Il y a 50 ans la scission de l’UNEF (3)

Deus une pour deux 59e congres23 février – 5 mars 1971: deux congrès, deux villes, deux dates, deux UNEF

Les deux congrès se tiennent à 15 jours d’intervalle, bien qu’à l’origine la même date avait été retenue. Le 21 février 1971 à Dijon, s’ouvre le 59e congrès de l’UNEF organisé par la délégation permanente. Environ un millier d’étudiants, majoritairement de l’AJS selon Le Monde, y participent, L’Humanité sans donner de précisions sur les travaux et le nombre de présents, qualifie la réunion de « concile trotskyste de Dijon », Konopnicki de « mascarade illégale »[1]. La tendance UID (voir chapitre 2) qui avait été déclarée par des étudiants socialistes au collectif national du 24 janvier paraît finalement absente. Il est vrai qu’ils avaient dans leur déclaration que si deux congrès avaient lieu, ils ne participeraient ni à l’un, ni à l’autre. La préoccupation est que l’UNEF puisse « redevenir la maison de tous les étudiants ». Michel Sérac est élu président, il annonce qu’il se rendra à la mutualité. Du côté renouveau qui avait prévu de tenir le congrès à la faculté d’Orsay, la disponibilité de locaux adaptés avait amené à un changement de lieu et à un report de deux semaines. Le grand amphi de la Sorbonne n’étant pas libre pour trois jours, c’est la salle de la mutualité qui accueille le congrès le 5 mars 1971. Michel Sérac se présente en tant que « président de l’UNEF » des 9 h 30, mais l’accès lui est refusé puisqu’il n’est pas délégué de base. Finalement, une heure plus tard, il lui est indiqué qu’il peut s’exprimer devant le congrès, non en tant que président, mais membre de la commission de contrôle de l’UNEF, ladite commission étant encore légitime et légale puisqu’il n’y a pas encore eu de désignation de nouvelles instances. Le vendredi soir un grand rassemblement se tient dans une cour de la Sorbonne pleine.

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Étudiants de France, n° 0 – 5 mars 1971 à la Sorbonne

Deux villes, deux dates, deux courants différents et pourtant, du point de vue du « répertoire d’organisation congressiste », énormément de similitudes, en commençant d’abord par la stigmatisation de l’autre tendance comme faisant le jeu de la division au profit du gouvernement.

Des deux côtés, c’est la volonté d’apparaître comme des congrès syndicaux, responsables, organisés, tranchant avec les affrontements inter-tendanciels du passé dont le 70e congrès avait été une caricature. Ceci est bien évidemment facilité puisque séparés, chacun est seul et au calme chez soi…  Il n’empêche, les congressistes travaillent, il y a des rapports, des commissions, des discussions en plenière, beaucoup de résolutions votées quasiment à l’unanimité. On retrouve les mêmes thématiques : la sélection, les bourses, les examens, la solidarité internationale, la volonté d’être partie prenante du mouvement syndical dans son ensemble.

dossier delegue dijonA Dijon comme à Paris, on tient à rencontrer le ministre pour y porter les revendications, sur la base d’un rapport de force qu’il soit électoral, d’appel à journée d’action, ou de luttes en cours. Être reçu au ministère, c’est évidemment reconnaître la légitimité des autorités de tutelle, ce qui tranche avec la pratique antérieure de l’UNEF dans l’après 1968. Mais c’est surtout pour chacune des deux UNEF être reconnue comme interlocutrice légitime, ce qui devrait aux yeux des étudiants confirmer la fonctionnalité et la représentative de l’organisation syndicale[2].

Ce qui les distingue le plus nettement, c’est la tactique électorale : l’UNEF Unité syndicale maintient la ligne du boycott des conseils d’université au nom de l’indépendance syndicale, tandis que l’UNEF renouveau présente des listes.

La masse d’étudiants réunie – qui peut s’avérer contradictoire avec un congrès de travail (rappelons que jusqu’à 1968 les congrès ne dépassaient pas 200 ou 300 personnes) – est une façon de montrer une force représentative vis-à-vis des étudiants eux-mêmes, galvanisant les délégués présents, devant impressionner l’opinion au travers des journalistes qui suivent les deux congrès, et les organisations invitées. C’est en tous cas le sens du rassemblement du 5 mars qui vise à relativiser le congrès de Dijon[3].

