lecture : Pierre-Marie Ganozzi, Le mouvement étudiant en mai 68 à Montpellier, à travers les militants de l’époque

Pierre-Marie GANOZZI, Le mouvement étudiant en mai 68 à Montpellier, à travers les militants de l’époque. Maîtrise d’histoire sous la direction de Geneviève Gavignaud-Fontaine, Université Paul Valéry, 1997, 164 p. Les travaux portant un éclairage local sur le Mai étudiant sont encore trop rares. Avec ce mémoire, P.-M. Ganozzi propose de « contribuer à combler (ce) vide historique » en proposant une étude du cas montpelliérain. Visant à mettre « l’événement » 68 en perspective historique, ce travail se structure autour des questions des causes et « signes avant-coureurs », du déroulement du mai étudiant et des suites de l’expérience soixante-huitarde.

Sur la genèse du mai étudiant à Montpellier, P.-M. Ganozzi recense rapidement les causes évoquées dans la plupart des travaux sérieux, qui ont su écarter les thèses discutables du « complot » ou du spontanéisme révolutionnaire : la crise de l’institution universitaire, la politisation du milieu étudiant, le développement de conflits universitaires.

Sur l’aspect institutionnel, l’ampleur de la hausse des effectifs est située dans son contexte local (+ 33% de 1960 à 1966) ; de même pour l’accès difficile des classes défavorisées à l’université (plus agricoles qu’ouvrières dans la région de Montpellier). Par contre, concernant la crise d’adaptation que ce soit dans les modalités ou dans les finalités de l’enseignement ou concernant l’application de la réforme Fouchet ou encore concernant le malaise de la jeunesse, l’analyse reste trop générale par manque d’informations locales. L’étude souffre, sur ces points, de l’inaccessibilité de certaines sources : à la presse, aux archives et témoignages de militants, l’auteur n’a pu confronter les archives administratives de l’Université ou du Rectorat, encore non classées pour cette période aux Archives Départementales de l’Hérault.

Les sources utilisées permettent, par contre, à P.-M. Ganozzi de reconstituer plus finement l’alchimie militante locale après la fin de la guerre d’Algérie. Montpellier est une Université, où la FNEF a un poids non négligeable grâce à l’AGEM (Association Générale des Etudiants de Montpellier), exclue de l’UNEF en juin 1963 et présente notamment en Médecine, Pharmacie et Droit ; majoritaire aux élections de la MNEF, ce syndicat se voulant corporatiste, folklorique et apolitique est aussi, et peut-être surtout, à Montpellier, le lieu de convergence des militants étudiants conservateurs (Union des Jeunes pour le Progrès) et nationalistes (Occident, Fédération des Etudiants Nationalistes, Action Française). L’UNEF est, elle, représentée à Montpellier par l’Union Générale des Etudiants Montpelliérains (UGEM), qui, au-delà des activités corporatives (polycopiés, coopérative, …), développe une action revendicative, dans le domaine budgétaire, mais aussi social (allocation d’études) et pédagogique (groupes de travail universitaire) ; implantée surtout en lettres et en sciences, elle regroupe la plupart des militants de gauche et d’extrême-gauche, au profil spécifique par rapport aux autres universités à la même époque : l’UEC est, en effet, plus puissante qu’ailleurs (en avril 1967, elle s’empare même de la direction de l’Union) ; l’UJCml, quasiment inexistante, alors que le PCMLF est présent ; les ESU, plus investis, jusqu’à la rentrée 1967, sur le front anti-impérialiste que sur le front universitaire ; des militants proches de la gauche syndicale très influents de 1963 à 1967 ; une JCR locale, issue de la radicalisation de militants étudiants chrétiens …

Quant aux mobilisations étudiantes, en dehors des questions internationales et notamment de la lutte contre la guerre du Vietnam, elles portent sur les dysfonctionnements de l’institution, vis-à-vis de la réforme Fouchet, mais aussi et surtout -semble-t-il plus qu’ailleurs- sur les problèmes des cités universitaires (libéralisation, gestion plus démocratique), avec une grève des loyers en 1967 et une agitation importante en février 1968.

P.-M. Ganozzi affaiblit sa démonstration en terminant son analyse des causes par une étude du « milieu militant » d’alors à partir de 32 témoignages qu’il a recueillis, mais dont il ne détaille pas la ventilation en termes d’études ou d’engagement politique, ne précisant donc pas si l’échantillon est peu ou prou représentatif de l’ensemble des militants de gauche et extrême-gauche estimé un peu plus haut à 150 individus. Cependant, malgré le manque des sources institutionnelles, l’auteur donne assez d’éléments montrant, dans le cas montpelliérain, que mai 68 n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel serein !

Le déroulement du mai étudiant à Montpellier fait apparaître certaines spécificités, et du mouvement de mai, et du cas montpelliérain.

La « maturation » du mouvement s’est faite très rapidement : dès le 6 mai, en lettres et sciences, suite à la répression des étudiants parisiens, la plupart des cours se transforme en discussion-débat, une manifestation rassemble, le lendemain, 3000 personnes ; à partir du 10 mai, la grève s’étend à la faculté de Médecine ; la faculté de Droit est également touchée par le mouvement, sans toutefois s’engager dans la grève, tandis que celle de Pharmacie reste insensible à l’onde de choc. La grève générale du 13 mai, avec une manifestation de 15000 personnes, suscite la formation d’un comité intersyndical sur la ville qui, à partir du 18 mai, se réunit à la faculté des lettres.

