Les étudiant·es et le mouvement contre la réforme des retraites de 2019-2020

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Collectif « la retraite une affaire de jeunes » 2013

À l’heure où s’enclenche un nouveau mouvement contre la réforme des retraites, nous publions cet article, longtemps resté en jachère (mais presque terminé) qui revient, à partir d’une enquête par questionnaire menée en 2020 avec des étudiant·es de l’Université de Picardie Jules Verne, sur le rapport des étudiant·es à la mobilisation de 2019-2020 contre le projet de réforme des retraites.

En effet, en réaction au projet de réforme des retraites proposé par le gouvernement, la France a connu à l’hiver 2019-2020 un important mouvement interprofessionnel de grève et de manifestation. Si le secteur des transports (RATP, SNCF…) était particulièrement mobilisé, des étudiant·es ont aussi participé aux manifestations. Certes, le mouvement a débuté en pleine période d’examens, ce qui n’a pas facilité leur participation, mais des « convergences » ont pu avoir lieu, notamment entre las luttes contre la réforme des retraites et contre la précarité étudiante, aussi objet de mobilisation en cet hiver 2019-2020.

Si la participation aux mobilisations étudiantes est fortement documentée (Le Mazier, 2015 ; Morder, 2020), y compris en ce qui concerne des mouvements interprofessionnels comme le mouvement contre le Contrat première embauche (CPE) (Stuppia, 2020), peu de travaux se sont intéressés à la place des étudiant·es dans les mouvements contre les projets successifs de réforme du système de retraites (1995, 2003, 2010, 2019), un enjeu qui, s’il concerne les étudiant·es, peut paraître éloigné à leurs yeux. À ce titre, nous proposons dans cet article de saisir les logiques sociales et politiques du soutien et de la participation des étudiant·es au mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver 2019-2020.

Tristan Haute, Université de Lille[1]

Pour cela, nous analysons les résultats d’une enquête par questionnaire menée par les étudiant·es de deuxième année en licence de science politique de l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV). L’enquête a été réalisée du 22 octobre au 1er novembre 2020 auprès d’un échantillon de 413 étudiant·es de la même université, interrogé·es en ligne, en face-à-face ou par téléphone, la diversité des modes de passation s’expliquant par des conditions sanitaires peu propices à la rencontre physique. Bien que très diversifié, l’échantillon n’est en rien « représentatif » des étudiant·es de l’université, au sens statistique. Plusieurs biais ont ainsi été observés. Les étudiant·es de droit, d’économie-gestion et, dans une moindre mesure, de science politique sont nettement surreprésenté·es (36,3 % des répondant·es contre 13,1 % des étudiant·es de l’UPJV) alors que les étudiant·es en sciences et technologies sont sous-représenté·es (12,3 % des répondant·es contre 28,9 % des étudiant·es de l’université). De même, les étudiant·es en master et, dans une moindre mesure, en première année de licence et de DUT sont sous-représenté·es dans l’échantillon. Pour autant, les étudiant·es boursier·es sont à l’inverse plutôt bien représenté·es (45 % des répondant·es contre 40 % des étudiant·es de l’UPJV en 2012 (Dekneudt, Bonduaeux, 2012).

La question suivante était posée aux enquêté·es : « À propos du mouvement contre la réforme des retraites, diriez-vous que… ? ». Les modalités de réponse étaient les suivantes : « vous le désapprouviez » (9,4 % des répondant·es), « vous ne le souteniez pas, mais vous ne le désapprouviez pas non plus » (40,4 %), « vous le souteniez, mais vous n’y avez pas participé » (42,9 %), « vous y avez participé » (7,3 %). Ces résultats ne sont pas très différents de ceux obtenus dans les enquêtes d’opinion nationales, si on excepte une sous-représentation des étudiant·es opposé·es à la mobilisation et une surreprésentation d’étudiant·es « indifférent·es ». En effet, un sondage Ifop réalisé en janvier 2020[2] indique que 48 % des répondant·es en cours d’études soutiennent le mouvement ou ont de la sympathie pour lui (contre 51 % de l’ensemble des répondant·es de ce sondage), que 26 % y sont indifférent·es (contre 16 % de l’ensemble des répondant·es) et que 26 % y sont opposé·es ou hostiles (contre 33 % de l’ensemble des répondant·es).

