Le 1er mars 2001, Valérie Becquet a soutenu sa thèse de Doctorat de Sciences de l’éducation, intitulée Fondements et dimensions de la participation associative des étudiants à l’Université (477 pages + annexes). Son jury était composé d’Alain Coulon (professeur à l’Université de Paris VIII), de Dan Ferrand-Bechman (professeur à l’Université de Paris VIII), de Pierre Merle (professeur à l’IUFM de Bretagne), d’Henri Peyronie (professeur à l’Université de Caen) et de Roger Sue (professeur à l’Université de Caen). Ce texte présente les grandes lignes de ce travail.
Publié dans les Cahiers du Germe trimestriel, n° 2001
Actuellement, les recherches sur la vie associative se multiplient. Bien que les thèmes abordés soient nombreux, elles laissent de côté des pans entiers de ce champ social. Il en est ainsi des associations étudiantes. Cette recherche se propose donc de combler un tel vide en analysant la participation associative des étudiants à l’Université.
Avant même d’essayer d’en décrire les contours, les raisons d’une telle absence de travaux ont été étudiées. L’analyse des publications sur la vie associative et sur les étudiants conduit à constater qu’un tel vide peut s’expliquer par l’existence de représentations particulières du monde étudiant et par une référence constante à la figure bourdieusienne de l’héritier. Considérés comme individualistes et apathiques, les analystes leur dénie souvent toute volonté de s’engager. Ils se réfèrent implicitement au mythe d’un âge d’or, les années 60, où le militantisme aurait été nettement plus important. Ainsi, seules leurs régulières mobilisations semblent caractériser la nature de leur engagement public. Or, au vue des données sur l’activisme associatif, la proportion des étudiants investis à l’université est proche de celle du reste de la population française (entre 10 et 15%).
Diverses caractéristiques sociologiques ont été mises en évidence. Nous avons constaté que le découpage social de la population associative reflétait d’une part, celui de la population étudiante et, d’autre part, celui de la population associative. Ces étudiants seraient donc à l’image des deux mondes sociaux auxquels il est possible de les référer. La primauté des catégories sociales supérieures mais aussi, de ce qu’il est courant d’appeler les classes moyennes, s’expliquerait par l’existence de dispositions à participer reposant, entre autres, sur le sentiment d’en avoir la « compétence ». A celles-ci s’ajouteraient des conditions d’existence en permettant l’expression (autonomie et aval parental). La possession d’une disposition à participer ne s’illustre pas uniquement à travers l’origine sociale. Les influences respectives de la participation parentale et pré-universitaire sont importantes, au moins pour la moitié des étudiants. Pour les autres, la participation associative ne découle pas de mécanismes sociaux aussi « transparents ». Leurs histoires personnelles se sont construites autrement
La sélection à l’entrée des associations étudiantes s’illustre également à travers le rôle des filières.
Ainsi, l’agencement des dimensions culturelles, dont les participations parentales et antérieures, et structurelles concoure à comprendre ce qui se passe « en dehors » des associations, ce qui détermine la composition de leur public. Mais s’il convient de tenir compte des mécanismes du dehors, il faut aussi accepter d’en relativiser l’importance dès lors que l’on se situe dans les associations étudiantes. Déjà, les « disposés » comme les « a-disposés », les « intégrés » comme les « non-intégrés », empruntent des chemins identiques pour rejoindre leur association. L’ordre de l’interaction vient alors se substituer à l’ordre de la sélection. L’invention d’un entre-soi associatif se fonde tout aussi bien sur un « entre-soi social » que sur un « entre-soi symbolique » s’en démarquant. Le dehors et le dedans de la vie associative se sont pas régis pas les mêmes processus sociaux. Certes, la sélection à l’entrée peut laisser supposer que ce qui unit socialement la majorité des participants permet qu’ils se retrouvent au sein des associations et fonde la nature même de leur expérience associative, tout comme elle définit probablement leur expérience d’étudiant, compte tenu de leur appartenance à des filières spécifiques. Néanmoins, la composition de la population, tout comme l’absence de l’effet des variables comme l’origine sociale, le sexe et la filière, sur l’expérience associative, remettent en cause une telle appréciation et invitent à chercher ailleurs ce qui en permet la compréhension.
