lecture : Houari Mouffok, Parcours d’un étudiant algérien : de l’UGEMA à l’UNEA

Houari MOUFFOK, Parcours d’un étudiant algérien : de l’UGEMA à l’UNEA,  Bouchène, 1999, 90 pages. « Ces pages relatent le parcours d’un étudiant algérien, grandi dans l’injustice coloniale, conscientisé au combat libérateur, devenu communiste au gré d’un séjour d’étude en RDA, puis leader du mouvement étudiant à l’indépendance, arrêté puis torturé, après le coup d’Etat du 19 juin 1965 et qui tente ici, en réveillant sa mémoire, de reconstituer les fils d’une histoire qui a conduit beaucoup de jeunes algériens de son époque à « traverser le miroir ». Préface à l’ouvrage de Nourredine Saadi

Les ouvrages sur le Mouvement Etudiant Algérien (MEA) sont rares. Celui de Houari Mouffok apporte un témoignage de qualité sur 2 organisations étudiantes algériennes (l’Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens et l’Union Nationale des Etudiants Algériens) et de manière plus globale sur la guerre de libération et l’indépendance de l’Algérie.

Si le MEA ne date pas d’hier[1], il s’est constitué alors que les organisations étudiantes françaises d’Algérie n’étaient pas ouvertes aux « indigènes ». Le développement du MEA s’est fait dans un 1er temps dans un cadre maghrébin. Il faudra attendre la création, à Paris en avril 1955 de l’Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens (UGEMA) pour que le MEA s’autonomise. L’Algérie compte alors  un millier de diplômés « indigènes »[2] et une population autochtone à 86% analphabète. Cette élite étudiante lancera un appel à la grève générale le 19 mai 1956 (violemment condamné par l’UNEF) et rejoindra le Front de Libération Nationale pour participer à la conquête de l’indépendance.

Avec celle-ci se met en place un système politique marqué par le règne d’un parti unique, et la transformation en courroie de transmission de l’ensemble des organisations syndicales et de jeunes. L’UGEMA devient en 1963, l’Union Nationale des Etudiants Algériens (UNEA). Celle-ci s’oppose au coup d’état militaire en 1965. Ses dirigeants sont arrêtés, emprisonnés et même torturés. L’UNEA est dissoute le 18 janvier 1971. A cette date, selon Ali El-Kenz se clôt une période marquée par le rôle extrêmement actif de l’Université algérienne autour de la lutte d’indépendance. La disparition de l’UNEA en est l’illustration ultime.

Le livre de Mouffok retrace les différentes étapes de son cheminement personnel qui le conduiront à devenir le premier président du premier syndicat étudiant de l’Algérie indépendante. Il décrit également en filigrane la matrice historique dont sont issus les celles et ceux qui ont conquis l’indépendance et construit l’Algérie indépendante.

La période lycéenne. La Famille Mouffok s’installe en 1949 dans l’Ouest de l’Algérie. Orphelin de son père en 1954, il est placé sous la protection du proviseur du lycée qui lui obtient une bourse d’interne. Le jeune Mouffok fréquente le Cercle du Croissant acquis à la cause de l’Union Démocratique du Manifeste Algérien et rejoint l’Association des Etudiants Musulmans de Mostaganem. Il en devient le Secrétaire général.

La désertion et l’exil. Instituteur en 1956, Mouffok reçoit une convocation militaire. Il décide de déserter. Il part pour Marseille, Grenoble, puis la Suisse où il trouve l’aide de la Section suisse de la confrérie des Alaouis, une zaouïa (établissement religieux à la fois mosquée, école, hôpital et hôtellerie). Après un séjour à Hanovre, il rentre à Genève, pour aussitôt gagner Rome, afin de rencontrer la représentation du FLN. Son projet de rejoindre le maquis en Tunisie y est annihilé. « Il y a trop d’étudiants déjà, poursuivez vos études » lui-dit-on.Un nouveau voyage en Allemagne est organisé auprès de la représentation du FLN. Une rencontre avec un juif allemand ayant survécu à la déportation marquera fortement Mouffok. L’arrivée d’un responsable de l’UGEMA constitue un tournant. Celui-ci leur annonce que des bourses du  FDJ (Jeunesse libre est allemande) leurs sont accordées.