Notre objectif est ici de montrer en quoi la participation, le soutien, l’indifférence ou l’opposition des étudiant·es à cette mobilisation dépendent de leurs caractéristiques sociales et politiques. À ce titre, si le rapport des étudiant·es à la mobilisation dépend de leurs origines sociales et, dans une moindre mesure, du contexte d’étude, il s’articule surtout avec des variables politiques telles que l’intérêt pour la politique et le positionnement politique des étudiant·es.

  1. Les logiques sociales du soutien et de la participation

Les recherches relatives à la participation à des conflits collectifs au travail ont conclu que la grève mobilise principalement les catégories intermédiaires et populaires stabilisées du salariat ainsi que les salarié·es du secteur public. À l’inverse, les cadres mais aussi les salarié·es les plus précaires apparaissent en retrait de la pratique gréviste (Blavier et al., 2020), sans pour autant être plus hostiles aux organisations syndicales, bien au contraire (Haute, 2021). En termes de « soutien à la mobilisation », le sondage Ifop précédemment mentionnée fait apparaître des logiques similaires. D’une part, le soutien ou la sympathie pour le mouvement social sont bien plus répandus parmi les classes populaires (58 % des employé·es, 60 % des chômeur·euses, 64 % des ouvrier·es) que parmi les classes supérieures (44 % des cadres et professions intellectuelles supérieures et 46 % des professions intermédiaires). D’autre part, le soutien et la sympathie sont aussi bien plus massifs dans le secteur public (71 %) que parmi les salarié·es du privé ou les indépendant·es (45 %).

Notre première hypothèse est dès lors que le soutien et la participation des étudiant·es au mouvement contre la réforme des retraites sont plus importants parmi celles et ceux issus des classes populaires mais aussi parmi celles et ceux dont les parents sont salarié·es du public.

Au regard de nos données, cette première hypothèse semble en grande partie validée. Trois indicateurs sont ici utilisés pour appréhender l’origine social des étudiant·es : le fait d’être boursier·e du CROUS sur critères sociaux, la catégorie socioprofessionnelle du père et son statut d’emploi (actuel ou dans le dernier emploi exercé)[3].

Selon le tableau 1, les étudiant·es boursier·es sont ainsi significativement plus nombreux·ses à soutenir le mouvement (57 % contre 44,5 % des non boursier·es). Pour autant, si on considère uniquement la participation au mouvement, les boursier·es ne sont pas plus participant·es (7,5 % contre 7 % des non boursier·es). De la même manière, comme l’indique le tableau 2, les étudiant·es dont le père est ouvrier (61,6 %), employé (52 %) ou appartient aux professions intermédiaires (55,6 %) soutiennent significativement plus le mouvement que les fils et filles de cadres (41,1 %). Pour autant, là encore, les différences de participation au mouvement sont bien plus ténues et non significatives.

Tableau 1. Attitude à l’égard du mouvement contre la réforme des retraites selon le fait d’être boursier·e (en %)

Boursier·e du CROUS sur critères sociaux Soutien[4] Désapprobation Ni soutien, ni désapprobation
Non 44,5 9,7 45,8
Oui 57 9,1 33,9
Ensemble 50,1 9,4 40,4

Source : enquête sur la participation politique des étudiant·es de l’UPJV, 2020

Champ : ensemble des répondant·es (n=413)

  1. B. Khi-Deux significatif au seuil de 5 % (p=0,03) ; V de Cramer de 0,13.

Lecture : Le test d’indépendance du Khi-Deux indique la probabilité (ici inférieure à 5 %) que la relation observée entre les deux variables croisées soit liée au hasard et donc non significative. Le V de Cramer est un coefficient variant de 0 à 1 et indiquant l’intensité de la relation statistique. En sciences sociales, on considère qu’un V de Cramer supérieur à 0,3 caractérise une relation forte, qu’un V de Cramer compris entre 0,2 et 0,3 caractérise une relation moyenne et qu’un V de Cramer compris entre 0,1 et 0,2 caractérise une relation faible.

