Du collectif national du 10 janvier jusqu’à la veille des deux congrès
Comme nous l’avons vu précédemment (Il y a 50 ans, la scission de l’UNEF (1))Guy Konopnicki (renouveau) ne se rend pas à la réunion de la délégation permanente le 11 janvier. La délégation permanente présidée par Michel Sérac (unité syndicale) édite les motions votées du collectif national du 10 janvier (voir le texte intégral ). L’UNEF renouveau dans un communiqué estime que la délégation permanente « élue le 10 janvier par le « collectif » pour expédier les affaires courantes de l’UNEF tente de confisquer à son profit le sigle UNEF et prétend décider de la tenue d’une réunion qu’il baptise congrès de Dijon, ce qui caractérise une attitude de scission […] et considère que seuls les comités d’action peuvent, à l’heure actuelle, décider des modalités statutaires de convocation du cinquante-neuvième congrès de l’UNEF ». Pour la délégation permanente le problème de la convocation du congrès ne se pose plus, puisque les deux tendances ont participé jusqu’au bout au collectif national qui en a décidé du lieu et de la date.
A la recherche d’une légitimité interne.
Le courant renouveau met en avant la base, à savoir les comités d’action (CA), qui sont devenus la structure de base de l’UNEF depuis la réforme statutaire de 1969 (« ils constituent l’unité de base sur un terrain de lutte limité (unité d’enseignement, faculté, section, année, etc…(art 3-1), l’AGE devant « obligatoirement regrouper l’ensemble des comités d’action et […] coordonner leur action (art 3-2) ». Ainsi 69 comités d’action « reconnus » décident de convoquer pour le 14 février une assemblée générale de l’UNEF pour décider des lieux du congrès. La délégation permanente, se fonde sur la légitimité du CN du 10 janvier, et un nouveau collectif national est convoqué pour le 24 janvier pour préparer le congrès de Dijon.
La bataille est engagée dans les comités d’action qui doivent recevoir des cartes. Or, les CA à majorité renouveau se plaignent de ne pas recevoir les cartes d’adhérents 1970/1971 que la délégation permanente réserverait à ses comités. Guy Konopnicki, avec sa légitimité de membre de la commission de contrôle issue du précédent congrès, fait alors imprimer des cartes. qui seront échangées contre les « vraies » cartes (cartes jaunes) quand celles-ci parviendront. Ce sont les « cartes rouges », stigmatisées par la tendance adverse comme étant de fausses cartes.
L’Humanité et Combat du 22 janvier 1971
La bataille tourne parfois à l’affrontement physique, comme à Assas le 14 février où l’AG du CA ne peut pas se conclure par un vote. Le paroxysme est atteint au centre universitaire Censier le 21 janvier, faisant plusieurs blessés avec une « défénestration »[1]. Voici ce qu’en rapporte le journal Le Monde en date du 27 janvier :
« De violentes bagarres ont opposé le 21 janvier, au centre universitaire Censier, à Paris, des militants de l’UNEF – Renouveau (animée notamment par des étudiants communistes) et de l’Alliance des jeunes pour le socialisme (trotskiste) Il y a eu plusieurs blessés. Dans un communiqué, l’UNEF-Renouveau déclare qu’une » centaine de nervis de l’AJS et de l’Organisation communiste internationaliste (la plupart non étudiants), casqués et armés de barres de fer, après de multiples provocations contre les distributeurs de tracts UNEF-Renouveau les ont » ratonnés » avec une sauvagerie inouïe. Ces brutes sont allées jusqu’à précipiter six de ces militants par les fenêtres du deuxième étage de la faculté, continuant leur action de barbares en cassant chaises et cables sur les camarades qui s’écrasaient à terre, les membres brisés. Devant l’audience grandissante de l’UNEF – Renouveau, poursuit le communiqué, l’AJS a été contrainte de reculer jusque dans ses derniers retranchements. Elle tente d’imposer aux étudiants les affrontements physiques afin d’empêcher dans les facultés le débat démocratique de s’installer et les luttes de se développer contre la politique universitaire du pouvoir. D’après certaines informations, deux des étudiants blessés seraient atteints d’une fracture du crâne. Selon l’UNEF-Renouveau, un étudiant souffrirait de graves fractures aux talons, un autre aurait le poignet cassé. Pour les dirigeants de l’AJS, au contraire, ce sont les militants trotskistes, dont M. Michel Sérac, président de la » délégation permanente » de l’UNEF, qui ont été blessés et hospitalisés après avoir été » odieusement matraqués « . La délégation permanente de l’U.N.E.F » que contrôle l’AJS, a publié elle aussi un communiqué, où elle accuse » les dirigeants staliniens du PCF et de l’UEC sous le couvert de la prétendue UNEF – Renouveau, d’utiliser la violence, les barres de fer, le mensonge et la calomnie. Selon l’administration du centre Censier, les bagarres du 21 janvier auraient fait six blessés, dont aucun cas grave. Trois d’entre eux ont cependant été conduits à l’hôpital. »
