lecture : Olivier Bianchi, L’AGEC-UNEF 1946-1971 : Mutation universitaire et mutation syndicale

Olivier BIANCHI L’AGEC-UNEF 1946-1971 : Mutation universitaire et mutation syndicale DEA Science Politique. 252 p (dont annexes). Dir Agnès Roche. Clermont-Ferrand 1997. Ce travail prend la suite de la thèse de Jean-Yves Sabot (Le syndicalisme étudiant et la guerre d’Algérie publié chez l’Harmattan) puisqu’il aborde l’étude du syndicalisme étudiant par «le prisme du local». La période historique étudiée à Clermont est plus vaste. Sabot avait étudié les AGE de Dijon et Grenoble pendant la guerre d’Algérie, Bianchi part de l’après-guerre (1945) et achève son étude en 1971, dates significatives puisque l’on part de la Charte de Grenoble pour aboutir un quart de siècle plus tard à la dernière scission de l’UNEF «syndicale». Bianchi a utilisé un corpus délimité : celui des membres des bureaux d’AGE, soit 287 individus recensés au bureau des associations à la Préfecture. 170 ont pu être localisés, 29 ont répondu à un questionnaire et 11 ont participé à un entretien avec l’auteur (le questionnaire et les entretiens figurent en annexe).

L’approche historique, qui constitue la première partie du mémoire, rejoint le travail de Nathalie Luycks à Lyon (voir notre compte rendu dans le N° 6 des Cahiers trimestriels): rôle de la «mythologie «unefienne […] entretenue par les agents eux-mêmes, qu’ils soient anciens dirigeants ou actuels responsables», qui sert de mémoire au travers d’une transmission orale passant de génération en génération de dirigeants (y compris les anecdotes – déformées par le temps – mais qui servent à entretenir une «identité» collective) empreinte d’une «héroïsation» des actions passées. Ainsi, le champ «unefien» «entretient sa propre légende». Apparaissent au travers des entretiens comme des écrits le «mythe» d’une UNEF école de formation d’élites politiques, «assertion quelque peu exagérée (…la) réalité (est) plus complexe et plus modeste». Si quelques anciens dirigeants ont détenu un mandat politique important (quelques maires ou adjoints de villes moyennes ou grandes), le nombre reste «relativement faible et peu significatif […] la grande masse des dirigeants de l’UNEF ne semble pas avoir poursuivi de carrière politique». Par contre, l’UNEF apparaît bien comme un lieu de socialisation politique et d’apprentissage citoyen, «socialisation spécifique au syndicalisme étudiant (sensibilisation) à la chose publique […] accentué dans les périodes spécifiques d’émergence de générations politiques» (Résistance, guerre d’Algérie, Mai 68). Ce capital est ensuite réinvesti dans les engagements ultérieurs politiques, syndicaux, associatifs et professionnels. En effet, Bianchi utilise, comme Alain Monchablon et Jean-Yves Sabot, la «clef générationnelle», établissant un lien entre ces événements politiques «fondateurs» des générations étudiantes qui y sont exposées et les caractéristiques de leurs engagements. Mais, sous-tendant ces moments, la sociologie tant de l’institution que des mondes étudiants permet d’expliquer les différentes modalités que chaque génération (symbolisées par quelques trajectoires biographiques) utilise. Ainsi de l’engagement dans les «réalisations» dans l’après-guerre qui correspond à la situation matérielle des étudiants, comme de la radicalisation des années 60 (et 68) expression de la massification et de la frustration relative de diplômes déqualifiés. Toutefois, O. Bianchi – ce serait le reproche qu’on pourrait lui faire – semble trop mécaniste à ce sujet. S’il est vrai que les mutations universitaires entraînent des types de mobilisations ou révoltes particulières, les formes n’en découlent pas automatiquement. Ainsi, si Bianchi émet l’hypothèse (à notre avis justifiée) que les dirigeants de la période de la «Charte de Grenoble» ne sont pas des «héritiers» (et ne sont donc pas sociologiquement représentatifs du milieu étudiant de l’époque), il n’en reste pas moins que ce sont  eux  qui imposent la Charte et leur formule de syndicalisme étudiant par un travail militant. Ainsi que nous l’avons rappelé, avec des fondements sociologiques proches les italiens refusent l’adoption de la forme syndicale, alors que les anglais l’adoptent malgré le caractère bien plus élitiste de l’université britannique à la même période.

Evoquons un aspect tout à fait intéressant, c’est la distinction faite «des dirigeants étudiants entre ombre et lumière». En effet, certains dirigeants demeurent plusieurs années à un poste de responsabilité alors que d’autres ne font qu’y passer une année, voire moins. Militantisme obstacle à des études qu’il faut terminer vite faute de ressources ? Effets de cette distinction sur l’avenir (ce sont plutôt les dirigeants «en lumière» dont on se souvient dans les entretiens, ce sont eux qui le plus souvent s’investissent ensuite dans des responsabilités…) ?

Espérons que de nombreux travaux de cette qualité se multiplient dans les différentes villes et sur toutes les périodes, ce qui permettra d’avoir une vision plus précise de la réalité organisationnelle et militante de l’UNEF et du syndicalisme étudiant. Ce mémoire est également une précieuse contribution au «Maitron».

Robi Morder

Les Cahiers du Germe trimestriel n° 9 – 4° trimestre 1998

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