Tableau 2. Attitude à l’égard du mouvement contre la réforme des retraites selon la catégorie socioprofessionnelle du père (en %)

CSP du père ou parent 1 Soutien Désapprobation Ni soutien, ni désapprobation
Cadres et professions intellectuelles supérieures 41,1 13,3 45,6
Professions intermédiaires 55,6 11,1 33,3
Employés 52 4 44
Ouvriers 61,6 6,8 31,5
Artisans, commerçants, chefs d’entreprise, agriculteurs exploitants 47,5 10,2 42,4
Inactifs n’ayant jamais travaillé 64,3 0 35,7
Ensemble 50,1 9,4 40,4

Source : enquête sur la participation politique des étudiant·es de l’UPJV, 2020

Champ : ensemble des répondant·es (n=413)

  1. B. Khi-Deux significatif au seuil de 10 % (p=0,08) ; V de Cramer de 0,14.

À l’inverse, si les enfants de salariés du public (50,3 %) ne soutiennent pas significativement plus la mobilisation que les enfants de salariés du privé (47,3 %) ou d’indépendants (46,9 %), le tableau 3 montre qu’elles et ils y ont significativement plus participé (13,5 % contre respectivement 6,3 % et 4,7 %).

Ainsi, si le soutien à la mobilisation contre la réforme des retraites est bien plus répandu parmi les étudiant·es issu·es des classes populaires, c’est parmi les enfants de salariés du secteur public que ce soutien se double le plus d’une participation active à la mobilisation.

Tableau 3. Participation au mouvement contre la réforme des retraites selon le statut d’emploi du père (en %)

Statut de l’emploi actuel ou du dernier emploi du père A participé au mouvement
Salarié du public 13,5
Salarié du privé 6,3
Indépendant 4,7
Inactif n’ayant jamais été en emploi 3,6
Ensemble 7,3

Source : enquête sur la participation politique des étudiant·es de l’UPJV, 2020

Champ : ensemble des répondant·es (n=413)

  1. B. Khi-Deux significatif au seuil de 10 % (p=0,07) ; V de Cramer de 0,13.
  1. Le rôle du contexte d’étude

Au-delà de l’origine sociale, le contexte d’étude peut avoir un rôle. Comme l’explique Sébastien Michon (2008), s’il ne faut pas négliger la socialisation primaire (notamment familial) pour comprendre les logiques de la politisation des étudiant·es, il ne faut pas non plus sous-estimer la capacité de chaque individu à évoluer et à se détacher, du moins en partie, de sa socialisation primaire et donc l’influence du contexte d’étude. À ce titre, les filières d’étude, qui constituent des environnements sociaux plus homogènes, peuvent être assimilées à des catégories socioprofessionnelles étudiantes (Lahire, 2002) et on observe d’importantes inégalités de politisation entre filières, y compris à profil social égal. Ainsi, les étudiant·es issu·es de filières telles que le droit ou la science politique sont en mesure d’acquérir des connaissances et des compétences plus propices au développement d’un sentiment de légitimité politique et d’un intérêt pour la politique et donc plus favorables à une participation politique active (Michon, 2008). De la même manière, on sait que l’intégration dans l’université et dans la filière, qui peut être mesurée par l’ancienneté, est un facteur de l’engagement étudiant (Thoury, 2016). Pour autant, d’autres instances de socialisation peuvent avoir un rôle comme une éventuelle activité professionnelle en parallèle des études.

En ce sens, il apparaît pertinent de questionner le poids des contextes d’étude sur le positionnement vis-à-vis de la mobilisation contre la réforme des retraites.

On peut tout d’abord émettre l’hypothèse que les étudiant·es en droit, économie, gestion et science politique ainsi qu’en arts, langues, lettres et SHS seraient, du fait d’un sentiment de compétence politique plus important, moins indifférent·es à l’égard du mouvement contre la réforme des retraites et y participeraient davantage que les étudiant·es de santé et de sciences et technologies.

Les données présentées dans les tableaux 4 et 5 ne confirment qu’en partie cette hypothèse. En effet, seul·es les étudiant·es d’arts, langues, lettres et sciences humaines se différencient par une moindre proportion d’étudiant·es indifférent·es (29,3 % contre 40,5 % de l’ensemble des répondant·es), par un soutien significativement plus massif à la mobilisation (65 % contre 50,1 %) et par une participation plus importante (12,1 % contre 7,3 %). À l’inverse, les étudiant·es en droit, économie, gestion et science politique, peut-être moins sensibilisé·es aux questions sociales et davantage aux enjeux économiques, sont quant à eux un peu plus indifférent·es à la mobilisation que le reste des répondant·es et sont moins participants que leurs homologues d’arts, langues, lettres et SHS. Toutefois, ils et elles le sont plus que les étudiant·es de santé et de sciences et technologies.

