LE BART Christian – MERLE Pierre La citoyenneté étudiante, intégration, participation, mobilisation 280 p, PUF 1997. Ce livre est le résultat d’un travail d’enquête par questionnaires et d’entretiens mené entre mars et décembre 1994 auprès d’un public d’étudiants de 1° et second cycle de Rennes, dans trois filières : IEP, droit et AES. Les auteurs s’interdisent ainsi en toute honnêteté une «considération générale sur les étudiants» admettant qu’il puisse exister des spécificités régionales. Le choix de mener cette étude à partir de la variable «filière d’études […] les étudiants se définissent par rapport à leurs filières» se démarque du travail d’Olivier Galland qui «privilégie les variables «université et UFR». Le choix de ces filières n’est pas arbitraire. Dans les trois cas, les étudiants étudient dès la première année des cours d’institutions politiques, et les spécialisations carrières «publiques» ou «privées» y existent également. Mais par ailleurs «tout les sépare» : origine sociale, parcours scolaire et mode de vie. «Est-ce l’institution qui fabrique son public ou bien, à l’inverse, est-ce le public qui, parce qu’il est socialement et scolairement typé «fait l’institution», voilà une interrogation tout à fait pertinente.
Trois chapitres sont consacrés à trois aspects : «l’intégration : individualisme ou esprit de corps», «la participation», «la mobilisation»;
«Les étudiants enquêtés entretiennent un rapport à leur institution en relation avec la durée de leur expérience universitaire». Les entretiens, eux, font ressortir que «pour beaucoup d’étudiants la vie à l’université d’une part, l’identité citoyenne d’autre part, n’interfèrent quasiment pas[…] car la citoyenneté des étudiants n’est que rarement une citoyenneté étudiante».Pour ces entretiens, les auteurs ont «volontairement porté une attention privilégiée aux «militants» En effet «celui qui organise une démarche collective […] pèse d’avantage sur dans l’institution que l’usager silencieux qui s’abstient lors des consultations électorales».
Les auteurs empruntent à deux perspectives, qui – soulignent-t’ils- peuvent apparaître parfois contradictoires : celle des logiques d’acteurs avec une «oscillation entre […] l’intérêt strictement individuel et la prise de conscience d’intérêts collectifs», et celle des logiques de situation ou «les institutions soumettent leurs usagers à des engagements plus ou moins propices à l’engagement citoyen»
Si les enquêtes et entretiens ont été menés avant la mobilisation contre le CIP («contrat d’insertion professionnelle), l’étude prend en compte l’apport de cette mobilisation, choix à notre avis justifié car entre situations routinières et moments de mobilisation, les différences ne sont pas si importantes. Il y a alors certes accélérations de processus de politisation, d’engagement, d’expériences à une échelle plus large, mais la plupart des éléments constitutifs de ces processus sont présentes auparavant.
On ne peut que se féliciter de l’existence d’un tel livre qui permet de discuter sur des bases sérieuses et nuancées de soi disant «dépolitisation», «individualisme», «désengagement». Notamment, le fait de souligner – malgré leur caractère minoritaire (en adhérents et militants) – le poids des organisations et militants aussi bien dans les conjonctures routinières que de mobilisation, de consacrer un développement à «la crise de l’institution syndicale», de souligner le lien existant entre intérêt individuel et intérêt collectif («défendre sa filière» pour valoriser son diplôme), le caractère fluctuant d’une «identité étudiante» oscillant entre identité de filière et identité étudiante globale qui se manifeste lors de mobilisations plus générales, tout ceci apporte à la réflexion de nombreuses données et une méthodologie ainsi qu’une prudence tout à fait appréciable dans les interprétations, tranchant avec les trop nombreuses généralisations hâtives qu’on peut rencontrer trop souvent.
Robi Morder.
Les Cahiers du Germe trimestriell n° 5 – novembre 1997