Ce que partagent ces étudiants, c’est, à la fois, une conception des études et une conception de la participation sociale. Le fait d’affirmer qu’ils ne désirent pas être qu’étudiant témoigne d’une perception spécifique de leur passage à l’université. Ils adoptent ainsi une position critique vis-à-vis d’un rapport aux études généralement considéré comme étant utilitaire, refusant d’être des « consommateurs de cours » ou des « étudiants passifs ». S’ils partagent une telle conception, ils n’exercent pas, pour autant, de manière identique leur métier d’étudiant. Trois stratégies de conciliation ont été repérées. Ainsi, il y a, à la fois, des étudiants qui se laissent débordés par la vie associative, entraînant bien souvent un redoublement, dont ils relativisent la gravité, d’autres qui considèrent qu’une bonne organisation constitue la meilleur solution pour articuler deux activités qu’ils apprécient et, les derniers, dont les études restent prioritaires sur la vie associative. Tous ne vivent pas à l’identique leur passage au sein des associations et tous n’y consacrent pas le même temps. Plus l’investissement est important, plus les responsabilités sont élevées, plus les cumuls sont nombreux, plus ils éprouvent des difficultés à gérer les contraintes temporelles. En cela, les étudiants estimant leurs études prioritaires sont les moins à même de consacrer beaucoup de temps à la vie associative.
Au sujet de leur conception de la participation sociale, ils privilégient nettement les dimensions altruiste et sociabilitaire. Les volontés de s’intégrer, de rencontrer et de partager s’incarnent au sein des associations grâce aux liens sociaux qu’elles permettent. Cette démarche comprend une dimension altruiste. Chercher à être avec les autres, c’est aussi chercher à être là pour les autres. Il existe une articulation permanente entre ces deux positions de l’individu. Elle s’exprime d’autant mieux, si on y ajoute une troisième dimension, qui n’est pas la dimension utilitaire telle que nous l’avons spécifiée (« compléter ma formation avec d’autres compétences »), mais la dimension utilitaire propre aux dimensions sociabilitaire et altruiste. Ainsi, sans pour autant placer leur participation associative sous le signe de l’intérêt, ils avouent la nature plurielle de ce qui la fonde.
Si le désir de sociabilité les conduit, entre autres, à rejoindre la vie associative, il prend forme à travers son fonctionnement quotidien. Nous n’avons pas seulement montré que leur investissement permettait l’amélioration de leur sociabilité à travers les rencontres réalisées et les activités extra-universitaires pratiquées. Nous avons aussi mis en valeur la prégnance de la dimension sociabilitaire à travers la valorisation très nette du travail de groupe.
L’étude des effets de la participation associative permet de mieux apprécier l’expérience de ces étudiants. Si les activités associatives peuvent, compte tenu du temps qu’elles réclament, être considérées comme allant à l’encontre des études, il apparaît que leurs effets ne se pensent pas en négatif mais en positif. L’investissement remédie aux défaillances de l’institution universitaire en terme d’intégration, les étudiants valorisant les apprentissages relationnels et affectifs et ceux relevant du développement personnel. Il contribue également à acquérir les ethnométhodes nécessaires à l’exercice du métier d’étudiant (organisation du travail, articulation entre les savoirs, connaissance de l’institution).
La participation associative est également considérée comme pouvant avoir une utilité professionnelle. La proximité entre la manière dont les étudiants estiment que ces activités seront reconnues par les entreprises et celle dont elles sont présentées dans les guides de recrutement met en évidence que l’expérience associative dépasse largement le cadre des études et celui de l’engagement social. En cela, la dimension utilitaire, que les étudiants avaient d’eux même évacuée, réapparaît lorsqu’il est question des apports expérientiels.
Ainsi, la spécificité de l’expérience de ces étudiants repose sur une dialectisation quotidienne, parfois non raisonnée, de deux métiers ayant leurs caractéristiques propres. Il n’y a pas de juxtaposition du métier d’étudiant et du « métier de bénévole », mais bien une intrication de deux expériences qui n’en font finalement qu’une.
Valérie Becquet