Et d’une légitimité externe
L’Humanité, 26 janvier 1971
On ne saurait isoler l’histoire de la scission du contexte de l’après 1968, ni de la conjoncture elle-même. « Loi anticasseurs » de 1970, « racisme anti-jeunes », dénonciation des « gauchistes-Marcellin (ministre de l’Intérieur) » par le PCF et la CGT. Pendant que l’UNEF éclate et que le mouvement étudiant paraît affaibli, un mouvement lycéen se développe avec une grève générale et « l’invention de la coordination » au cours des « trois glorieuses » de l’affaire Guiot les 17, 18 et 19 février[2]. Au rassemblement de la bourse du travail à République le 18 février pour obtenir la libération de Guiot, venant de Bastille un cortège de la délégation permanente de l’UNEF, (c’est la photo en une de L’Étudiant de France qui annonce le congrès de Dijon, voir plus bas) est hors des « officiels » (associations de parents d’élèves, syndicats, dont UNCAL pour les lycéens, et structures UNEF renouveau), et aussi de la coordination lycéenne qui conduit la grande majorité du cortège vers le rassemblement.
Depuis janvier, des deux côtés on recherche une reconnaissance du côté syndical. La CGT refuse de recevoir la délégation permanente, le bureau confédéral de l’organisation explique dans un communiqué « La CGT ne reconnaît pas au groupe qui a succédé au bureau démissionnaire le droit de parler au nom de l’UNEF, mais elle estime avoir le devoir de dénoncer les méthodes auxquelles recourent ceux qui s’en réclament pour imposer par la violence la domination d’une petite minorité ». La commission administrative du SNESUP attend qu’un congrès « statutairement et démocratiquement tenu » désigne sa direction, et en attendant refuse de reconnaître la délégation permanente comme direction de l’UNEF. En revanche, de leur côté, la CGT-FO et la CFDT acceptent de dialoguer et annoncent leur présence au congrès de Dijon. La FEN, Fédération de l’éducation nationale, dirigée par la tendance UID (Unité, indépendance et démocratie) est plus ennuyée puisqu’elle regroupe en son sein les tendances correspondantes à l’UNEF-US (la tendance EE-FUO) et à l’UNEF (tendance Unité et action). Elle reçoit en conséquence les deux parties.
Presse-Océan, 26 janvier 1971
Le bulletin socialiste 26 janvier 1971
Au plan politique, les étudiants communistes qui animent le courant renouveau ne sont pas seuls : les conventionnels (de la Convention des institutions républicaines de François Mitterand), des étudiants de la gauche du Parti radical, certains étudiants socialistes du CERES sont pleinement impliqués. Chez les étudiants c’est le programme commun de l’union de la gauche avant l’heure [3]. En face, la délégation permanente n’apparait soutenue que par l’AJS-OCI. Pourtant, malgré la déclaration officielle des étudiants socialistes se tenant à distance du conflit, une tendance socialiste se créée officiellement lors du CN du 24 janvier sous la dénomination d’UID (Unité, indépendance et démocratie), clin d’œil ou appel du pied à la direction de la FEN. En dehors, la Ligue communiste et le PSU commentent et polémiquent. Dans Rouge du 4 février, sous la plume d’Ernest Claire, la LC estime que « le cadre de mobilisation réelle, le lieu de la recomposition du milieu étudiant passait manifestement en dehors d’elle [l’UNEF], par les comités de lutte impulsés par la Ligue communiste ». Dans Tribune socialiste du même 4 février, Jean-Laurent Cascarano rappelle que le départ du PSU de l’UNEF est motivé principalement « parce que nous pensons qu’il y a une possibilité de regrouper aujourd’hui une frange importante du mouvement étudiant en rupture avec le réformisme […] L’UNEF n’est plus qu’un champ clos d’un triste combat militaire et organisationnel entre deux groupes rivaux », constatant que la gauche étudiante peut se regrouper dans « des structures unitaires non cartellisées ». Les « syndicalistes révolutionnaires » de l’AMR (Alliance marxiste révolutionnaire), bien que tenants d’une ligne de participation avec des « délégués de lutte et de contrôle » et opposés à la ligne du boycott, refusent de s’insérer dans l’une ou l’autre des UNEF[4].
