Il y a 60 ans: la création de la FNEF

LA FRANCE ETUDIANTE N 2Montpellier : mars 1961, l’Office de médecine de l’UNEF se constitue en UNEM, premier pas vers la scission de l’UNEF et la création de la FNEF en juin 1961

Le 30 juin 1961, à Montpellier est créée une nouvelle organisation étudiante à vocation représentative, la Fédération nationale des étudiants de France (FNEF). Jusque là une seule organisation, l’UNEF prétendait depuis sa fondation en 1907  à cette représentativité. La nouvelle organisation est à bien des égards fille d’un contexte particulier, celui de la guerre d’Algérie finissante, et aura du mal à survivre  à la nouvelle conjoncture, voire à s’adapter à la nouvelle situation créée par mai 1968 à l’Université.

La France étudiante, journal de la FNEF, n° 2, janvier 1961, après le 1er congrès (décembre 1961), cme-u.fr

L’évolution de la guerre d’Algérie sous la 4e comme sous la 5e Républiques a amené l’UNEF à s’engager de plus en plus activement contre la guerre. Bien qu’approuvée par de larges pans du monde étudiant, cet engagement suscita des réserves croissantes au sein du mouvement. Ces réserves émanaient tant de responsables  attachés à une certaine neutralité  de l’UNEF et inquiets d’une politisation excessive, que  de tenants de l’Algérie française ; de ceux-ci l’Association corporative des étudiants en droit de Paris était la représentante avouée, ayant cessé de verser ses cotisations à l’UNEF, ce qui lui valut finalement son exclusion. Cette opposition disparate représentait environ un quart des effectifs de l’UNEF. Par ailleurs l’engagement algérien de l’UNEF  lui valait  l’hostilité croissante du gouvernement dirigé par Michel Debré. Dès juin 1960 la traditionnelle subvention de fonctionnement lui avait été retirée. La conjonction de ces deux éléments allait donner la scission de l’UNEF et la naissance de la FNEF. Les opposants internes à l’UNEF avaient en effet renoncé à reconquérir la majorité au sein du syndicat étudiant, perdue en 1956, il ne leur en restait que l’appellation obsolète de « majos » (pour « majoritaires »). Et divers indices semblaient indiquer que le pouvoir verrait favorablement naître une organisation concurrente : dès juin 1960 un « comité de liaison » des opposants avait été reçu par le Haut commissaire à la Jeunesse et aux Sports, Maurice Herzog.

Avant le congrès fondateur [1] de Montpellier, s’était tenue en mars 1961, à Montpellier également,  une réunion des responsables UNEF des différentes  facultés de médecine de France ; ils formaient ce qui au sein de l’UNEF était appelé les Offices, organismes d’étude conseillant l’UNEF  dans ses réflexions sur l’Université, mais sans pouvoir de décision au sein du syndicat. En se constituant alors en association indépendante de l’UNEF la nouvelle Union nationale des étudiants en médecine jetait les bases de la scission.  Suivent en avril des unions nationales d’élèves d’écoles de commerce, d’étudiants en chirurgie dentaire, d’étudiants en droit, toutes  juridiquement indépendantes de l’UNEF. Ces unions professionnelles se réunissent à Montpellier du 27 au 30 juin. Le congrès de Montpellier est donc d’abord un rassemblement d’étudiants sur une base disciplinaire, ce qui rompt avec la vision de l’UNEF et de ses associations locales comme rassemblement des étudiants sur leurs intérêts généraux immédiats, et non sur leur avenir professionnel. On note d’ailleurs que les branches universitaires  où la FNEF recrute sont celles qui débouchent sur des professions délimitées : médecine, dentaire, pharmacie… La corpo de droit est à cet égard une exception, comme elle est une exception géographique : La FNEF a ses principaux  succès dans les villes universitaires méridionales, Nice, Aix, Montpellier, voire Toulouse, où les étudiants pieds-noirs ont un certain poids.

La nouvelle organisation se dote d’une charte, qui prend le contrepied des  thèmes développés par l’UNEF : affirmation d’apolitisme absolu, attachement au libéralisme économique et à la défense des professions libérales, vision de l’étudiant comme futur cadre de la nation, antimarxisme de principe [2].

Le soutien gouvernemental est immédiat : dès le mois de juin le ministère de l’Education nationale avait classé l’Union nationale des étudiants en médecine, vieille de deux mois, parmi les organisations étudiantes représentatives. En septembre de la même année, une subvention égale au tiers de ce qui était alloué à l’UNEF  est versée à la FNEF, qui obtient en outre trois des onze sièges étudiants au Centre national des Œuvres, autant étant retiré à l‘UNEF. Le soutien officiel s’amplifie  dans les années suivantes.

