »[8]. Sans légitimité, il est remplacé – toujours par désignation – par un nouveau comité, avec aussi peu de succès. Est alors constituée une Fédération nationale des étudiants militants composée uniquement de membres du FLN, avec l’objectif d’aboutir au contrôle du parti FLN sur l’UNEA. C’est l’élément « noyautage » du tryptique « répression, séduction, noyautage »[9]

En avril 1967,à l’occasion de la Journée mondiale de la jeunesse contre le colonialisme et le néocolonialisme, une manifestation a lieu devant le centre culturel de l’ambassade des USA, puis au meeting tenu au cinéma Majestic. des cris retentirent :  » A bas la réaction ! Démocratie ! Pas de socialisme sans démocratie ! Des manifestations ont également eu lieu à Oran, où la police est intervenue [10], plusieurs arrestations s’en suivent.

En 1968, à l’université d’Alger les autorités affichent le 25 janvier une circulaire gouvernementale  intitulée « processus de normalisation des activités de l’UNEA », L’UNEA, c’est l’Union nationale des étudiants algériens, et la circulaire prévoit de la réorganiser l’union, ce qui passe par ma convocation d’assemblées électives, directement supervisées par un membre du FLN, La participation à ces assemblées est obligatoire, à défaut l’étudiant qui ne s’y rendra pas sera exposé à des sanctions, dont la suppression de la bourse.[11] En outre, la liberté de candidature est limitée, une commission disciplinaire étant chargée d’empêcher les candidatures d’étudiants ayant des liens avec des « forces occultes ». Cela visait principalement les membres du comité de section d’Alger pourtant éluen avril 1967.Enfin, le processus de réorganisation devrait s’achever par un congrès de l’UNEA en 1969.

Le 2 février, à l’appel de l’union étudiante, a lieu une grève des cours. La police intervient dans les locaux universitaires, des responsables et militants sont arrêtés, certains mis au secret et torturés. Les dirigeants en liberté sont obligés de passer à la clandestinite, et  l’UNEA appelle à une grève générale à partir du 5 février, contre la circulaire, contre la violation des franchises universitaires, pour la libération des étudiants arrêtés,  . Celle-ci trouve un soutien chez les enseignants, et surtout chez les lycéens où la grève s’étend. A Alger, les AG sont quotidiennes, de nouveau la police intervient, procède à des arrestations nombreuses mais la plupart sont libérés dans les jours qui suivent.

Le ministre en charge de l’Enseignement supérieur, Ahmed Taleb Brahimi, ordonne la fermeture de l’Université d’Alger, le 8 février et ce n’est que le 10 que les médias évoquent le mouvement le qualifiant « hors de proportion avec les problèmes réels qui se posent». L’Université est rouverte le 19 février, l’Université rouvre ses portes mais la grève se poursuit. Alors le FLN lance une campagne de «guerre aux antiparti», l’UNEA est accusée de vouloir «créer un petit Etat dans l’Etat», l’hébdomadaire Révolution africaine demande «la sévérité de l’appareil judiciaire». Pendant plusieurs semaines, l’agitation se maintient, ponctuée d’arrestations, libérations, négociations officielles ou officieuses.

Le mouvement va cesser après l’attentat contre Boumedienne – qui n’est que légèrement blessé – le 25 avril. Les six étudiants détenus à la prison d’El Harrach cessent leur grève de la faim et les membres du Comité de section d’Alger sortent de la clandestinité, rejoignent l’Université sans être inquiétés. La direction nationale de l’UNEA appelle à la reprise des cours, Un dialogue est tenté entre la présidence et des responsables du comité de section d’Alger sans résultats, mais le 18 mai, les six étudiants encore détenus sont libérés, sans jugement. Le gouvernement annonce préparer une réforme de l’enseignement supérieur, l’UNEA entend que des représentants des étudiants et des enseignants y participant.  Pendant les vacances, en juillet 1968, deux membres du Comité exécutif en clandestinité sont arrêtés[12] La répression alterne avec dialogue. le coordinateur du comité de section d’Alger est invité à intervenir en décembre par le ministre de l’Education, lors de la rentrée solennelle de l’Université[13].

Fin de l’autonomie étudiante

La répression de l’année 1968 met fin pendant un temps aux manifestations et rassemblements de rue selon le témoignage de Claude Nahmias[14], mais les escarmouches continuent. Le FLN s’avérant incapable de contourner et marginaliser l’UNEA, change d’approche. Il décide que le congrès de l’UNEA se tiendra en 1970, et l’UNEA salue le 12 novembre 1969 un « dialogue véritable ». 1970 passe, toujours pas de congrès, malgré l’autorisation de la tenue en janvier d’assemblées dans les facultés[15]. Le 2 janvier 1971, huit étudiants sont arrêtés, accusés de « menées subversives ». Des grèves partielles commencent dans les trois universités, et le 15 janvier 1971 l’UNEA est dissoute. Le 20 janvier 1971, par arrêté, est interdite « la tenue de meetings, l’organisation de manifestations, la distribution de tracts, de motions, de résolutions et de pétitions ainsi que l’affichage dans l’enceinte de l’université, des instituts et des grandes écoles, des cités et restaurants universitaires ».

