lecture : Raphaël Desanti, Le syndicalisme étudiant à la faculté des lettres de l’Université de Nantes (une approche ethno-sociologique du syndicalisme de gauche)

Raphaël DESANTI Le syndicalisme étudiant à la faculté des lettres de l’Université de Nantes (une approche ethno-sociologique du syndicalisme de gauche) Maîtrise sociologie – J.P. Molinari Dir. Université de Nantes 1995/1996. 157 pages + annexes. Dans son mémoire,  primé par l’Observatoire de la vie étudiante, Raphaël Desanti s’attache en réalité à l’étude du syndicalisme étudiant de gauche à  la faculté de  lettres de Nantes. L’objet est bien délimité : géographiquement (la faculté de lettres de Nantes) et politiquement, puisqu’il s’agit de deux UNEF qui se réclament héritières de la période «algérienne» et postérieure de la «grande UNEF». Loin de s’attacher simplement -comme  le font les journalistes lors des grandes mobilisations- à un «syndicalisme de surface» dont les dimensions se résument bien souvent aux couleurs  politiques», l’auteur entend porter son attention aux contours d’un arrière-plan «les particularités locales du syndicalisme actuel (sous ses aspects morphologiques et pratiques), les espaces-temps de son activité dans la durée de l’année universitaire, les trajectoires sociales des étudiants syndicalistes» en portant son interrogation sur «l’origine et le sens de l’engagement militant au syndicalisme de gauche».

Après une première partie présentant le syndicalisme étudiant dans l’histoire récente du monde étudiant (avec un chapitre sur les «revendications syndicales» et notamment le «discours» et le «langage» que Raphaël Desanti développera ultérieurement dans son travail de DEA) trois autres parties nous amènent au coeur du sujet. D’abord, une présentation du «paysage» politico-syndical à l’Université de Nantes, avec une revue des organisations de gauche et d’extrême-gauche, sans oublier les «organisations rivales» (UNI, RE, AGEN). C’est un travail d’enquête (s’appuyant sur une quarantaine de questionnaires, des entretiens, et de l’observationdirecte de réunions et assemblées) qui permet de dégager une «sociologie des militants» d’une part, et les «espaces-temps» du militantisme. C’est sans doute ces deux dernières parties qui sont les plus originales (et même inédites) et qui devraient servir de modèle à des études locales dans d’autres villes.

La sociologie des militants par questionnaires et entretiens permet d’avoir une approche quantitative et une approche biographique. Les trois organisations de gauche étudiées (les deux UNEF et l’ASJ, groupement local) rassemblent environ entre 90 et 115 adhérents au moment de l’enquête, et on peut estimer le nombre d’adhérents «actifs» (que Desanti définit comme les «étudiants investis dans l’activité de leur syndicat») entre 30 et 70. Le nombre de questionnaires recoltés (une quarantaine, dont 6 de «simples adhérents») est donc de ce point de vue important Quelques chiffres : 47,5% ont des parents «cadres ou professions intellectuelles supérieures» (en fait 30% d’enseignants), 20% des «professions intermédiaires», 5% employés et 22,5% ouvriers. Si on compare avec les origines sociales des étudiants (mais il s’agit de données nationales) on constate donc une surreprésentation des enfants de cadres et professions supérieures d’une part, des enfants d’ouvriers d’autre part. Il serait intéressant de comparer avec les statistiques locales.

La syndicalisation des parents est également importante, puisque les deux tiers des militants étudiants ont au moins un des deux parents adhérents à une organisation syndicale. Ce qui ne fait que confirmer nos entretiens et enquêtes menées au sein des congrès étudiants. Raphaël Desanti a donc tout à fait raison de souligner que «l’engagement militant à l’université concerne des étudiants qui ne se distribuent guère au hasard dans l’échelle des catégories sociales»,  et, concernant l’approche biographique, de relever que l’engagement syndical étudiant est «un chemin socialement préparé». Les (pré?)dispositions à l’engagement de la progéniture de militants confirment bien ce que les sociologues de l’engagement des jeunes avaient – telles Annick Percheron ou Annie Muxel – noté : ce qui se transmet le mieux dans les familles, ce sont les valeurs religieuses et politiques. Les héritages familiaux, la scolarisation, mais aussi «l’apprentissage des luttes symboliques dans les organisations militantes» sont des matrices fortes de l’engagement. «On est donc bien loin d’une image de l’engagement correspondant entièrement au modèle pur de «l’homo politicus»

Les espaces militants donnent l’occasion à Raphaël Desanti de présenter les lieux du militantisme ordinaire (hall et «tables», locaux) avec à l’appui, photographies, plans et «schémas» des réunions. Il y a aussi les lieux d’un militantisme «extraordinaire» (dans les luttes, en l’occurrence celles de la rentrée 1995/1996). L’assemblée générale («une pratique rituelle») est ainsi «décortiquée» depuis sa préparation militante, son déroulement (et la répartition des groupes dans l’amphithéâtre), les commissions, les propos tenus. Ces AG «mettent en oeuvre des savoir-faire qui sont autant le produit des histoires biographiques des militants que celui de leur intégration dans l’univers relationnel des groupes». Ce qui confirme l’absurdité de l’opposition entre «organisations» et «mouvements spontanés», mais invite plutôt à prendre en compte l’articulation entre stratégies des groupes (et la logique de compétition entre eux) et réception par les étudiants mobilisés ponctuellement. Il serait faux de réduire par ailleurs ces mobilisations à une utilisation des «masses» par tel ou tel groupe, puisqu’on pourrait également avoir un regard qui nous montre comment ces étudiants mobilisés ponctuellement utilisent aussi les positions (et dispositions) des organisations et des militants.

Le développement de telles recherches s’avère particulièrement nécessaire. Il conviendra de les comparer entre elles, avec les résultats des enquêtes menées dans les congrès syndicaux et les associations étudiantes, tout comme avec les résultats des travaux du «dictionnaire biographique». Cela permettra d’avancer dans la connaissance et la compréhension des engagements étudiants dans une perspective comparative à plusieurs niveaux : sociologique, historique, politique.

Robi Morder

Les Cahiers du Germe (trimestriel) N° 3/4 – 2° et 3° trim 1997

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