Re-unification(s) étudiantes?

duel etudiants

Allemagne: duel entre étudiants

Un atelier du congrès de l’UNEF qui se tient à Nancy le 1er avril 2022 est consacré à l’histoire des scissions et réunifications, avec le Germe et la Cité des mémoires étudiantes Nous reproduisons ici à titre documentaire des réponses, en novembre 1999, de Robi Morder à une série de questions qui lui avait été posée par la FAGE au sujet de la « réunification »,. Des notes ont été rajoutées pour une meilleure compréhension et des références. Pour rappeler le contexte, à l’époque, il existait encore deux UNEF (l’UNEF indépendante et démocratique d’une part, l’UNEF dite solidarité étudiante d’autre part), la FAGE, ainsi que PDE et l’UNI. Il était déjà débattu d’une « réunification » des deux UNEF et par ailleurs la MNEF (Mutuelle  nationale des étudiants de France) en liquidation allait être remplacée par la LMDE en 2000 avec le soutien des deux UNEF et de la FAGE.

C’est à la fois en tant qu’ancien militant étudiant et aujourd’hui chercheur, animant le GERME, que j’ai le plaisir de répondre à vos questions. Ce sont quelques reflexions qui n’engagent que moi et qui méritent sans doute discussion et approfondissements, comme les nuances puisqu’il s’agit de vastes questions traitées en peu de lignes;

Peut-on parler de réunification?

Dans ce terme, il y a « unification » et il y a « re », ce qui implique un aspect répétition, retour à un ordre ancien, à une situation antérieure. Réunification, ce serait un peu rassembler à nouveau les branches dispersées d’une même famille, d’un même groupe. Evidemment, la référence est « la grande UNEF ». Mais quelle séparation veut-on « réparer » ? Celle de 1971 (entre la branche communiste et la branche »lambertiste »)[1]  ? Celle de 1961 entre l’UNEF et une FNEF (Fédération nationale des étudiants de France) se proclamant « apolitique » ? Les divers départs qui se situent entre 1967 et 1970 de ceux qui abandonnent le syndicalisme étudiant comme référence (JCR, maoïstes, situationnistes…) ou de ceux qui en sont exclus (par exemple les dernières AGE « corpos » qui subsistent encore dans l’UNEF fin 1968)[2] ? Il est vrai qu’aujourd’hui les deux UNEF comme la FAGE et d’autres associations se revendiquent (ou agissent) comme héritières d’une partie du patrimoine de la vieille UNEF unitaire qui, au faîte de sa gloire et de sa puissance, manifestait contre la guerre d’Algérie, réclamait une réforme démocratique de l’Université, créait la sécurité sociale étudiante et la mutuelle[3], gérait les services, des restaurants et cogérait les œuvres et réussissait à rassembler jusqu’à 100 000 adhérents, soit près d’un étudiant sur deux et à faire travailler ensemble (sans exclure – loin de là – la discussion et la polémique) des gens de tous bords. Il ne faut guère mythifier, tout cela n’était ni facile ni grandiose (on retrouve toujours de manière récurrente les plaintes sur le peu de personnes acceptant de s’engager une année universitaire au bureau ou dans les diverses activités…) mais cela a existé. Evidemment, aujourd’hui aucune organisation n’est capable (et il ne suffit pas de le décider) de prendre en charge de manière efficace et satisfaisante l’ensemble des domaines de la vie étudiante. Pour caricaturer, je dirai que la FAGE s’est spécialisée dans les « services », l’UNEF ID dans la négociation et la proposition et l’UNEF-SE dans la lutte. Je répète, il s’agit évidemment d’une caricature puisque ces organisations développent aussi d’autres activités. Mais la dispersion a créé la concurrence, et la concurrence n’est pas forcément un bien. L’étudiant a le choix entre les services de plusieurs organisations, d’associations locales, sans compter le privé (par exemple en matière de photocopie). L’exemple de la concurrence entre mutuelles et de ses conséquences néfastes en est une bonne démonstration. Loin d’améliorer la situation, proportionnellement les étudiants adhèrent moins aux mutuelles et celles-ci ont perdu (logique de concurrence et de marché) une bonne part de ce qui faisait « l’esprit mutualiste », de solidarité (regardons le passage d’un montant unique de cotisations à plusieurs niveaux d’adhésion et de couverture après la dispersion mutualiste dans les années 1970).  Plutôt que de simple « réunification », je pense que le terme de « reconstruction » d’un mouvement étudiant unifié au sein d’une structure commune est plus adéquat. (Je le pensais déjà quand en 1980, alors participant à la « réunification » mas/unef-us qui donna naissance à l’UNEF-id j’ai animé une revue : Les Cahiers reconstruction syndicale[4]. Mais si évidemment les mots ont du sens (et pas un sens unique), l’histoire a prouvé que les batailles de termes ne sont que des prétextes recouvrant des désaccords. Si la volonté de s’accorder existe, on trouve les compromis nécessaires ; si la volonté n’existe pas, n’importe quel prétexte – même minime – sera monté en épingle pour ne pas se mettre d’accord. Cette volonté existait en 1945/1946 entre individus et organisations pour faire de l’UNEF la seule organisation compétente en matière « d’intérêts corporatifs » (ce sont les termes de l’époque, sans assimiler corporatif à corporatisme). Si la volonté de faire quelque chose en commun existe, les organisations et représentants d’aujourd’hui trouveront eux-mêmes leurs propres termes… Alors, « réunification », « reconstruction »… l’important c’est le contenu

Quelle(s) organisation(s) pour deux millions d’étudiants ?

