lecture : Marnix Dressen, De l¹amphi à l¹établi, les etudiants maoïstes à l¹usine, 1967-1989

« Fuir le monde étudiant »

DRESSEN, Marnix, De l¹amphi à l¹établi, les etudiants maoïstes à l¹usine, 1967-1989, Paris, Belin 2000, 431 p. Issu d’une thèse de doctorat en même temps que d’une expérience personnelle, De l’Amphi à l’Etabli n’est pas un récit, mais une analyse et une interprétation du phénomène qui vit entre 1967 et 1989 (date de l’enquête), mais pour l’essentiel entre 1970 et 1973, 2000 à 3000 jeunes étudiants et lycéens abandonner leurs études sous l’influence du maoïsme pour s’embaucher en usine et devenir ce que le jargon militant appelait des « établis «.

Fondé sur l’examen de 283 questionnaires (sur environ 500 sollicités) et cinquante entretiens approfondis, il n’ignore évidemment pas les pièges du recours à la mémoire. Le résultat est une mine d’informations et de réflexions, portant davantage il est vrai sur la dimension personnelle, voire de psychologie collective, du phénomène, que sur sa portée sociale et politique d’ensemble. Classiquement divisé en trois parties (avant, pendant, et après l’»établissement «, encore qu’1/10e environ des intéressés fussent encore en usine, et pensant y rester, au moment de l’enquête), il passe en revue les antécédents, les motifs et le vécu, enfin le regard porté sur cette expérience.

Marnix Dressen insiste sur le caractère ordinaire des données sociales et familiales des « établis « : des origines qui sont celles de la moyenne des étudiants et lycéens d’alors, un passé familial sans comptes personnels à régler, marqué à gauche le plus souvent, une pratique catholique fréquente, voire une fréquentation importante du scoutisme: rien de « hors normes «, pas de faille identifiable dans la trajectoire antérieure. L’engagement maoïste, de préférence au trotskisme, est expliqué par le souci du concret, de l’action pratique plus que théorique, et mène au choix de l’établissement. La pression directe de l’organisation n’aurait pas été décisive dans la décision d’établissement, mais relayée par une volonté personnelle, où comptent à la fois la dénonciation de la culture livresque, la haine de la bourgeoisie, le refus du devenir de cadre supérieur, et bien sûr la foi absolue en le rôle messianique de la classe ouvrière. Il est un peu dommage, mais sans doute inévitable que la part de rejet de l’institution universitaire soit peu explicitée, d’autant que (contrairement à des interprétations ultérieures) les établis n’étaient pour beaucoup pas en situation d¹échec scolaire ou universitaire et n’ont pas, par leur décision, anticipé en la rationalisant sur une situation de mobilité sociale descendante. Au reste il ne s’est pas agi d’une lubie passagère :  45% des établis le sont restés  six ans  et plus. Et pour beaucoup (du moins des «désétablis «) ils en sont venus à occuper une position sociale qu’ils auraient vraisemblablement obtenue sans passer par le détour de l’établissement. Quant au devenir politico-idéologique, en 1989-1990, 39% se disaient proches de la gauche extraparlementaire, 30% du PS, 11% des Verts, et 2% du PCF. Analysé selon les concepts de l’anthropologie religieuse comme «un mouvement paroxystique de certaines formes d¹engagement socialiste», le mouvement  d’établissement a-t-il eu des effets sociaux sur la marche du syndicalisme, sur la vie dans l’entreprise ? Les anciens établis en parlent peu, mais cela appartient sans doute plus à l’histoire (à faire) qu’à la mémoire.

     Alain Monchablon

Les Cahiers du GERME trimestriel n° 17 6  1°  trimestre 2001

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