En route vers deux congrès
Le 24 janvier, le collectif national de l’UNEF convoqué par la délégation permanente confirme la tenue du congrès de l’UNEF à Dijon du 21 au 23 février. Ceci est ratifié par une « assemblée de 140 CA » réunie le 10 février.
Convoqués par « un membre sur deux de la commission de contrôle » (Guy Konopnicki) et de « 69 CA représentatifs de plus du tiers des structures » le 14 février, « 125 CA sur 230 », soit « la majorité des CA et des adhérents de l’UNEF » convoque à Paris le congrès de l’UNEF du 5 au 7 mars.
A suivre… les deux congrès.
[1] Il se trouve que j’étais alors lycéen, présent à Censier ce jour là pour une réunion du secteur lycéen de la LC qui n’a pu finalement se tenir vu les évènements. Nous étions quelques-uns en avance, sur le parvis, dehors, J’ai d’abord entendu du bruit de tables qu’on déplace – et je m’étonnais d’abord que le ménage soit fait au milieu de l’après-midi avant d’entendre des cris, des hurlements provenant des étages (« Gdansk, Czceczin, à bas le stalinisme », – pour mémoire, il s’agit de la grève des chantiers navals polonais de décembre 1970 réprimés par le pouvoir du POUP, parti communiste polonais). J’ai bien vu une personne s’accrochant à une fenêtre du 2e étage, celle qui est au-dessus de l’auvent de l’entrée, d’autres lui tapant sur les doigts pour qu’il lâche prise. Tout cela a été rapide, l’affrontement a continué un peu dehors et je me souviens d’un des protagonistes monté sur une chaise, avec du sang sur la figure, prenant la parole avant d’être bousculé et mis déhors. Bien évidemment, je ne comprenais pas qui était qui, le monde étudiant m’étant alors assez étrange et étranger.
[2] Gilles Guiot, lycéen en prépa, est arrête et condamné alors qu’il ne participait pas à la manifestation du Secours rouge qui se déroulait au même moment Place Clichy, près du lycée Chaptal. Le mouvement aboutit à sa libération. Voir Didier Leschi et Robi Morder, Quand les lycéens prenaient la parole, Paris, Syllepse, collection Germe, 2018.
[3] Quelques mois plus tard, en juin 1971, au congrès d’Epinay François Mitterand prend le pouvoir dans le Parti socialiste avec l’appui du CERES sur une ligne d’union de la gauche incluant le PCF. En juin 1972, le programme commun de gouvernement est signé entre le PS, le PCF et les radicaux de gauche qui constituent leur propre mouvement fin 1972, le MRG.Les étudiants du CERES, proches du PSU et pour certains de l’AMR dans l’après 1968, prendront la direction de la MNEF en 1972, et se partagent alors entre l’UNEF dite renouveau et le MARC (Mouvement d’action et de recherche critique). Voir sur notre site les articles consacrés à la MNEF (« éléments pour une histoire politique de la MNEF ») et au MARC/MAS ( « Le Mouvement d’action syndicale; brève histoire d’un syndicat étudiant « anticapitaliste et autogestionnaire » »).
[4] Maurice Najman, de l’AMR, m’avait indiqué avoir été approché par les amis de Konopnicki pour que l’AMR s’intègre dans l’UNEF dite renouveau, avec des garanties de représentation. L’AMR n’a pas donné suite, sans doute l’écart entre la position syndicale et le positionnement politique dans la gauche révolutionnaire était délicat.