Il y a 50 ans, la scission de l’UNEF (1)

edf 1970Le collectif national du 10 janvier 1971

Il y a cinquante ans, le dimanche 10 janvier 1971, se réunissait dans un amphithéâtre de la Sorbonne le dernier collectif « unitaire » de l’Union nationale des étudiants de France. Le bureau national issu du congrès d’avril 1970 (voir « il y a 50 ans, le congrès d’Orléans de l’UNEF » ), équipe entièrement PSU (Parti socialiste unifié), annonce dès le début de la réunion, sur la base d’un texte diffusé, sa démission et son départ de l’UNEF. Quittant la salle, il laisse face à face les deux tendances dites « renouveau » pour l’une, « unité syndicale » pour l’autre. Après une première escarmouche, la tendance US sort également de la salle. Les militants du renouveau, restent dans l’amphithéâtre et commencent – sans quorum selon certains, mais pour d’autres il y serait puisque des ex-AGE du PSU, une fois le PSU parti, sont désormais à majorité renouveau – à adopter des motions, dont celle convoquant le congrès pour le 20 février 1971 à la faculté d’Orsay (majoritairement « renouveau »). Constatant la situation, la tendance US retourne dans la salle, ce qui provoque une brève bagarre avec chaises volantes et coups de poings, puis – le courant renouveau ayant accepté d’annuler les résolutions adoptées –  un retour à une discussion de procédure qui dura environ cinq heures. (Illustration : Dernière livraison du journal de l’UNEF, novembre 1970, col. La contemporaine, sur le site cme-u.fr)

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La « motion Neny ». Fonds UNEF-US. La contemporaine.

Les sujets abordés furent ceux de la préparation du prochain congrès et l’organisation provisoire de la direction, un intérim s’avérant nécessaire avec la démission du BN sortant. La tendance US n’eût pas de mal – détenant 610 mandats contre 304 puisque tel était le résultat validé au congrès d’Orléans – à faire adopter la création d’une  » délégation permanente  » composée de manière pluri-tendancielle. Cet organisme provisoire est composé sur la base des mandats du congrès d’Orléans 2 renouveau, 3 unité syndicale. Il est également décidé que le prochain congrès se tiendra à Dijon (bastion de la tendance unité syndicale), les 21, 22 et 23 février. Avant de se terminer aux alentours de minuit, un certain nombre de motions furent même adoptées à l’unanimité, l’une d’elles (la motion présentée par Neny, de Clermont-Ferrand) condamnant la « désertion » des anciens dirigeants de l’organisation assurant  « tous les étudiants de France » que le congrès serait préparé démocratiquement et qui est à l’origine du slogan « l’UNEF VIT, L’UNEF VIVRA » [1].

Fds R. Morder CME

Fonds R. Morder/CME

Mais le départ du PSU ne laisse plus dans un face à face que deux tendances dont aucune ne peut symboliquement accepter d’être minoritaire face à l’autre[2],  Aucune majorité ne peut se dégager de la commission de contrôle puisqu’il ne reste plus que deux membres, un de chaque tendance, pour valider des mandats. La tendance renouveau ne se rend pas à la réunion de la délégation permanente le 11. Le 19 janvier, lors d’une conférence de presse, Guy Konopnicki (renouveau: plate-forme pour le renouveau de l’Unef) explique : «  Nul ne pourra empêcher la tenue d’un véritable congrès démocratique de l’UNEF, dont les dates et lieux seront décidés démocratiquement par les comités d’action existant réellement et légalement »  dénonçant l’AJS (Alliance des jeunes pour le socialisme, vertébrant la tendance unité syndicale) qui « profite actuellement d’un rapport de force en sa faveur au sein du « collectif » et de la délégation permanente résultant d’un truquage des mandats », et qui refuserait de distribuer les cartes d’adhésion, les réservant aux comités d’action qui lui sont favorables. De son côté, Michel Sérac, président de la délégation permanente, constate « le refus des minoritaires de l’UNEF-Renouveau de participer aux travaux » de cet organe, confirme le congrès « statutairement prévu par le collectif national pour les 21, 22 et 23 février à Dijon » et annonce avoir demandé à être reçu au ministère de l’Éducation nationale ainsi que par les organisations syndicales.

