lecture : Anne Muxel, L’expérience politique des jeunes

MUXEL, Anne,  L’expérience politique des jeunes, Paris, Presses de Sciences Po, 2001, 181 pages. Pour qui s’intéresse à la socialisation politique des jeunes, les travaux d’Annick Percheron et ceux, plus récents, d’Anne Muxel se présentent comme des références. L’expérience politique des jeunes s’inscrit dans la continuité d’un ouvrage paru en 1996, Les jeunes et la politique. Plus complet, celui-ci permet d’approfondir certaines questions et de présenter les résultats de plusieurs enquêtes récentes réalisées par l’auteur.

Comme le souligne l’auteur dès son introduction, la participation des jeunes à la vie de la cité et aux consultations électorales se présente comme une préoccupation récurrente. Entre « sirènes alarmistes » et incompréhension, le rapport des jeunes à la politique suscite de nombreux commentaires emprunts à la fois d’une représentation de la jeunesse, de référents historiques mais aussi d’une méconnaissance de ce même rapport. Il y a méprise clame l’auteur : « celle que l’on trouve dans nombre d’analyses et de commentaires qui cantonnent les jeunes dans un individualisme et une forme de renoncement détournant leurs intérêts et leurs préoccupations hors du champ politique. » (p. 47) Pour y répondre, une mise au point s’avère nécessaire : les jeunes des années 60 n’étaient pas davantage engagés. Stop au mythe de l’âge d’or ! Une mise au point suivie d’une affirmation : « ni dépolitisés, ni démobilisés ».(p.47) Le ton est donné. Quels sont les arguments proposés ?

Anne Muxel entame son travail par une présentation de quatre portraits, quatre manières de penser le rapport à la politique, puis, au fil des chapitres, examine les contours de l’expérience politique des jeunes. Entre héritage et vécu, l’auteur souligne la difficulté à faire la part des choses. « Comment démêler les effets entrecroisés d’une diversité de facteurs et d’influences au travers desquels se forment les repères politiques, se forgent leurs comportements et se traduisent leurs choix concrets ? (p.37) Cette interrogation accompagne la totalité de son propos. Commençons par la variable la plus courante : l’héritage familial. La famille reste le lieu privilégié de construction des repères politiques. Plus les choix parentaux sont affirmés, plus ils sont reproduits par leurs enfants. Toutefois, cette transmission n’est pas mécanique. Pour le mettre en évidence, Anne Muxel rappelle l’existence de six types de filiation découpés en deux catégories : les « affiliés » et les « désaffiliés ». Parmi les premiers, se trouvent « la filiation de gauche », « la filiation de droite » et la « filiation a-politique ». La filiation est considérée comme une continuité entre la position politique d’ « ego » et celle d’au moins un des deux parents (sans que l’autre se situe dans une autre situation). Ainsi, une « filiation de gauche » signifie que « les deux parents ou au moins l’un des deux parents sont à gauche, sans que l’autre ne soit à droite ». Quant à la « filiation a-politique », elle témoigne de l’héritage d’une « absence de choix ». Parmi les seconds, se distinguent « la filiation non homogène » (choix parentaux divergents ou inexistants), le changement de camp politique et « le décrochage » (ego ne se classe ni à gauche ni à droite, alors qu’il classe ses deux parents de façon homogène à gauche ou à droite). Comment se répartissent les jeunes au sein de ce découpage ? 71% [donnée 1997] s’inscrivent dans une continuité générationnelle (à gauche : 29%, à droite : 20%, a-politique : 22%) et le reste dans une rupture (non-homogène : 16%, décrochage : 7%, rupture : 6%). Comparés au reste de la population, un « surplus de filiation » mérite d’être noté. Il reste que l’héritage est marqué socialement. Ainsi, la moitié des jeunes optant pour une filiation a-politique ont un niveau d’études inférieur au bac et, à l’inverse, la moitié des « décrocheurs » ont un niveau d’études supérieur au bac. Ce découpage prend tout son sens à partir du moment où l’on considère, d’une part, que le « décrochage relève d’un choix plus actif » (p.61) et, d’autre part, que l’apolitisme révèle un rapport critique à la politique : 90% n’ont confiance ni dans la gauche ni dans la droite pour gouverner le pays et la moitié pense que les hommes politiques ne se préoccupent pas de gens comme eux. Principale conséquence : l’existence d’une filiation partisane facilite les choix électoraux alors que, dans les autres cas, une dispersion s’opère. Si l’entrée par la filiation permet d’éclairer l’héritage, elle ne permet pas, pour autant, comme le remarque l’auteur, de comprendre la processus de transmission et le rapport à la politique. Pour éclairer le premier aspect, Anne Muxel revient sur le rôle de la discussion familiale. Elle note que, bien que la politique n’en constitue désormais plus le contenu principal, elle reste encore le lieu privilégié d’élaboration des choix politiques. Cependant, le fait de discuter de politique en famille suppose de tenir compte de la position des parents : intérêt ou rejet de la politique, positionnement, etc., ces critères variant selon le père ou la mère. L’étude de ces indicateurs conduit l’auteur à parler de « configurations parentales contrastées » et à conclure que « la réalité de l’influence familiale doit donc être nuancée, circonstanciée, précisée et affinée ». (p.94)

