L’UNEF, les étudiants et le 17 octobre 1961

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Extrait texte Dominique Wallon aux obsèques des morts de Charonne

Paris a connu le 17 octobre 1961 la plus grande tuerie d’ouvriers depuis l’écrasement de la Commune de 1871. Les étudiants et l’UNEF de l’époque ont réagi avec leurs homologues des autres professions.

Depuis le 5 octobre 1961, un couvre-feu a été institué à l’encontre des seuls Algériens (pourtant citoyens français), Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, précise pour le département de la Seine : « Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement entre 20 h 30 et 5 h 30 du matin ». Les « débits de boissons tenus et fréquentés par les Français musulmans » doivent fermer à partir de 19 h. Pour protester, la Fédération de France du FLN organise en guise de boycott du couvre-feu des rassemblements silencieux et pacifiques à la date du 17 octobre, ce sont ces rassemblements et manifestations qui sont l’objet d’une répression sanglante et dont témoignent des observateurs, ou des photographes, particulièrement Elie Kagan.

L’UNEF, malgré les menaces gouvernementales, la scission FNEF [1] organisée et soutenue par le Premier ministre Michel Debré, les coupures de subventions, l’interdiction faite à son président, Dominique Wallon, de se présenter au concours de l’ENA, s’engage aux côtés d’autres syndicats[2]. Déjà les représentants des sections parisiennes des centrales ouvrières (CGT, CFTC et FO) et de la Fédération de l’éducation nationale avaient été présentes au meeting de protestation contre les sanctions visant l’UNEF tenu à la Mutualité le 25 octobre[3] .Le 30 octobre, un appel simultané émane des unions départementales de la Seine CGT, CFTC, et du bureau national de l’UNEF : « Pour protester contre les mesures discriminatoires dont ils sont victimes, les travailleurs algériens de la région parisienne ont manifesté pacifiquement le 17 octobre. Utilisant des méthodes inadmissibles,la répression policière a fait des morts et des centaines de blessés. L’Union des syndicats… tient à faire savoir qu’une répression policière analogue, nouvelle étape de l’installation d’un régime fasciste en France, déclencherait une réaction immédiate de l’ensemble des travailleurs de la région parisienne ».

On note bien d’autres réactions : « Des appels sont lancés par le bureau confédéral de la CFTC, par l’union des syndicats FO de la région parisienne, par l’UNEF ; des rassemblements sont organisés dans les banlieues par les unions locales de la CGT), des organisations religieuses et humanitaires (la LICRA, le MRAP, le Secours populaire français, le Comité national de la fédération des déportés et internés résistants et patriotes, les étudiants de l’Institut catholique, l’Action catholique ouvrière, les paroisses du 13e arrondissement, le Conseil national du Mouvement des ingénieurs et cadres catholiques, l’Union des sociétés juives de France, la Fédération protestante), des groupements d’intellectuels, d’étudiants et d’enseignants (le Comité Maurice Audin, « Quatre-vingt professeurs et membres du personnel du lycée Honoré de Balzac » et encore des étudiants et des universitaires qui se réunissent dans la cour de la Sorbonne et appellent les partis et les syndicats à organiser une riposte, ou bien quelques centaines d’intellectuels, dont Jean-Paul Sartre, qui se rassemblent Place Monge le 6 novembre et se dispersent juste avant que n’éclate une bombe). Mais on pourrait citer encore l’Union féminine civique et sociale, le syndicat de l’enseignement autonome de la région parisienne, le Conseil de l’Ordre des avocats, les Amis de Gandhi, etc. »[4]

Cet arc de forces ne va cesser au fur et à mesure de mobiliser pour les libertés publiques, contre les attentats de l’OAS, pour l’arrêt de la guerre. La manifestation du 8 février 1962 est appelée par CGT, CFTC, UNEF, SGEN, FEN et SNI, le PCF, le PSU et le Mouvement de la paix étant associés à l’appel. Jusqu’à une période récente, la répression et les morts de Charonne (février 1962) avaient fait passer au second plan, voir occulté, dans la mémoire collective le 17 octobre 1961.

Il demeure remarquable toutefois qu’aux obsèques des morts de Charonne, le 13 février, seuls les représentants de deux organisations évoquent le 17 octobre, ce qui est mentionné par Simone de Beauvoir. Il s’agit de celui la CFTC et de celui prononcé par Dominique Wallon, président de l’UNEF. En réalité Dominique Wallon avait complété à la main le texte dactylographié préparé au siège (voir illustration en début d’article), ce qui explique que le texte imprimé dans L’Étudiant de France est incomplet.

Merci à Dominique Wallon pour nous avoir autorisé à reproduire ce document. Nous reviendrons au printemps 2022 à l’occasion des 60 ans de la fin de la guerre d’Algérie sur ces questions. En attendant, pour aller plus loin, voir

  • Sur notre site, « étudiants et guerre d’Algérie. Eléments » http://www.germe-inform.fr/?p=1250
  • Sur le sité de l’AAUNEF « L’UNEF et les morts de Charonne (février 1962), deux témoignages: Michel Langrognet et Dominique Wallon http://aaunef.fr/lunef-et-les-morts-de-charonne-fevrier-1962-deux-temoignages/
  • Brigitte Gaïti, « Les ratés de l’histoire. Une manifestation sans suites : le 17 octobre 1961 à Paris», Sociétés contemporaines N°20, 1994.
  • Eithan Orkibi, Les étudiants de France et la guerre d’Algérie, Paris, Syllepse, 2012.
  • Jean-Yves Sabot, Le syndicalisme étudiant et la guerre d’Algérie. Paris, Harmattan, 1995.
  • Dominique Wallon, Combats étudiants pour l’indépendance de l’Algérie, UNEF-UGEMA 1955-1962, Casbah éditions, Alger 2015, édité pour la France par L’Harmattan, Paris, 2015. (Voir note Monchablon).

[1] Sur notre site: « Il y a 60 ans, la création de la FNEF »

[2] Alain Monchablon, Histoire de l’UNEF, Paris, PUF, 1983.

[3] Le Monde, 27 octobre 1961.

[4] Gaïti Brigitte. Les ratés de l’histoire. Une manifestation sans suites : le 17 octobre 1961 à Paris: Sociétés contemporaines N°20, 1994. pp. 11-37.

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