La délégation permanente convoque un prochain CN de l’UNEF pour le 24 janvier, tandis que 69 des comités d’action reconnus ont décidé de convoquer pour le 14 février, à Paris, une assemblée générale de l’UNEF qui devra décider du lieu du prochain congrès.La scission est consommée.

La scission actée est en réalité déjà en marche depuis la rentrée.

fds R. Morder/CME

Fonds R. Morder/CME

Mai-juin 1968 avait paradoxalement accru le prestige public de l’UNEF et accentué sa crise[3]. Dès le congrès de Marseille (décembre 1968) une partie de l’extrême-gauche – trotskystes de « Rouge » (future Ligue communiste), maoïstes – et de nombreux comités d’action quittent le syndicalisme étudiant. Face à la majorité qui appelle au boycott des élections universitaires prévues par la loi Faure, se constitue le courant « pour le renouveau de l’UNEF » qui veut occuper le terrain de la représentation dans les nouveaux conseils de gestion [4].  La réforme statutaire qui fait des comités d’action la structure de base de l’UNEF (AG de Dauphine des 3 et 4 mai 1969) n’arrive pas à faire fusionner l’ancienne structure et les formes nouvelles du mouvement étudiant[5]. Le congrès d’Orléans en avril 1970 s’ouvre après qu’une bonne partie des mandats, notamment renouveau, ait été invalidée. Sur 18000 mandats validés, la plus grosse minorité (PSU), grâce à l’appui conjoncturel des maoïstes de l’Humanité rouge, conserve la direction dans laquelle ce parti est installé depuis 1967. Mais l’équilibre est fragile, d’autant que les étudiants du PSU ne sont pas un corps homogène et qu’une bonne partie pense que l’UNEF n’a plus de fonctionnalité, ni syndicale, ni politique. L’organisation est paralysée.

Le 18 octobre 1970, le CN réuni à Cachan blâme le bureau national qui n’a pas convoqué un collectif national en septembre ni édité les nouvelles cartes UNEF 1970/1971. Le CN condamne même le bureau qui « se permet dans une conférence de presse de distinguer les bons et les mauvais militants »[6]. Les cartes n’étant toujours pas là le 19, l’AJS envoie une « délégation massive » occuper le siège de l’UNEF, rue Soufflot. Le 20 octobre, c’est au tour du courant renouveau de venir protester… mais il trouve porte close. En effet, le BN a décidé de fermer les bureaux jusqu’à nouvel ordre.  Il faut dire que le PSU sait qu’il est minoritaire dans ce qui reste de l’UNEF, et sa direction penche vers un abandon du syndicat. « l’ensemble de ces difficultés avait conduit les militants PSU restés au BN de l’UNEF et décidés à maintenir la conception d’une « organisation de masse » étudiante, à retarder la reprise des cartes UNEF en octobre 1971. D’où une situation totalement incompréhensible de l’extérieur et qui facilitait la propagande de l’UNEF renouveau (PCF) et de l’AJS ».[7] Le 22 octobre, l’UNEF renouveau annonce qu’elle va « informer les syndicats des enseignants, des travailleurs de la situation qui existe à l’UNEF et qui est un frein à la convergence des luttes ». Le BN accepte finalement de délivrer les cartes par la poste, mais « nouvelle manoeuvre, ces envois se firent au compte-goutte »[8].