L’analyse de la socialisation primaire mène Anne Muxel à celle de l’appropriation des orientations politiques et des contours de l’expérience des jeunes. Pour ce faire, elle rappelle l’existence de plusieurs critères en permettant la compréhension : les « actes officiels » (inscription sur les listes électorales et vote), l’intérêt pour la politique, l’expression d’un choix personnel, la participation à une grève ou à une manifestation et l’engagement dans un mouvement ou dans une association ayant un caractère politique. Au sujet des « actes officiels », l’existence d’un « moratoire » est rappelé, correspondant à celui, plus large, des années de jeunesse. L’inscription électorale est donc retardée et l’abstentionnisme reste plus important chez les jeunes. On peut alors se demander ce que seront les effets de l’inscription « automatique » sur les listes électorales instaurée depuis 1997. Quant au vote, il est plus ou moins retardé selon l’héritage familial et les situations sociales. Concernant l’intérêt pour la politique, s’il n’a pas diminué, son contenu a semble-t-il varié. Les sujets « politiques » sont avant tout « éthiques », se situant « hors des clivages politiciens traditionnels et généralement abordés par d’autres voies que celles offertes par la démocratie parlementaire ». (p.108). Pour compléter ces données sur l’entrée en politique, l’auteur présente les premiers résultats d’une enquête longitudinale sur le vote d’une cohorte de jeunes entre 1986 et 1997 (sept interrogations marquées par les échéances électorales), permettant d’apprécier la construction dans le temps de l’identité politique. On voit alors se dessiner la plus ou moins forte stabilité des choix politiques. Ainsi, « entre la première vague d’enquête [déc. 1986] et la troisième [1989 : lendemain du second tour des élections municipales], seul un tiers des jeunes reste fidèle à une même position sur l’échelle gauche-droite (33%), et seule une petite moitié déclare une même affiliation partisane (49%). » (p.127) Les chiffres diminuent très nettement au fil des années. Entre les vagues 1 et 7 [1997 : lendemain du second tour des élections législatives], 18% sont restés fidèles à leur position de départ ; 25% ont été mobiles à l’intérieur des positions de gauche ou de droite ; 11% ont franchi au moins une fois la barrière gauche-droite et 18% ont été indécis (refus de répondre ou position centrale de l’échelle). On retrouve là une mobilité de l’électorat jeune dont il est souvent question au sujet des français en général. Anne Muxel prolonge son analyse en s’intéressant aux partis politiques. Seuls le PS et le RPR sont l’objet d’une certaine fidélité. Quant aux partis extrémistes, « seuls 6% des jeunes ont déclaré quatre fois et plus une proximité à un mouvement d’extrême gauche et seuls 13% au FN ». De plus, « l’un et l’autre provoquent des attirances sans doute plus sporadiques ou circonstanciés : 64% des jeunes n’ont choisi qu’une seule fois l’extrême gauche et 52% le FN ». (p.131) De tels résultats auraient peut-être mérités quelques commentaires, la mise en perspective de l’extrême gauche et du FN étant particulièrement malvenue. Si ces premiers résultats issus de l’enquête longitudinale sont éclairants, ils permettent également de rappeler que les mouvements de 1986 ont eu un impact très net sur les modalités d’entrée en politique des participants. Comparé aux non-participants (46% de l’échantillon), ils s’intéressent davantage à la politique et ont très majoritairement participé à l’élection présidentielle de 1988, au profit de François Mitterrand.

Pour clore son étude de l’expérience politique des jeunes, Anne Muxel revient sur le contexte, « l’univers de signification au travers desquels l’individu appréhende la réalité politique ». (p.143) Il est alors question du rôle de la télévision qui faciliterait l’accès à l’information, tout en ne rendant pas plus « lisible le paysage politique actuel ». (p.146) En cela, les « jeux » de la politique seraient nettement plus connus des jeunes que ses « enjeux ». Cette manière d’appréhender le monde politique concourrait à la construction d’une image négative. « Le rejet de la politique, telle qu’elle se donne à voir quotidiennement, est vivement exprimé ; les dévoiements des hommes comme des institutions sont dénoncés, avec la même force de conviction par des étudiants ou des salariés, des jeunes diplômés ou des jeunes sans diplôme, des jeunes de droite, de gauche, ou sans orientation politique définie. » (p. 151) Mais critique ne rime pas avec défaitisme puisque les jeunes proposent une série de « remèdes » : moralisation de la vie politique, éducation, place des médias, et souscrivent à un « humanisme de bon sens » (« penser aux gens et à l’économie en même temps » !!). Les étiquettes politiques ne font donc plus recettes, la « compétence » et la « bonne volonté » prenant le pas sur les appartenances. Est-ce pour cette raison que les héros des lycéens de terminale (1997) sont Nelson Mandela, Marthin Luther King, Mère Teresa et l’Abbé Pierre ?

Des « héros parentaux » aux « héros politiques », Anne Muxel boucle son étude de l’expérience politique des jeunes. Boucle mais ne termine pas. Si ce dernier ouvrage lui permet de faire le point sur la question, les enquêtes citées (enquête longitudinale et enquête européenne) devraient faire l’objet de publications séparées, qui permettront de mieux en apprécier les résultats et les interrogations théoriques qu’elles soulèveront. A suivre…

Valérie Becquet

Les Cahiers du GERME trimestriel n° 18 –  2°  trimestre 2001

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