TETARD, Françoise, La co-gestion promue par Maurice Herzog : un modèle ?, Rapport FNDVA, Mémoire et racines de la co-gestion, juin 1998, 129 pages.L’association Mémoire et racines de la co-gestion a sollicité Françoise Tétard, historienne, pour qu’elle étudie les différentes pratiques de co-gestion, qui ont émergé vers la fin des années 50. A partir de témoignages d’acteurs de l’époque et d’archives, Françoise Tétard a patiemment reconstruit ce qui fut le support de la politique de la jeunesse. A travers la figure « charismatique » de Maurice Herzog, elle montre comment la cogestion a émergé, a séduit de nombreux mouvements de jeunesse et a progressivement « disparu » des politiques publiques. Il n’est certes pas possible d’apprécier ces différentes étapes en quelques lignes mais on peut en faire ressortir certains aspects.
La cogestion (avec ou sans tiret), à savoir une gestion commune de dossiers publics, impliquant des représentants de l’Etat et des représentants de la société civile (en l’occurrence les mouvements de jeunesse, dont l’UNEF), trouve ses sources bien avant que Maurice Herzog cumule des fonctions au Haut Comité de la Jeunesse (vocation interministérielle) et au Haut Commissariat à la Jeunesse et Sports (vocation ministérielle). « La tradition pour le ministère de faire participer les mouvements à un certain nombre de commissions et la nécessité de ne pas faire cavalier seul est installée dans les pratiques depuis qu’il existe un embryon de politiques jeunesse, c’est-à-dire depuis qu’existe la première « Direction de la Culture Populaire et des Mouvements de Jeunesse, confiée le 13 novembre 1944 à Jean Guéhenno » (p 25). On trouve également des traces des principes de la cogestion au sein des commissions jeunesse officiellement créées, en 1955-56, par les différents ministres du gouvernement Edgar Faure. Citons à titre d’exemple la commission « armée-jeunesse » qui existe toujours. Ces commissions sont composées de « 10 à 20 membres choisis parmi les fonctionnaires de l’administration en cause, ainsi que parmi les personnalités et membres d’organisation, mouvements ou institutions de jeunesse spécialement qualifiées ». (p 12). Elles seront progressivement remplacées par le Haut Comité de la Jeunesse, créé en 1955, malgré l’existence de principes de coopération entre les deux instances.
Maurice Herzog va jouer un rôle important au sein de ce Comité, tout comme Pierre Mauroy, alors secrétaire général de la Fédération des Foyers Léo Lagrange. En 1958, le Haut Comité se transforme : il comprend plus de membres (60 à 80) et devient « une institution représentative des organisations de jeunesse ».(p15). La même année, Maurice Herzog en devient le secrétaire général et prend ses fonctions de Haut-commissaire. C’est dans ce cadre là qu’il va promouvoir une politique fondée sur la cogestion. Avant de s’y intéresser, l’auteur remarque que, dans le secteur universitaire, une expérience de cogestion, les oeuvres universitaires, fonctionnait déjà depuis quelques années. On trouve aussi des tentatives de cogestion à travers les diverses formes de participation des étudiants à la gestion de l’université. (voir à ce sujet Les cahiers du GERME, n°3-4, 2ème – 3ème trimestre 97 et les travaux de Robi Morder).
Quant à Maurice Herzog, l’exercice de ces deux fonctions clé au sein du secteur jeunesse, vont lui permettre d’appliquer « pleinement » les principes de la cogestion. Il va créer quatre organismes : COTRAVAUX (1959), pour le travail volontaire des jeunes ; COGEDEP (1959), pour les déplacements éducatifs : ATTIRA (1963), pour les transports et FONJEP (1964) pour la rétribution des animateurs. Françoise Tétard propose une étude des trois premiers, le FONJEP ayant déjà fait l’objet d’un ouvrage. Nous ne détaillerons pas l’aventure des uns et des autres mais il semble que, de leurs histoires respectives, ressorte l’impression que la cogestion a été le fait de quelques personnes. Comme le souligne l’auteur, « dans le secteur Jeunesse et Education Populaire, la cogestion a été tout particulièrement portée par quelques personnes, qui croyaient à cette forme de « gouvernement » et qui l’on promue et défendue, parfois à bout de bras, envers et contre tous ses détracteurs effectifs, potentiels et implicites. » (p 25) C’est probablement parce que la cogestion relevait d’un engagement, d’une forme de militantisme, voire d’une « éthique », qu’elle n’a pas résisté au temps. Les différents successeurs de Maurice Herzog l’ont progressivement mise de côté. Déjà, avant son départ en 1966, Maurice Herzog, après avoir naturalisé cette pratique, l’a peut-être trop banalisé. Ainsi, à force d’être mise à toutes les sauces, la cogestion s’est vidée de son sens.
Son successeur direct, François Missoffe, a considéré qu’il fallait désormais s’adresser directement à la jeunesse et non aux mouvements qui n’en étaient pas suffisamment représentatifs. Il est vrai que la question de la représentativité des mouvements a été posée. Ces derniers ont toujours précisé qu’ils ne réunissaient qu’1/7ème de la jeunesse. François Missoffe avait peut-être une préférence pour les « inorganisés ». Ce qui semble établi, c’est que la cogestion n’a plus été au choeur des politiques de la jeunesse. La dernière question qui se pose alors, et à laquelle Françoise Tétard ne peut que difficilement répondre, est de savoir si les principes de la cogestion sont aujourd’hui encore applicables. Il ne s’agit pas de parler de partenariat mais d’un modèle fondé sur d’autres valeurs que l’intéressement mutuel. La question n’est pas tranchée mais la contribution de François Tétard ne peut qu’éclairer toute personne souhaitant se lancer dans une aventure qui requiert de « l’éthique, du désir et de la constance ».
Valérie Becquet
Les Cahiers du Germe trimestriel n° 11/12 4° trimestre 1999