La question est double, puisqu’elle parle au singulier et au pluriel. Je me pencherai donc sur la nature des organisations étudiantes. Je mets de côté les branches étudiantes d’organisations politiques ou confessionnelles, même si évidemment elles ont un rôle important dans la formation des étudiants engagés, dans le débat à l’Université.

Je suppose que la question concerne les syndicats et associations étudiantes. Et je commencerai, là encore, par me méfier des étiquettes revendiquées. On le verra plus loin sur l’étiquette « apolitique », mais commençons par ce qui concerne l’opposition entre « associations » et « syndicats ». En effet, selon les époques, les termes sont utilisés indifféremment de manière parfois surprenante pour un regard contemporain. Au début du siècle, le terme « syndical » est parfois utilisé par ceux qui veulent défendre les intérêts des étudiants contre l’association jugée trop généraliste et « politique ». De même, le terme « corporatif » ou « corporatiste » est utilisé pour parler des revendications. On peut parler des « revendications » ou des « vœux », de « manifestations » ou de « monômes ». Encore en 1945, le terme de syndical est valorisé pour se distinguer des partis politiques…. Dans les années 1970, les politiques dénigrent le « syndical » comme trop restrictif, alors que dans les années 1980 on se refuse parfois à utiliser le terme de « syndicat » jugé trop « politique ». Tout ceci pour dire que l’opposition – si opposition il y a – est ailleurs.

En ce qui me concerne, je constate que les deux UNEF, la FAGE, PDE[5], des associations locales remplissent un rôle « syndical » dans la plus pure tradition du syndicalisme naissant du tournant du siècle. En effet, ces groupements ont une vocation représentative. Tous présentent des revendications, présentent des candidats aux élections universitaires, visent à développer des services pour les étudiants, bref ils ont l’ambition de faire exister un groupe social ayant vocation à être représenté. Par ailleurs, il y a d’autres formes d’organisations : politiques, confessionnelles, associations ayant un objet précis (humanitaire, d’insertion professionnelle, etc.) qui n’ont pas pour vocation première de représenter l’ensemble des étudiants (que ce soit l’ensemble au niveau national ou au niveau d’une discipline).

Ayant suivi les débats de la FAGE, de l’UNEF ID, de l’UNEF SE je constate qu’il s’agit grosso modo des mêmes thèmes qui sont abordés, et les mêmes activités. Evidemment, il y a le vocabulaire, les façons de construire les discours qui se distinguent parce que l’histoire a forgé des « logiciels » particuliers à chaque organisation. Tout comme Word (Microsoft), Wordpro (Lotus) Wordperfect (Corel) sont trois logiciels différents[6], ils n’en doivent pas moins résoudre les mêmes questions : celles du traitement de texte. Alors, la question que l’on peut se poser est la suivante : est-ce que chacune des organisations arrive à couvrir tous les terrains de manière satisfaisante ? J’ai l’impression que non, et je pense qu’aucune organisation ne pourra seule par son propre auto-développement rayer les autres de la carte.

Une seule organisation pour plus de démocratie universitaire ?

Si la démocratie implique pluralisme, la séparation entre plusieurs organisations ayant globalement les mêmes fonctions et ambitions n’est pas la garantie de la démocratie.

L’on a dans les facultés la même chose (et de manière plus caricaturale encore) que dans le syndicalisme de salariés : des organisations en concurrence réunissant un nombre limité de militants, et de temps à autre une masse d’étudiants électeurs ou consommateurs… mais pas acteurs.

Pour qu’il y ait démocratie (et donc débat, confrontations, discussions) il faut un cadre commun. Quelles formes peut prendre ce cadre ? Un seul syndicat ? Une confédération ? L’organisation commune d’assemblées dans les UFR à partir des élus et des organisations pour débattre des questions locales et nationales ? Tout est imaginable.

Sur quelles bases pourrait exister une organisation de ce type, sur la liberté de débat, et des règles communes de fonctionnement et de prises de décision.