Tableau 4. Attitude à l’égard du mouvement contre la réforme des retraites selon la filière d’étude (en %)

Filière Soutien Désapprobation Ni soutien, ni désapprobation
Droit, économie, gestion, science politique 42,7 13,3 44
Arts, langues, lettres et SHS 65 5,7 29,3
Santé et sports 43,8 9 47,2
Sciences et technologies 47,1 7,8 45,1
Ensemble 50,1 9,4 40,5

Source : enquête sur la participation politique des étudiant·es de l’UPJV, 2020

Champ : ensemble des répondant·es (n=413)

  1. B. Khi-Deux significatif au seuil de 1 % (p=0,01) ; V de Cramer de 0,15.

Tableau 5. Participation au mouvement contre la réforme des retraites selon la filière d’étude (en %)

Filière A participé au mouvement
Droit, économie, gestion, science politique 7,3
Arts, langues, lettres et SHS 12,2
Santé et sports 2,2
Sciences et technologies 3,9
Ensemble 7,3

Source : enquête sur la participation politique des étudiant·es de l’UPJV, 2020

Champ : ensemble des répondant·es (n=413)

  1. B. Khi-Deux significatif au seuil de 5 % (p=0,03) ; V de Cramer de 0,14.

Bien que l’échantillon soit peu diversifié en termes de niveau d’étude au-delà de la L3, on peut observer que les étudiant·es en première année, les plus récemment entré·es à l’université, sont les plus indifférent·es à l’égard de la mobilisation (51 % contre 40,5 % de l’ensemble des répondant·es) et y ont significativement moins participé (3,1 % contre 7,3 %) confirmant le lien entre intégration dans l’université et engagement.

Toutefois, le fait d’avoir une activité professionnelle en parallèle des études semble aussi avoir un rôle. L’emploi étudiant est lié à des motivations diverses, mais souvent pécuniaires (paiement des études ou du coût de la vie étudiante, constitution d’un revenu d’appoint, préparation de l’insertion professionnelle…). Sa première conséquence est de diminuer le temps qui peut être consacré à l’engagement et même aux études. De plus, l’activité professionnelle des étudiant·es s’inscrit souvent aux marges de l’emploi (contrats courts, temps très partiel, auto-entrepreneuriat…) et prend place au sein de secteurs peu syndiqués et peu conflictuels, ce qui ne favorise pas la participation. Pour autant, les « jobs étudiants » sont des instances de socialisation supplémentaires, créant une proximité plus importante avec le monde du travail et avec les enjeux qui y sont associés, tels que la réforme des retraites. On peut alors émettre l’hypothèse que les étudiant·es salarié·es seraient plus enclin·es à soutenir le mouvement contre la réforme des retraites, voire à y participer. Nos données confirment cette hypothèse puisqu’on observe une plus forte participation des étudiant·es ayant une activité professionnelle en parallèle de leurs études (11,5 % contre 6 % des étudiant·es sans activité en parallèle) et un soutien bien plus massif  (62,5 % contre 46,4 %). De même, la désapprobation du mouvement est plus élevée chez les étudiant·es sans activité professionnelle (10,7 %) que chez celles et ceux en ayant une (5,2 %).

Dès lors, si le poids du contexte d’étude est important, comme en témoignent les attitudes et la participation inégales selon la filière ou le niveau d’étude, d’autres éléments contextuels, extérieurs au monde étudiant, peuvent jouer un rôle comme l’éventuel exercice d’une activité professionnelle en parallèle des études. De plus, les inégalités de politisation existantes entre contextes d’étude (Michon, 2008) nous invitent à intégrer, au-delà de l’origine sociale et du contexte d’étude, des variables « politiques ».