La période Berlinoise. En septembre 1959, Mouffok entre à l’Ecole Supérieure d’Economie de Berlin. Il y créé une Section de l’UGEMA dont il devient le Président. Alors que les relations entre la RDA  et le FLN se tendent en raison du développement du PCA, le Comité exécutif de l’UGEMA démissionne. Une Conférence nationale est organisée à Cologne. Mouffok bien que délégué de la Section de Berlin se voit interdire l’accès au congrès. Une protestation officielle est rédigée en ces termes : « jamais les étudiants algériens ni leur peuple n’accepteront d’être réduits à des eunuques de la pensée et de l’action ». Avec l’indépendance de l’Algérie ces luttes d’influences vont prendre une toute autre nature.

Le retour en Algérie et la création de l’UNEA. Mouffok retourne à Alger en juillet 1962 afin de participer au 4ème  congrès de l’UGEMA qui se traduit par un échec en raison des conflits entre groupes politiques. Pour Mouffok, le MEA en « sort disloqué et sans direction ».. Lors du 5ème congrès, Mouffok intervient dans le sens de l’unité et invite les délégués à adopter un programme, des statuts et une direction. Ces propositions reçoivent une approbation générale. Les commissions se mettent au travail et débouchent sur la création de l’UNEA. Mouffok est élu avec un maximum de voix au Comité exécutif qui retient sa candidature à la présidence de l’UNEA.

Celle-ci reflète alors les nombreux courants politiques et religieux qui traversent la société algérienne. En son sein, les élections sont libres, à bulletin secret, ouvertes à toutes les candidatures sans exception. L’implantation de l’UNEA repose principalement sur trois Sections (Alger, Oran et Constantine) et sur l’UNLCA (Union Nationale des Lycéens et Collégiens Algériens). Elles interviennent également sur des questions internationales.

L’internationalisme estudiantin. Alger est alors la Mecque des révolutionnaires selon Mouffok. Palestiniens, Sud-africains, Angolais, Cubains y sont installés ou de passage. Une rencontre avec Che Guevara a lieu à l’ambassade de Cuba, au cours de laquelle le Che répond à un dirigeant étudiant algérien qui lui avait dit : « nous tentons de mettre en œuvre un socialisme conforme à nos traditions arabo-islamiques », « ça se retournera contre vous ». L’UNEA est invitée en Asie et en Union soviétique. Lors du congrès de 1964 de l’Union Internationale des Etudiants à Sofia, intervenant pour faire barrage à l’adhésion de l’Union des Etudiants Israéliens à l’UIE, Mouffok déclare que « les Algériens , pour avoir eux aussi connu les atrocités des racismes coloniaux compatissent aux malheurs subis par les juifs » et que « si les Algériens admirent et considèrent comme des leurs les juifs qui, comme Henri Alleg et tant d’autres, combattent le colonialisme et le racisme, ils ne sauraient pardonner à Israël sa participation à l’expédition de Suez dont le caractère colonial et raciste est évident ». L’UNEA active également sur le monde maghrébin et le monde arabe.

L’influence du PCA sur l’UNEA et les liens privilégiés avec le Président Ben Bella. Le PCA exerce une domination réelle sur l’UNEA. Les accords passés entre le PCA et Ben Bella ont pour conséquence l’ouverture de la direction de l’UNEA aux membres du FLN. Pour Mouffok, « l’UNEA perdit (à cette occasion NDR) un peu de son âme ». Ben Bella apporte en conséquence tout son soutien à l’UNEA sous la forme de bourses et de locaux. « Ben Bella nous recevait souvent et satisfaisait à toutes nos demandes » note Mouffok.

Le coup d’Etat de 1965. Ben Bella arrivé en 1962 à Alger dans les camions de Boumediene,  paie en 1965 le prix de ce transport. Le rapprochement entre Ait Ahmed et Ben Bella conduit Boumediene au coup d’Etat du 19 juin 1965 (et Ben Bella en prison).L’UNEA qualifie de réactionnaire et impérialiste ce coup d’Etat. En réponse, le nouveau pouvoir précise : « faites attention, demandez aux étudiants de se tenir tranquilles » et ajoute : « surtout toi Mouffok ». Le 20 juin, une nouvelle réunion sur convocation directe de Boumediene des organisations de masse a lieu. Lors de son intervention Mouffok est interrompu par Boumediene en personne. Dans l’après midi, Mouffok est informé que la Sécurité Militaire (SM) le cherche.

