Laurence VIRY, Le monde vécu des universitaires, ou La République des Egos, PUR, Rennes, 2006. Ce livre, préfacé par Vincent de Gaulejac, est la version publiée d’une thèse en sociologie. Pour Laurence Viry, d’origine populaire comme elle le souligne dans l’introduction, l’université a longtemps représenté « un lieu inaccessible ». C’est ce « mystère » au sens de représentation éloignée de la réalité, qu’explore l’auteure, et plus particulièrement le monde des enseignants du supérieur, et ce qui contribue à en donner, ou non, une identité collective.
Ce sont les entretiens qui donnent la matière aux développements de l’ouvrage. Il s’agit de 43 Maîtres de conférences et professeurs, 7 membres du CNU, 11 docteurs en attente de poste, dont la liste est donnée (avec anonymat quand l’interrogé le désire) en annexe suivant des tableaux détaillant origine sociale, géographique, sexe, âge, statut, année d’entrée en fonction… Il s’agit d’enseignants en sciences humaines, donc pas de scientifiques, de juristes, d’économistes.
L’ouvrage est partagé en quatre parties : la méthode, les « épreuves instituées », la vie à l’université et enfin les scenarii.
Sur la méthode, les référents sont nettement désignés : la sociologie de Pierre Bourdieu et la sociologie clinique. Ce sont des itinéraires socio-biographiques tout à fait illustratifs et riches. La dernière partie (les scenarii), dénote l’importance de l’origine sociale – ici ascendante- et la confrontation des habitus de ces nouveaux entrants et leur quête de reconnaissance, avec les habitus universitaires traditionnels.
C’est l’objet des deux parties centrales que de décrire et analyser l’entrée et le déroulement dans la carrière, effectivement des « épreuves » dans tous les sens du mot, avec la thèse (et de revenir sur le passage de l’ancien système mandarinal à un nouveau système) comme « agrégation dans la communauté avec un statut supérieur »,puis l’évolution dans la carrière avec le choix de présenter (ou non) une HDR (habilitation à diriger des recherches) et les enjeux du passage de maître de conférence à professeur des universités. Sont ensuite examinées les conditions de vie et de travail à l’université (enseignement, recherche, travail administratif, les rémunérations) et surtout la manière dont les enseignants interrogés présentent ces questions.
S’il y a eu quelques enquêtes administratives sur les enseignants du supérieur, Laurence Viry a raison de noter l’absence de travaux sociologiques en profondeur. Réticence traditionnelle d’un corps – dont c’est pourtant le métier – de mener des recherches suir lui-même ? Ces difficultés – à la fois atout et handicap de la « familiarité »- sont bien expliquées pour ce travail qu’il faut saluer comme un début. Sans doute la réalisation d’enquêtes plus vastes – ce qui implique, nous le savons, moyens matériels et travail d’équipe, permettrait ultérieurement de tenter une véritable prosopographie. En croisant ce type de recherches avec des travaux de Bertrand Geay sur le syndicalisme enseignant, l’on avancera vers une connaissance plus approfondie des formations des idendités collectives professionnelles. Cela vaut pour les enseignants, mais évidemment pour les étudiants.
Robi Morder.
Les Cahiers du Germe N° 26 1er trimestre 2006