  1. Des logiques politiques déterminantes

S’il y a des logiques sociales du soutien ou de la participation au mouvement contre la réforme des retraites, qu’elles relèvent de l’origine sociale ou du contexte d’étude, le rôle des variables proprement « politiques » apparaît déterminant, qu’il s’agisse de l’intérêt pour la politique ou du positionnement politique sur l’axe gauche-droite. On peut ainsi émettre l’hypothèse que les étudiant·es qui s’intéressent le plus à la politique devraient être plus participant·es et surtout bien moins indifférent·es au mouvement contre la réforme des retraites. Comme l’indiquent les tableaux 6 et 7, cette hypothèse est validée puisque les étudiant·es beaucoup intéressé·es par la politique sont à la fois ceux qui sont le moins indifférent·es à la mobilisation (26,4 % contre 40,5 % de l’ensemble des répondant·es) mais surtout qui y ont le plus participé (23 % contre 7,3 % de l’ensemble des répondant·es). À l’inverse, les étudiant·es qui ne s’intéressent pas du tout à la politique ont très peu participé à la mobilisation (1,7 %) et y sont majoritairement indifférent·es (55,9 %).

Tableau 6. Attitude à l’égard du mouvement contre la réforme des retraites selon l’intérêt pour la politique (en %)

Intérêt pour la politique Soutien Désapprobation Ni soutien, ni désapprobation
Beaucoup 59,8 13,8 26,4
Assez 47 13 40
Un peu 49,3 7,9 42,8
Pas du tout 44,1 0 55,9
Ensemble 50,1 9,4 40,5

Source : enquête sur la participation politique des étudiant·es de l’UPJV, 2020

Champ : ensemble des répondant·es (n=413)

  1. B. Khi-Deux significatif au seuil de 1 % (p=0,004) ; V de Cramer de 0,15.

Tableau 7. Participation au mouvement contre la réforme des retraites selon l’intérêt pour la politique (en %)

Intérêt pour la politique A participé au mouvement
Beaucoup 23
Assez 7
Un peu 0,7
Pas du tout 1,7
Ensemble 7,3

Source : enquête sur la participation politique des étudiant·es de l’UPJV, 2020

Champ : ensemble des répondant·es (n=413)

  1. B. Khi-Deux significatif au seuil de 0,1 % (p<0,0001) ; V de Cramer de 0,33.

Le positionnement politique semble lui aussi déterminant, preuve que les attitudes à l’égard d’un mouvement social découlent plus généralement du rapport à la politique des individus. Ainsi, selon le sondage Ifop précédemment mentionné,  68 % des répondant·es proches d’un parti de gauche soutiennent le mouvement social contre la réforme des retraites ou ont de la sympathie pour lui contre seulement 29 % des répondant·es proches d’un parti du centre et 32 % des répondant·es proches d’un parti de droite, sachant que l’initiative de la réforme revient à la majorité gouvernementale de centre-droit et que le mouvement social est publiquement soutenu par la gauche.

Côté étudiant, les tableaux 8 et 9 confirment ainsi l’existence d’un lien entre le positionnement politique d’une part et le rapport au mouvement contre la réforme des retraites d’autre part. D’abord, on remarque que plus un·e étudiant·e se positionne à gauche, plus il ou elle a de chances de participer à la mobilisation contre la réforme des retraites ou, du moins, de la soutenir. À l’inverse, plus un·e étudiant·e se positionne à droite, plus elle ou il aura de chances de la désapprouver, les quelques répondant·es se positionnant très à droite (13, soit 3,1 %) semblant toutefois faire exception. Enfin, la réponse  « vous ne le souteniez pas, mais vous ne le désapprouviez pas non plus » est plus répandue parmi les étudiant·es qui refusent de se positionner (46,5 %) et surtout parmi les étudiant·es se définissant au centre (54,4 %), preuve que cette modalité, loin de constituer un positionnement politique, peut être un « refuge » pour des enquêté·es ne sachant pas se positionner. Soulignons enfin que les relations sont bien plus robustes que pour les variables sociales, comme en témoignent les V de Cramer élevés (supérieurs à 0,2), preuve que, s’ils peuvent s’expliquer par des logiques sociales, les comportements et attitudes politiques sont intimement liés entre eux.