L’intégration au BP du PCA et la clandestinité. Suite au coup d’Etat, Mouffok intègre le Bureau politique du PCA qui fusionne avec des militants progressistes du FLN. Mouffok entre dans la clandestinité. Ne supportant plus celle-ci, il quitte sa cache et rejoint son épouse (la sœur d’un étudiant islandais rencontrée à Berlin). Il découvre le saccage de son appartement, les menaces contre sa femme, l’impossibilité pour ses enfants de quitter l’Algérie. Dans une tentative folle, il demande l’asile politique à l’ambassadeur de Norvège qui l’éconduit. Ce refus le conduit à un second (mais court) exil au Maroc.

La fuite au Maroc. Arrivé à Rabat, il est aperçu le Secrétaire général de l’UNEM. Arrêté par la police marocaine, il demande l’asile politique. La situation est paradoxale. Le président de l’UNEM est en fuite en Algérie et le Président de l’UNEA est en fuite au Maroc. La réponse à la demande de Mouffok est un tabassage en règle. Le journal Le Monde annonce que le Président de l’UNEA a été aperçu à Rabat. Son affaire est traitée au plus haut niveau (celui du Roi). Relâché, il réussit à rejoindre Alger où il retrouve son appartement inondé. Epuisé par son périple, il s’allonge. Son repos sera court. A peine arrivé, il est de nouveau arrêté.

La prison et la torture. La SM le conduit dans un centre de torture (Bouzaréah). Ses conditions de détention sont marquées par la pénombre, la saleté, la vermine, l’exiguïté (la cellule mesure 1,20m de long et 50 cm de hauteur).Transféré à El-Harrach, il y retrouve des camarades de l’UNEA et d’autres mouvements. Accusé de délit de malfaiteur, Mouffok s’engage dans une lutte pour l’obtention du statut de prisonnier politique. Le Juge en charge de son dossier, T. Lomri, est le père d’un membre du Comité directeur de l’UNEA. Une campagne internationale conduit à son transfert à Constantine où les conditions de détention sont moins dures. Néanmoins son état mental s’aggrave. Voyant des détenus allemands et les entendant parler, Mouffok est persuadé d’être dans un camp de concentration et demande à ses camarades de le sauver des nazis. Il est alors pris en charge notamment par des détenus français (R.Journet et G. Fève, membres du PCA). M. Benamar (avec qui il avait fuit l’Algérie en 1956 devenu depuis diplomate) vient lui fait part de sa discussion avec Bouteflika alors Ministre des affaires étrangères (actuel Président algérien). Il l’informe que des Chefs d’Etats étrangers sont intervenus en sa faveur. Des manifestations étudiantes ont lieu à Alger le 16 novembre et réclament sa libération. Cette pression conjuguée à une campagne internationale aboutit enfin le 17 novembre 1966.

La libération et l’émigration. Selon Mouffok, il s’agit d’une seconde renaissance. Il se retrouve privé de sa femme et de ses enfants (réfugiés en Islande), de son appartement (affecté à un agent de la SM, de ses diplômes (restés dans l’appartement), et ressent des séquelles. Il monte dans un avion pour Paris mais un officier de la PAF lui signifie qu’il est interdit de sortie du territoire.  Il réussit à obtenir un travail à la SONATRACH. Renvoyé, Mouffok sollicite  B. Abdesselam, ancien dirigeant de l’UGEMA et alors Ministre de l’industrie et de l’énergie. Abdelsselam intervient auprès du Ministre de l’intérieur pour lever l’interdiction de sortie de territoire. Mouffok part pour la France et une autre vie.

Conclusion. « l’UNEA était la seule organisation algérienne dont les dirigeants étaient élus démocratiquement (…) Elle jouait un rôle d’avant-garde et reconnu comme tel (…) Ce témoignage tente de reconstituer cette ambiance pour que les étudiants d’aujourd’hui, beaucoup plus nombreux , s’en inspirent et restituent à l’Université algérienne son rôle dans la vie politique, sociale et culturelle du pays ». Avant propos de Houari Mouffok à son ouvrage.

Karim Lakjaa.

Les Cahiers du Germe N° 26 1er trimestre 2006



[1] Voir “ le Manifeste du jeune Algérien ”, in Le Mouvement national algérien, Textes 1912 – 1954, C. Collet et R Henry, l’Harmattan, 1978 et Préliminaires pour une étude de l’AEMNA dans les années 30 à travers les archives du Quai d’Orsay, Les mouvements politiques et sociaux dans la Tunisie des années 1930, Kmar KCHIR-BENDANA, Tunis, 1987, pp. 317-328.

[2] Au fil de la crise, Ali El-Kenz, Editions Bouchène, 1989, page 21.

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