Le débat doit être libre, c’est à dire qu’aucune question n’est à priori exclue des discussions. Il n’y a pas d’un côté les sujets « politiques » (donc « nobles »), laissés aux partis et les sujets « terre à terre » (« corporatifs ») dévolus aux associations et syndicats. Associations et syndicats ont le droit (je dirais même le devoir) de discuter de la pédagogie, de projets d’université (et donc forcément de discuter de la société environnante), du chômage comme du racisme ou de la liberté. Dans un milieu comme le milieu universitaire, les syndicats ont un rôle d’impulsion du débat sur toutes ces questions. Par contre, à l’inverse des partis, la prise de position n’est pas obligatoire sur tous ces sujets, sauf quand il s’agit de questions de principes. En effet, le soi-disant « apolitisme », qui consiste à ne pas prendre position, est une prise de position d’acceptation de l’ordre établi. L’apolitisme qui aboutit à refuser une opposition à la politique raciale de Pétain est une hypocrisie totale[7]. La « neutralité » est de même nature. Je préfère le terme « d’indépendance » vis à vis des gouvernements, des partis, des syndicats, c’est à dire que les prises de position des étudiants doivent être prises par ces derniers. Encore faut-il une garantie d’indépendance matérielle. Comment être indépendant du gouvernement, de l’administration, de mutuelles quand les organisations dépendent de leurs subventions. La garantie de l’indépendance, c’est d’abord les cotisations et donc un nombre élevé d’adhérents, et un financement public avec des critères identiques et transparents tant au niveau national que local.

Le nombre d’adhérents (et le passage d’adhérent à membre actif) est également essentiel pour éviter que les débats n’apparaissent comme portés uniquement par les militants des organisations politiques ou confessionnelles entre lesquels la « masse » n’aurait qu’à voter. Cette conception est purement parlementaire (même si le parlementarisme vaut mieux que la dictature). Je suis personnellement attaché au droit de tendance (étant entendu que le droit n’emporte pas obligation à tendances), c’est à dire au droit de voir des propositions défendues et représentées dans les débats et les instances. Ceci dit une organisation de type syndicale repose sur des structures (associations, corpos, sections, etc.) et donc les tendances qui seraient amenées à se former ponctuellement lors des congrès ou à d’autres moments doivent regrouper des structures et non être un regroupement simple d’individus. C’est donc une conception fédéraliste que je défends. Evidemment, il peut y avoir des effets pervers comme on a pu le constater. Mais l’absence d’un droit de tendance aboutit à un risque bien majeur, celui d’empêcher l’expression d’oppositions, puisqu’alors une majorité d’un congrès pourrait obtenir la totalité des instances, amenant les minorités à se soumettre ou à se démettre (ce qui veut dire scissions). De toutes façons, ni le droit, ni des statuts ne remplacent une maturité et une responsabilité dans l’exercice de ces droits et l’application de statuts.

Mon expérience personnelle de militant étudiant puis mes recherches m’amènent souvent à dire aux étudiants d’aujourd’hui qu’il n’y a pas de complexe à avoir par rapport aux générations antérieures. On a trop souvent une mythification du passé et de « l’âge d’or ». C’est une constante dans les discours : « avant, c’était mieux », culpabilisation entretenue (inconsciemment ?) par les « anciens » qui savent toujours mieux que les actuels ce qu’il faut faire. Chaque génération arrive avec ses propres problèmes, dans un certain contexte et tente de les résoudre à sa manière. Le passé et l’expérience doivent évidemment servir, mais pas comme mythe (même si le mythe peut avoir une dimension mobilisatrice). Facile à dire, plus difficile à faire, d’autant que la préoccupation immédiate d’un jeune qui s’engage et qui découvre tout n’est pas de regarder en arrière pour s’apercevoir que, finalement, beaucoup de questions d’aujourd’hui se posaient déjà hier. Alors, il y a à prendre dans l’ancien ce qui est utile dans un contexte nouveau. L’UNEF rassemblait 100 000 adhérents dans une université de 200 à 250 000 étudiants au début des années 1960. Il est évident qu’une organisation d’un million d’étudiants ne pourrait ressembler aux structures de l’UNEF de l’époque. Il convient donc d’inventer.

[1] Sur le site du Germe, 3 articles « il y 50 ans, la scission de l’UNEF » http://www.germe-inform.fr/?p=4220

[2] Jean-Philippe Legois, Alain Monchablon et Robi Morder, Etudiant-e-s en révolution : les années 1968, Paris, Syllepse, 2018.

[3] Voir dossier MNEF sur notre site, http://www.germe-inform.fr/?p=934

[4] Revue de la TSARS (Tendance syndicaliste autogestionnaire reconstruction syndicale), 5 numéros de 1980 à 1982 et un numéro 1 d’une nouvelle série en 1982.

[5] Promotion et défense des étudiants, organisation issue de la FAGE qui aurait renoncé à « l’apolitisme », et qui a existé de 1994 à 2018, où elle est « mise en veille » après avoir perdu son dernier élu au CNOUS et au CNESER.

[6] Worpro et Wordperfect ont disparu depuis.

[7] Voir dossier des Cahiers du Germe n° 25, http://www.germe-inform.fr/wp-content/uploads/2013/10/dossier-cahiers-25.pdf

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