Tableau 8. Attitude à l’égard du mouvement contre la réforme des retraites selon le positionnement politique (en %)

Positionnement politique Soutien Désapprobation Ni soutien, ni désapprobation
Très à gauche 81,8 0 18,2
À gauche 69,2 5 25,8
Au centre 34,4 11,1 54,4
À droite 35,8 19,4 44,8
Très à droite 46,2 7,7 46,2
Ne sait pas 44,6 8,9 46,5
Ensemble 50,1 9,4 40,4

Source : enquête sur la participation politique des étudiant·es de l’UPJV, 2020

Champ : ensemble des répondant·es (n=413)

  1. B. Khi-Deux significatif au seuil de 0,1 % (p<0,0001) ; V de Cramer de 0,24.

Tableau 9. Participation au mouvement contre la réforme des retraites selon le positionnement politique (en %)

Positionnement politique A participé au mouvement
Très à gauche 54,5
À gauche 7,5
Au centre 2,2
À droite 3
Très à droite 15,4
Ne sait pas 3
Ensemble 7,3

Source : enquête sur la participation politique des étudiant·es de l’UPJV, 2020

Champ : ensemble des répondant·es (n=413)

  1. B. Khi-Deux significatif au seuil de 0,1 % (p<0,0001) ; V de Cramer de 0,45.

Conclusion

L’analyse des données à notre disposition nous a permis d’esquisser les logiques sociales et politiques du soutien et de la participation des étudiant·es à un mouvement social interprofessionnel. Nous avons d’abord montré que le soutien à la mobilisation est bien plus répandue parmi celles et ceux issus des catégories sociales les plus mobilisées lors de conflits grévistes, à savoir les ouvrier·es, les professions intermédiaires et les employé·es. À ce titre, la participation à la mobilisation est significativement plus importante parmi les enfants de salarié·es du public. Nous avons ensuite montré que le contexte d’étude, et en particulier la filière d’étude, peut avoir un rôle au même titre que d’autres contextes sociaux, comme en témoigne l’impact positif, en matière de soutien et de participation, de l’exercice d’une activité professionnelle en parallèle des études. Enfin, et comme pour de nombreuses attitudes et de nombreux comportements politiques, l’intérêt pour la politique mais aussi le positionnement politique apparaissent déterminants.

Références

Blavier P., Haute T. Penissat É. (2020), « La grève, entre soubresauts et déclin », Mouvements, 2020/3, n°103, p. 11-21.

Dekneudt J., Bonduaeux V. (2012), « L’université de Picardie Jules Verne face aux défis de la formation supérieure », Rencontre méthodologique PIVER, Lille, 20 décembre 2012.

Haute T. (2021), « Diversité et évolutions des attitudes des salariés à l’égard des syndicats en France », Travail & Emploi, 2021/1, n°164-165, p. 137-160.

Lahire B. (2002), « Formes de la lecture étudiante et catégories scolaires de l’entendement lectoral », Sociétés contemporaines, 2002/4, n°48, p. 87-107.

Le Mazier J. (2015), « Pas de mouvement sans AG » : les conditions d’appropriation de l’assemblée générale dans les mobilisations étudiantes en France (2006-2010). Contribution à l’étude des répertoires contestataires, Thèse de doctorat en science politique, Université Paris 1.

Michon S. (2008), « Les effets des contextes d’étude sur la politisation », Revue française de pédagogie, 2008/2, n°163, p. 63-75.

Morder R. (2020), « Un quart de siècle de mouvements étudiants. Permanences et mutations », Agora débats/jeunesses, 2020/3, n°86, p. 127-141.

Stuppia P. (2020), 2006 : une victoire étudiante ? Le mouvement anti-CPE et ses tracts, Paris, Syllepse.

Thoury C. (2016), « Engagements étudiants et sentiment d’intégration », OVE Infos, n°33, septembre 2016.

[1] Avec la participation des étudiant·es 2020-2021 de L2 science politique (parcours SPE) de l’Université de Picardie Jules Verne

[2] enquête réalisée en ligne entre le 16 et le 17 janvier 2020 par l’Ifop auprès d’un échantillon de 1006 personnes représentatif de la population française selon la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et par catégorie d’agglomération

[3] (2) Si on considère le statut d’emploi ou la catégorie socioprofessionnelle d’appartenance de la mère, les écarts observés sont plus ténus et non significatifs.

[4]Nous avons regroupé les modalités « vous y avez participé » et «  vous le soutenez, mais vous n’y avez pas participé » dans cette modalité « soutien ».

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