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Grenoble université, mars 1971

Du côté syndical, à Dijon la présence de la puissante FEN (Fédération de l’éducation nationale) en la personne de Louis Astre, comme celle de Force ouvrière et de la CFDT[4] apportent une reconnaissance à l’UNEF-US. La CGT comme le SNESUP sont absents, ce qui est en cohérence avec leur refus de recevoir et reconnaître les structures issues du CN du 10 janvier. En revanche, CGT, SNESUP, UNCAL sont présentes, le SNCS l’est en tant « qu’observateur », comme il l’était à Dijon, et il y a des messages ou des délégations de syndicats de la FEN de tendance CGT.

L’internationalisme est également de mise, dénonciation de l’impérialisme US, présence de délégations d’étudiants d’autres pays. Toutefois entre les deux UNEF, la question des pays de l’Est et de l’URSS est traitée différemment, puisque si l’UNEF-US soutient des mouvements étudiants ou ouvriers en Pologne, en Tchécoslovaquie contre les gouvernements pro-soviétiques, il n’en va pas de même pour l’UNEF renouveau. A l’Union internationale des étudiants qui se réunit à Bratislava, au début 1971, la tendance renouveau est présente, alors que Berg et Nesterenko de la tendance unité syndicale se voient refuser un visa[5].

Le Compte-rendu de chacun des congrès, motions, rapports, discours des invités, est diffusé en interne[6], textes ronéotés ou regroupés dans le bulletin à destination des AGE et CA, Unef-inform. Le même intitulé est utilisé par les deux syndicats, chacun se voulant l’incarnation de la continuité de l’organisation. On trouvera ici Unef inform compte-rendu du congrès de Dijon, et deux textes du côté Renouveau : le rapport de Guy Konopnicki,   et le texte d’orientation du congrès de Paris. Des éléments en sont également donnés dans la presse imprimée des deux UNEF. Chassine est toujours directeur de publications de L’Étudiant de France, en février, le numéro qui annonce le congrès de Dijon. Après le congrès, Zalewski (Sérac) succède à Chassine comme directeur de publication , L’Étudiant de France demeure le journal de l’UNEF-US, récépissé en est donné en préfecture. Le numéro suivant parait en avril, et donne peu d’éléments sur le congrès. Par contre, Grenoble université (reproduction intégrale),  qui sort en mars est plus détaillé. L’UNEF-renouveau doit prendre un autre titre, ce sera Étudiants de France, dont le n° 0 sort en mars (reproduction intégrale), quasi-exclusivement consacré au congrès.

A suivre: de l’épilogue juridique aux effets de la scission.

[1] Conférence de presse du 23 février 1971.

[2] Toutefois, pour relativiser une telle reconnaissance, dans la procédure juridique, ultérieurement René Maurice – en réalité l’avocat –  dans ses conclusions rappelle qur « les contacts avec un ministre de tel ou tel dirigeant d’un mouvement étudiant ne consacre pas la représentativité du mouvement en question ».

[3] Entretien avec Guy Konopnicki.

[4] Présente à ce congrès, la CFDT ne soutiendra finalement ni l’une ni l’autre des UNEF.

[5] Gilbert Wasserman, malheureusement décédé bien trop tôt, m’avait expliqué qu’il faisait la « tournée » des organisations étrangères en France ou en voyage, en même temps que Nesterenko ou Berg, tous étant des sortes de VRP internationaux faisant les mêmes trajets pour des compagnies différentes afin de convaincre les interlocuteurs de la supériorité représentation de leur UNEF respective.

[6] Pour l’UNEF US, l’on dispose des archives à La contemporaine, cote F/DELTA/1077. Pour l’UNEF dite renouveau la Cité des mémoires étudiantes, en lien avec les animateurs du site unef.org tente d’avancer vers la constitution d’archives. Voir la page sur 1971. On trouve aussi des rapports et trois numeros d’Unef-inform (n°2, n° 3 et n° 4) au Centre Jacques Sauvageot (archives de l’ITS)..

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