lecture : Didier Fischer, L’histoire des étudiants en France de 1945 à nos jours

« Un pavé contre les mythes »

FISCHER, Didier, L’histoire des étudiants en France de 1945 à nos jours, Paris, Flammarion, 2000, 611 p. Un « pavé » pour traiter du mouvement étudiant, cela s’imposait : le livre de Didier Fischer en effet offre une somme de plus de six cents pages qu’on attendait sur l’histoire des étudiants en France depuis 1945. Pourtant il faut prendre le titre au sérieux : issu d’une thèse d’histoire soutenue en 1999, il s’agit  d’une étude d’ensemble sur les étudiants dans leur masse, depuis 1945, et non d’une histoire des seuls mouvements étudiants. Délibérément d’ailleurs, le chapitre consacré à Mai 1968 n’occupe qu’une quarantaine de pages, bien venues, sur le total ; mais il est inséré dans une perspective large et prend place dans une deuxième partie consacrée à la période 1962-1969, « temps des mutations et des crises », après une période 1945-1962 qui serait celle d’une longue « après-guerre », et avant  les années de 1969 à nos jours, celles de « l’expansion universitaire et des nouveaux étudiants ».

Pourtant rien ne manque dans la présentation et l’analyse des multiples groupes politiques qui dans les cinquante dernières années ont agité et tenté d’animer le milieu étudiant. Mais l’auteur a choisi de les situer dans une histoire longue, qui parfois remonte aux années Trente, et surtout de partir des problèmes objectifs rencontrés par les étudiants dans leurs études et leur vie quotidienne pour ensuite prendre en compte les diverses et successives réponses apportées par le mouvement étudiant dans ses composantes diverses. Il évoque même une étude des représentations qui ont été faites du monde étudiant, même si cette promesse est une des rares qui ne soient pas tenues.

Sur les aspects matériels, Fischer s’inscrit aussi bien contre la  vision apocalyptique d’un monde étudiant appauvri,  en proie à  la pénurie, puis confiné dans des « universités parkings », usines à chômeurs, comme contre la vision des étudiants comme monde socialement privilégié : à ses yeux, après des années d’imprévoyance matérielle et d’inadaptation, l’Université  de masse  des dernières décennies n’a pas démérité, et une lente démocratisation s’est amorcée précocement, d’autant qu’il montre que la croissance des effectifs doit plus à l’allongement de la scolarité qu’au seul baby-boom. Au total, le monde étudiant s’est banalisé en perdant de sa spécificité et n’est plus l’image inversée de la société ; à quoi on pourrait objecter que cette vision optimiste ne parle que de l’Université proprement dite, ignorant le monde des grandes écoles.

A l’égard de ce qu’on appelle le mouvement étudiant,  Didier Fischer entend « balayer les mythes », et aussi la nostalgie. Les étudiants de la Libération sont moins à gauche que la société française, et leur évolution postérieure est lente ; dans les années 60, la libération sexuelle les touche assez peu, et en 1969 ils plébiscitent par leur vote la loi Edgar Faure, malgré les objurgations de l’extrême gauche. En fait ce qui les a toujours le plus intéressés, c’est bien leurs conditions de vie et d’études, même au cœur de la guerre d’Algérie ou en 68. Du coup la dépolitisation du monde étudiant, thème récurrent, le laisse sceptique : « pour qu’il y ait dépolitisation, il faudrait qu’il y ait eu politisation », note-t-il. Du coup, « la grande force des organisations extrémistes fut de faire croire à leur influence alors qu’elles n’en avaient guère ». De l’UNEF, Didier Fischer analyse finement l’évolution, montrant bien sûr l’évolution à propos de l’Algérie, mais aussi la lente prise en compte (vers 1960) des problèmes de l’Université dans leur ensemble. Ici deux réserves : certes le mouvement étudiant n’a pas transformé la société, ni imposé l’indépendance de l’Algérie, mais son rôle a été alors sans commune mesure avec sa place dans la société française. D’autre part la notion de « corpolitisme » forgée par l’auteur à propos de l’UNEF mérite commentaire. Il a raison de souligner que dès ses origines l’UNEF a modéré sa politisation pour ne pas trop s’éloigner du pouvoir en place, quel qu’il fût ; mais précisément, si la politisation des années algériennes n’est pas si neuve, ce qui est inédit alors – et donc toute autre chose –  est le choix fait alors de l’indépendance stratégique du mouvement étudiant. Il est vrai que la « grande UNEF » n’y a pas survécu.

                                                                       Alain Monchablon

Les Cahiers du Germe trimestriel n° 17 6  1°  trimestre 2001

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