Michel Sérac écrit le 3 novembre au bureau national : « Depuis deux mois vous maintenez fermés les bureaux de l’UNEF, vous refusez la délivrance de cartes, plus exactement vous les délivrez aux étudiants PSU ». Le 30 novembre, une réunion d’étudiants du PSU semble s’orienter vers une exclusion de l’UNEF-renouveau. Guy Konopnicki réagit et demande la réunion de la commission de contrôle. Michel Sérac fait de même se « réservant, en cas de refus, le droit d’agir par tous les moyens existants ». Le 5 décembre plusieurs centaines de militants réunis à Dauphine à l’initiative de l’AJS créent la « tendance unité syndicale » pour « préparer un congrès d’unité et de lutte […] combattre pour une nouvelle direction dans l’UNEF »[9]. (Voir texte de référence) Le 15 décembre, la commission de contrôle est finalement réunie par le BN, et un CN est convoqué. Le 10 décembre dans Tribune socialiste (hebdomadaire du PSU) Jean-Marie Vincent écrit « Il ne peut être question de s’accrocher à une ombre de pouvoir au sein de l’UNEF ou de s’épuiser dans un vain combat dans ses structures parlementaires ».  Dans un communiqué public, le mardi 22 décembre le PSU déclare :« Comme le montre le pourcentage des abstentions aux élections universitaires actuelles, la bataille contre la participation a été gagnée […] Cet acquis, toutefois, est menacé par les développements de la vie interne de l’UNEF et par le départ de la plupart des militants révolutionnaires. Des fractions agissant comme des organisations complètement indépendantes ont fait dégénérer les discussions et les débats, tout en violant délibérément les décisions des congrès. L’UNEF-renouveau – contrôlée par le PCF, devenue aujourd’hui le principal sinon le seul appui sérieux de la politique de participation, a raboté systématiquement l’action de l’UNEF et contribue largement à y transformer les conflits politiques en affrontements d’appareils. Dans ces conditions, le maintien des étudiants du P.S.U. dans l’UNEF contreviendrait directement à l’orientation qu’ils ont défendue jusqu’ici pour rassembler la grande masse des étudiants opposés au capitalisme. C’est pourquoi le bureau national du PSU. leur a demandé de préparer leur départ de ce qui n’est plus aujourd’hui qu’une caricature de l’organisation dont les étudiants ont besoin[10]. » La direction étudiante du PSU a décidé toutefois de « remettre les clés à l’AJS », au sens propre comme au sens figuré[11]. Et depuis le 5 mai 1970, avec la procédure engagée par l’ACES, (Paris Sciences, exclue en 1968 pour non-paiement de cotisations), une menace de mise sous administration judiciaire plane sur l’UNEF.

Robi Morder

A suivre…

[1] Le compte-rendu est dans le Fonds UNEF US, La contemporaine, F/DELTA/1077/22

[2] Robi Morder, « La scission de l’UNEF » Revue de l’université n° 10,‎ 1997.

[3] Jean-Philippe Legois, Alain Monchablon et Robi Morder, Étudiant-es en révolution, Paris, Syllepse, 2018.

[4] Le 14 janvier 1969, Benoît Monier, au nom des 8 AGE animées par l’UEC annonce la décision prise de présenter « partout des listes de « défense des intérêts étudiants » et la création de « Comités pour le renouveau de l’UNEF » (L’Humanité, 15 janvier 1969). Voir le site www.unef.org qui est consacré à cette branche de l’UNEF, dite renouveau puis solidarité étudiante, qui a ouvert une page sur « l’UNEF en 1971 »..

[5] Robi Morder, « Regards juridiques, sociologiques et politiques sur les structures de l’UNEF », Les Cahiers du Germe, spécial 3, janvier 1998.

[6]Unef inform N° 1, 21 octobre 1969

[7]PSU Documentation « mouvement révolutionnaire et université », N° 42/44, 15/12/1972.

[8]Alain Burgonde,  « Les communistes, l’UNEF renouveau et l’UNEF », Est-Ouest N° 460, janvier 1971.

[9]Tribune syndicale N° 2 janvier 1971.

[10] Le Monde, 24 décembre 1970.

[11] Roger Barralis, séance de la journée ESU/PSU du 18 septembre 2020 consacrée au PSU dans l’UNEF du congrès d’Orléans à la scission. Voir la video. ainsi que le dossier de cette séance, dans Contact ESU n° 161: « en trois actes, les ESU et la fin de « l’UNEF unitaire ». Voir également les témoignages lors de la séance sur le congrès de 1970 des 12e JARME du 17 novembre 2020,

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