Dès le début, le mouvement se structure sur la base d’assemblées générales (AG) souveraines dans chaque faculté en grève, les Comités d’Action (par filière, mais pas seulement) et commissions étant responsables devant les AG ; une AG inter-facultés est même mise en place, constituant une sorte de « structure de double pouvoir ». L’ensemble de ces instances tend à une gestion directe des locaux (utilisation et protection), de l’alimentation, …

Très vite, au-delà de la lutte contre la répression policière, les débats, au sein des AG, portent sur la réforme de l’université, le contenu des cours, le mandarinat ; remarquons que, là comme ailleurs, certains enseignants participent aux débats, voire partagent certains points de vue étudiants même sur des questions épineuses comme le report des examens.

Le Mai universitaire montpelliérain, comme sur d’autres campus là aussi, va même plus loin : le mode de fonctionnement et de gestion de l’institution universitaire est profondément changé, la « communauté universitaire » s’auto-administrant dans un contexte de « vacance du pouvoir ». L’équilibre varie entre les représentants des enseignants (Professeurs, Maîtres de conférences, assistants et maîtres-assistants), des étudiants et des personnels non-enseignants, mais, en lettres, en sciences et même en Droit (faculté pourtant ne participant pas à la grève), se mettent en place des assemblées provisoires cassant le monopole du pouvoir universitaire détenu jusqu’alors par les Professeurs.

Les revendications avancées par les étudiants au sein de ces diverses instances révèlent la complexité du mai étudiant, à la recherche d’une solidarité plus ou moins concrète avec les travailleurs, à la recherche, également, d’un projet de société alternatif, à la recherche, enfin, d’une autre université, d’une « université critique » (enseignement plus pratique et pluridisciplinaire, pédagogie plus active, statut et pouvoir étudiant).

Dans une dernière partie, P.M. Ganozzi propose de mesurer la portée de ce mouvement selon deux axes : les suites immédiates de l’événement et le devenir des militants étudiants d’alors.

Comme ailleurs, le discours prononcé par le Général de Gaulle le 30 mai, annonçant la dissolution de l’Assemblée Nationale et donc le retour du jeu électoral classique, a cassé la dynamique du mai étudiant montpelliérain : la grève continue, mais avec une minorité d’étudiants présents, et les militants de droite et d’extrême-droite réapparaissent, l’AGEM tentant de regrouper des étudiants contre le report des examens. Toutefois, bien que l’occupation ne soit plus massive, le travail des Comités d’Action par filière continue et des commissions de réflexion sont organisées par année d’étude. Toute cette réflexion collective débouche sur un projet d’université d’été, ouverte aux travailleurs, devant établir le bilan critique du mouvement, aborder des questions de société et la refonte de l’Université. Cette expérience d’ « université critique » n’a finalement pas pu avoir lieu à l’Université fermée par le doyen, mais s’est tenue tout de même dans une moindre ampleur dans des locaux prêtés par les frères dominicains.

Dans son analyse de l’année universitaire 1968-69, l’auteur souligne certaines conséquences du mouvement de mai : la mise en place de la loi Faure qui a pris appui sur les structures provisoires du mouvement, en particulier l’instauration d’une représentation étudiante qui, boycottée par l’UGEM, est acceptée par la droite et l’UEC (via les comités Renouveau), la libéralisation de la relation pédagogique, la cristallisation de camps autant parmi les enseignants que parmi les militants étudiants, la croissance de l’UGEM et des groupes d’extrême-gauche.

Quant au devenir des militants de l’époque, P.M. Ganozzi l’étudie à partir de la reconstitution rapide des itinéraires de la trentaine de militants dont il a recueilli le témoignage, mais toujours sans en expliciter malheureusement la représentativité (ventilation sociale, disciplinaire…) … Il récuse, justement, certains « poncifs » circulant sur la « génération 68 », ayant totalement reniée ses idées et se recyclant dans, voire à la tête, des institutions dirigeantes ; en effet, si, parmi le panel examiné, rares sont les personnes n’ayant pas du tout changé d’idées et d’organisation et, si certains se retrouvent dans des partis institutionnels tels que le PS, ils restent engagés sur le plan syndical ou associatif et considèrent mai 68 comme une « expérience fondatrice » dans leur vie.

Cependant la portée politique collective du mai étudiant montpelliérain reste à évaluer : au vu des axes du mouvement de mai, celui-ci a-t-il permis de faire avancer la solidarité étudiants-travailleurs, la transformation radicale de l’Université, voire de la société ? Ces questions restent ouvertes, l’analyse sera à approfondir…

Pour conclure, avec ce mémoire, Pierre-Marie Ganozzi nous offre une étude de cas du mai étudiant à Montpellier détaillée, malgré les limites des sources à sa disposition ; son étude balise certaines pistes de recherche, déjà explorées pour certains cas, à explorer pour d’autres cas, cette multiplication des études de cas rendant possible une réelle analyse globale du mouvement de mai dans les universités à partir de cas locaux. Le colloque que nous organisons en mai 1998 peut être un de ces moments nécessaires de confrontation et collectivisation de diverses recherches.

Jean-Philippe Legois.

Les Cahiers du Germe trimestriell n° 5 – novembre 1997

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