En dépit de quoi la nouvelle organisation peine à  s’imposer. Après s’être difficilement débarrassée de l’image « Algérie française » de ses origines, elle se présente comme libérale et modérée. Elle ne progresse pourtant guère  dans le monde étudiant, et ne parvient pas à rallier les plus importantes associations  « majos », à commencer par celle des étudiants parisiens en sciences, qui préfèrent demeurer dans l’UNEF. Au lendemain de 1968 elle ne parvient pas davantage, face à l’abandon du modèle syndical par l’UNEF, à  trouver sa place dans le nouveau cadre instauré par la loi Faure. Présentant alors des listes dans l’ensemble des universités, elle est alors la seule organisation nationale  face à la fraction de l’UNEF animée par les étudiants communistes, ce qui lui fait dire qu’ « il n’y a que l’UEC  et nous ». Ses thèses pour des universités autonomes, concurrentielles et régionalisées marquent   sa volonté d’innover. Pourtant le succès n’est pas au rendez-vous, et elle s’étiole lentement.

La naissance de la FNEF aura finalement signifié la fin du monopole représentatif, monopole qui avait fait la force de l’UNEF et structuré son mode de fonctionnement. À défaut d’être un commencement, elle a été le commencement de la fin d’un certain mouvement étudiant.

Alain Monchablon

[1] C’est en décembre 1961 que se tient le 1er congrès, dont le compte-rendu est donné dans France étudiante n°2.

[2] Note issue des annexes à Legois, Monchablon, Morder (coord.), Cent ans de mouvements étudiants, Paris, Syllepse 2007. Il y a eu un « projet de charte » en 1961, qui ne fut pas adopté visiblement par le congrès constitutif de la FNEF, puisqu’il n’apparaît pas dans les résolutions votées. En voici les extraits publiés dans Les sources du syndicalisme étudiant (thèse IEP) : « L’étudiant a le devoir de défendre les valeurs fondamentales de l’université que sont l’indépendance de l’esprit et la liberté humaine ». L’étudiant est « un futur cadre de la nation » qui a conscience d’en représenter « l’espoir et l’avenir ». A ce titre « il a le droit d’exiger le respect des principes fondamentaux de la profession à laquelle il se destine et se prépare » et « le devoir de s’intéresser à l’évolution professionnelle et économique nationale qui conditionne son avenir ». Ceci est cité page 355 de la dite thèse (à comparer avec « l’étudiant est un jeune travailleur intellectuel » de la Charte de Grenoble).

Au congrès de 1961, par contre, est adoptée une « Norme fondamentale » :
1. La FNEF résulte de la prise de conscience de la responsabilité collective et individuelle de l’étudiant dans la nation.
2. Elle entend rétablir le dialogue permanent avec l’Etat et les organismes représentatifs de toutes les catégories socio-professionnelles.
3. Le garant de ce renouveau est l’apolitisme qui implique l’indépendance du Mouvement et le respect des libertés de chacun ».

Est repoussée une motion qui reprend les points 1 et 2 de manière identique mais qui devient au point 3 :  Le garant de ce renouveau est l’apolitisme dans la mesure où celui-ci implique l’indépendance du Mouvement et le respect des libertés de chacun »

A l’assemblée générale qui se tient à Angers en janvier 1965, est adoptée la « charte d’Angers »: La FNEF est un corps intermédiaire ayant pour principe le respect de la dignité et de la liberté de l’étudiant français, futur cadre de la Nation, et pour vocation la défense de ses intérêts.

A ce titre :

  1. elle est libre et rejette tout système totalitaire
  2. elle est indépendante et refuse d’être subordonnée à tout groupe de pression
  3. Elle affirme ne pouvoir réaliser ses aspirations que dans le cadre d’une Université indépendante.
  4. Elle facilite l’intégration de l’étudiant dans la vie active de la Nation
  5. Elle concourt à l’épanouissement du sens civique de la jeunesse.

Elle n’existe que par l’adhésion de chacun de ses membres à ces principes et n’agit que dans le cadre de ceux-ci.

Source : FLASH, journal de la Fédération des Etudiants d’Amiens, septembre 1967, p 40.
http://www.cme-u.fr/index.php?option=com_zoom&Itemid=32&catid=677

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