lecture : Carole Lécuyer, Les étudiantes de l’Université de Paris sous la Troisième République,

Carole LECUYER, Les étudiantes de l’Université de Paris sous la Troisième République, mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de Michelle PERROT, Université Paris VII – Denis Diderot, Juin 1993, 251 pages + annexes. C’est sous la direction de Michelle Perrot, spécialiste de l’histoire du genre et des femmes, que Carole Lécuyer achève, en 1993, ses recherches sur les étudiantes de l’Université de Paris sous la Troisième République. Il en résulte un mémoire de maîtrise riche et extrêmement fouillé. Pour la première fois, les étudiantes de l’Université de Paris deviennent actrices de l’histoire à part entière. L’auteure dresse le portrait des étudiantes de cette époque, méconnues de nous, souvent méconnues de leurs contemporains et de leurs homologues masculins.

Cette étude fait le point sur les évolutions et les mutations du statut des étudiantes depuis Julie Daubié, première bachelière en 1861 jusqu’au années 1930. Au 19e siècle, l’étudiante à proprement parler n’existe pas. Il est inconcevable que celui qui étudie puisse être une femme. En effet, comme le souligne très justement Carole Lécuyer, dans le Littré (dictionnaire paru en 1883), le mot « étudiant « au féminin désigne « dans une espèce d’argot, grisette du Quartier Latin «. Autrement dit, l’étudiante n’étudie pas mais « couche « avec l’étudiant.

En consacrant son deuxième chapitre à la sociologie et à la quotidienneté de l’étudiante, l’auteure parvient à démontrer que la définition du Littré est obsolète, et ce, dès sa parution. Certes, les relations amoureuses entre étudiants et étudiantes ne sont pas rares mais elles ne sont pas systématiques et, surtout, « être étudiante « ne va pas de pair avec « fréquenter un étudiant «. Carole Lécuyer arrive à démontrer quelles sont les difficultés quotidiennes des étudiantes à Paris : se nourrir, se loger, vivre, voire même survivre pour certaines d’entre elles. Tout au long de la période se mettent en place des associations d’aide aux étudiantes. Quant aux aides qui existaient déjà pour les étudiants, elles se tournent peu à peu vers leurs homologues féminines. C’est sur ce point que le travail de Carole Lécuyer est particulièrement intéressant car il met en valeur une relative « démocratisation « des étudiantes, dans le milieu étudiant. Cependant, si le statut d’étudiante n’est plus une exception, il ne fait pas de l’étudiante l’égale de l’étudiant. En effet, « l’étudiante « est avant tout une femme.

Etre une femme sous la Troisième République n’est pas plus aisé quand on est étudiante, au contraire. C’est l’objet du troisième chapitre de ce mémoire qui met en lumière les étudiantes et la société. Carole Lécuyer, grâce à de nombreux exemples et études de cas, montre que l’image des étudiantes à cette époque est loin d’être valorisante. Non seulement, les étudiantes passent pour être des femmes aux « manières provocantes de filles des rues « (page 170), mais en plus leur condition de femme leur ferme les portes de certaines sections scientifiques ou juridiques. En effet, comme le souligne l’auteure « on s’était plus ou moins habitué aux prétentions littéraires des femmes mais pas aux prétentions scientifiques et médicales et encore moins juridiques ! «

Enfin, à souligner un corpus de sources varié et conséquent au fil duquel se croisent archives, revues spécialisées dans l’enseignement, revues féminines et féministes, annuaires, témoignages, souvenirs…
Cette première étude sur le sujet a tout à fait sa place aux côtés d’ouvrages tels que l’Histoire de la scolarisation des filles de Françoise et Claude Lelièvre ou la République des Universitaires de Christophe Charle.

Elodie Jauneau

Les Cahiers du Germe – N° 26 1er trimestre 2006

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