C’est pour avoir transgressé les règles de l’interdit tracées par le pouvoir que l’UNEA est dissoute en 1971, « après avoir subi une répression impitoyable de la part de la police politique, garante de la pensée unique »[16]. Il n’y a plus d’organisation étudiante, il ne restera aux étudiants qu’à intégrer l’UNJA (Union nationale de la jeunesse algérienne) qui s’ajoute à la JFLN (Jeunesse du FLN). Toutefois, la reconquête de la jeunesse étudiante par le pouvoir se fait au nom d’une orientation plus socialiste, avec les nationalisations des hydrocarbures, l’ordonnance relative à la « gestion socialiste des entreprises », la relance de la réforme agraire cette même année 1971[17]. La réforme de l’enseignement supérieur est finalement rendue publique l’été 1971[18].

(*) Cet article est le texte réorganisé d’une contribution,  « 1962-1971 : des années 68 étudiantes algériennes ? » à paraître dans la revue Spécificités dans le courant du 4e trimestre 2023, numéro qui reprend en les élargissant les contributions au colloque « Sur les traces du 22 mars » tenu à Nanterre les 23 et 24 mars 2018.

Robi Morder

[1] Karim Lakjaa, note de lecture sur Houari MOUFFOK, Parcours d’un étudiant algérien : de l’UGEMA à l’UNEA,  Bouchène, 1999, Les Cahiers du Germe N° 26 1er trimestre 2006 http://www.germe-inform.fr/?p=566

[2] Abdellaziz Bouisri et François Pradel De Lamaze, « La population d’Algérie d’après le recensement de 1966 », Population, 1971.

[3] Voir les tableaux statistiques dans Guy Pervillé, « Les engagements politiques des étudiants musulmans algériens à l’Université d’Alger », Outre-Mer 2017/1. Plus globalement sur l’université et les étudiants algériens, incontournable, Guy Pervillé, Guy, Les étudiants algériens et l’Université française, 1880-1962. Paris, CNRS, 1984.

[4] Sur l’UGEMA, voir les témoignages de : Mohammed Harbi, Une vie debout, Paris, La découverte, 2002 ; Clément Henri Moore, L’Ugema (1955-1962),  Recueil de témoignages, Alger, Casbah, ed. Augmentée 2012. ; du côté français Dominique Wallon, Combats étudiants pour l’indépendance de l’Algérie, Alger, Casbah éditions, 2016. Voir dossier « Mouvements étudiants et guerre d’Algérie » et dossier documentaire « les relations de l’UGEMA avec l’UNEF à travers la guerre d’Algérie », Les Cahiers du Germe, n° 30 (2012-2013). Dossier et bibliographie sur le site du Germe : http://www.germe-inform.fr/?p=1250

Ahmed Mahi, De l’Ugema à l’Unea : témoignage sur le mouvement étudiant (1959-1965), Ed INAS, Alger, 2014.

[5] Le débat sur le nom – UNEA ou UGEMA –  avait eu lieu à la fondation en 1955. Si UGEMA est retenu c’était pour le temps de la guerre, et il était convenu qu’à l’indépendance la question soit reposée.

[6] « La grève des étudiants algériens », Partisans n° 28, avril 1966, propos recueillis par Gérard Challiand.

[7] Mansour Abrous, Contribution à l’histoire du mouvement étudiant algérien (1962-1982), Paris, L’Harmattan, 2002 ? Page 16

[8] Le Monde, 21 février 1966.

[9]Fayçal  Izedaren, « Les étudiants face au pouvoir politique en Algérie : analyse socio-historique de l’action étudiante », Revue académique des études sociales et humaines,  3-2010.

[10] Le Monde, 26 avril 1967.

[11] Révolution africaine, 1er février 1968.

[12] Libérés en novembre 1969, il seront toutefois assignés à résidence.

[13] Beaucoup de détails sont tirés d’un article de M’hamed Rebah, dans La Nouvelle République du 16 avril 2021.

[14] Citée par Catherine Simon, Les années pieds-rouges : des rêves de l’indépendance au désenchantement (1962 – 1969) Paris, La Découverte, 2011, p 212

[15] Guy Pervillé, « Les engagements politiques des étudiants musulmans algériens à l’Université d’Alger », Outre-Mer 2017/1.

[16] Ahmed Rouadjia, « Point de vue : l ’apolitisme intéressé des étudiants », El Watan, 25 mai 2018

[17] Rahal, Malika. « 1965-1971 en Algérie. Contestation étudiante, parti unique et enthousiasme révolutionnaire ». dans Étudiants africains en mouvements: contribution à une histoire des années 1968, par Françoise Blum, Pierre Guidi et Ophélie Rillon. Paris: Publications de la Sorbonne, 2016.

[18] Alain Coulon, « Où va l’université algérienne », L’Homme et la société, n° 39-40, 1976.

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