lecture : Jean-Quentin Poindron, L’Union des Grandes Écoles. Une organisation d’étudiants dans les années cinquante et soixante

Jean-Quentin POINDRON L’Union des Grandes Écoles. Une organisation d’étudiants dans les années cinquante et soixante Maîtrise d’histoire (Dir. Jacques Girault) Université Paris XIII 1998 186 p. + annexes 30 p. Grandes écoles et syndicalisme, étonnant (ou détonnant) couple au sujet duquel Jean-Quentin Poindron nous dit tout. Travaillant à partir d’archives qui visiblement étaient vouées à finir à la poubelle, il tente de nous présenter ce que fût l’Union des Grandes Écoles. Associer les grandes écoles au syndicalisme peut surprendre. Et pourtant, les nantis de l’école ou la «noblesse d’État», ont aussi leurs revendications, et non des moindres, celle de rester ensemble, de faire corps afin de ne pas se reproduire. Barricades de noms prestigieux.

1947, l’Union des Grandes Écoles se crée indépendamment de l’UNEF, avec pour principal objectif de constituer un «esprit grande école», profitable à l’ensemble des formations «jusque là repliées sur elles-mêmes». Pourquoi indépendamment de l’UNEF qui avait invité chacune d’elles à la rejoindre ? Parce qu’elles y étaient représentées en tant qu’école et non en tant que groupe, que corps. Ne pas se déplier trop vite. Il fallait donc qu’elles gardent leurs spécificités, qu’elles cultivent la coupure entre elles et l’université.

A ce point d’ailleurs, qu’entre elles, elles instaurèrent un système de sélection. Etre plus ou moins une grande école. 1951, déjà deux tendances, les plus ouverts : «l’UGE a la responsabilité de toutes les écoles» et les fermés : «il y a les grandes écoles et les autres». Souci de définition qui bloqua les adhésions pendant deux ans jusqu’à la création d’un comité supérieur d’admission. Cela influença directement la représentativité de l’UGE qui regroupait principalement des écoles d’ingénieurs et quelques écoles de commerce, mais très peu d’écoles spécialisées. L’UGE examinait les candidatures de l’association de l’école, chargée d’assurer l’intégration des étudiants (le bizutage) et de proposer des activités autour de la formation ou plus récréatives. La participation à une association était également considérée comme un apport dans la formation du futur ingénieur.

L’association comme structure de base fut progressivement remise en cause, suite à une scission au sein de l’UGE, donnant lieu à la création de la FNAGE (Fédération nationale des grandes écoles) en 1961 et entraînant le départ de certaines écoles. L’UGE proposa alors de créer au sein des écoles des cellules syndicales ou de constituer au sein des associations d’écoles, des bureaux paritaires FNAGE-UGE, afin de ne pas perdre trop d’influence. Mais, la logique était déjà différente et les cellules syndicales se joignirent aux combats de l’UNEF après 1968.

Ces difficultés structurelles n’empêchèrent nullement l’UGE de participer activement aux débats qui traversaient le milieu étudiant. Même indépendante, voire parfois en désaccord avec l’UNEF (malgré la signature d’un protocole d’accord en 1957), l’UGE s’associait à certains de ses combats. La sécurité sociale étudiante fut un de ceux-là. On connaît en effet la situation spécifique des écoles, en particulier privées, qui doivent obtenir un agrément pour que leurs étudiants soient couverts par la sécurité sociale étudiante. L’UGE s’attacha ainsi à développer la MNEF au sein des grandes écoles. Les bourses et la restauration furent également parmi ses préoccupations, tout comme le présalaire ou allocation d’étude. L’UGE considérait en effet les étudiants des grandes écoles comme des cadres en apprentissage devant nécessairement bénéficier d’un revenu. Un projet commun UNEF-UGE fut d’ailleurs élaboré à ce sujet en 1955, mais les approches semblaient quelques peu différentes. De «l’apprenti-cadre» et du «jeune travailleur intellectuel», qui l’emporterait ? Les conditions d’étude semblaient aussi préoccuper l’UGE. Plusieurs rencontres, une commission universitaire et quelques publications nourrirent la réflexion sur la réforme de l’enseignement dans les grandes écoles. Les questions internationales étaient à l’ordre du jour, des échanges furent d’ailleurs réalisés, mais la création d’une union internationale de grandes écoles échoua.

L’UGE s’attachait donc à traduire les débats qui traversait le monde étudiant et en particulier l’UNEF, en mode «grandes écoles». Préférant la méthode du réseau de connaissance à celui plus bruyant de la manifestation, l’UGE tentait de conjuguer les spécificités des grandes écoles avec des préoccupations plus larges et s’adonnait, tout comme l’UNEF, à la négociation de couloir. Vies parallèles de deux organisations représentatives.

Il est alors possible de se demander jusqu’où fonctionne cette analogie. La troisième partie de ce mémoire (La place de l’UGE dans les événements politiques de 1947 à 1970) apporte peut être une réponse. Deux périodes méritent d’être distinguées : la première de 1947 à la fin de la Guerre d’Algérie, et la seconde, de cette fin à une autre, celle de l’UGE. Ce fut une attitude de retrait qui caractérisa au début la position de l’union. Pas d’opposition avec les différents gouvernements, l’idée était de se présenter comme un «interlocuteur responsable» et de participer au plus grand nombre possible d’instances de dialogue. Logique du groupe de pression, du corps, qui s’appuie sur les anciens dont certains étaient députés, pour arriver à ses fins. C’est en fait la question Outre-mer qui fut un déclencheur. Si avant la Guerre d’Algérie, l’UGE avait une approche positive de la colonisation et considérait qu’il fallait envoyer des cadres métropolitains dans les territoires, il semble que la violence des événements brisa cet inqualifiable consensus. 1954, première condamnation de la colonisation qui étouffe les cultures, entraîne des discriminations raciales, et premier changement de position concernant la formation des cadres indigènes. Et puis, progressivement, l’UGE réagit, se situe, s’oppose aux arrestations des étudiants avec_ l’UNEF, mais ne rompt pas avec l’UGEMA. A partir de 1957, l’UGE s’aligne sur les positions de l’UNEF et condamne le putsch des généraux en 1961. Pour la peine et pour d’autres raisons plus structurelles, l’UGE gagne la FNAGE et l’UNEF, la FNEF. Cette entrée en politique de l’UGE ne s’arrête pas là : opposition progressive au bizutage et au corporatisme et discours qualifié d’extrême-gauche en 1968. Était-ce la période ou le mélange était-il aussi détonnant ? De ces archives, Jean-Quentin Poindron tire l’histoire entière d’une organisation qui nous interroge sur la possibilité des grandes écoles à produire leur propre réforme. Existe-t’il cet espace en leur sein ? L’histoire de l’UGE rappelle celle d’Icare. Replié sur lui-même, il a regardé par la fenêtre, déplié ses ailes, s’est envolé et a disparu. Après 68, l’UGE a totalement été intégrée dans l’UNEF, un discours d’extrême-gauche cela ne faisait pas très grande école, sauf Rue d’Ulm.

 

Valérie Becquet

Les Cahiers du Germe trimestriel n° 9 – 4° trimestre 1998

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