lecture: Jean-Daniel Lévy, Les coordinations, émergence et développement. Etude à partir des mobilisations de la jeunesse scolarisée

Jean-Daniel LEVY Les coordinations, émergence et développement. Etude à partir des mobilisations de la jeunesse scolarisée DEA de sociologie politique (Dir. Isabelle Sommier) Université PARIS I 1997. 251 p. Si les lycéens et étudiants sont le premier secteur où apparaissent les «coordinations» (1971 dans les lycées avec «l’affaire Guiot», 1972 dans les universités avec les «CFPM», puis 1973 avec la «loi Debré» dans les lycées et «la réforme des DEUG» en université, enfin 1976 en université avec la lutte contre «la réforme du 2° cycle»), ce n’est qu’après 1986 qu’observateurs, journalistes et chercheurs se penchent sur le «phénomène coordination». Encore faut-il souligner que ce seront quasi-exclusivement les coordinations en milieu salarié qui feront l’objet de recherches et d’études scientifiques (infirmières, cheminots, instituteurs) publiés en livres ou dans les revues telles la Revue française de sociologie, ou Sociologie du travail. Il y a des travaux sur les mobilisations lycéennes ou étudiantes qui comportent des parties sur les coordinations (D. Leschi Les mouvements lycéens 1968-1973, Paris X 1986, C. Chambraud L’UNEF-ID et le mouvement étudiant de l’automne 1986 IEP Paris 1987,  R. Morder Revendications-négociations : débats et pratiques dans le syndicalisme étudiant en France (1976-1989) Paris X 1989). Enfin une recherche dont prenant comme objet central les coordinations dans le mouvement étudiant, rappelant certes l’histoire de ce «phénomène» (la «réinvention» de la coordination partie I) mais surtout en étudiant le processus concret de constitution, de fonctionnement de la coordination partie II) et le(s) signification (s) que les différents acteurs d’un conflit leur donnent (Un sens donné à la mobilisation partie III). Pour mener cette recherche, Jean-Daniel Lévy a utilisé diverses sources. Evidemment, bibliographie, revue de presse, documents syndicaux, ainsi que 28 entretiens menés avec des acteurs de divers «bords» et de diverses périodes, mais de surcroît il s’est appuyé sur une filmographie, des sondages et des notes personnelles «d’observation participante» (il était acteur dans les mouvements de 1995) lui permettant de décrire dans le détail les problèmes de mise en place et les débats.

La forme «coordination» est en effet une  «nouveauté» des années 70 dans le répertoire d’action collective étudiant. C’est l’extrême-gauche qui les impulse car elle se trouve dans une situation dirigeante des luttes tout en ayant quitté le cadre syndical. Il faut donc «inventer» une forme représentative aux luttes généralisées, et elle puisera dans son répertoire idéologique («auto-organisation», «démocratie directe» des «conseils») pour proposer que ce soient des délégués élus par des assemblées qui se réunissent et conduisent l’action, et non les syndicats. C’est ainsi que ce qui est considéré comme «naturel» aujourd’hui (on crée «spontanément» une coordination), est le fruit d’un travail de construction et d’invention antérieur. Revenue au milieu 1970 au syndicalisme étudiant, l’extrême-gauche y apporte et entretient ce répertoire, d’autant qu’il s’est «naturalisé» dans le milieu. Dans Revendications et négociations j’avais émis l’hypothèse qu’il existe un «répertoire d’action minoritaire» utilisé – en dehors de toute référence idéologique et de tout label – par les groupes qui sont soit minoritaires, soit exclus de la représentation institutionnelle. J-D Lévy confirme, en ce qui concerne les coordinations, cette hypothèse. Face à une UNEF-id majoritaire dans les institutions et utilisant les voies de la légitimité majoritaire pour s’exprimer directement «au nom des étudiants», c’est ainsi que l’autre UNEF (et les tendances minoritaires) impulsent, ou légitiment plus, les coordinations. Mais l’UNEF-id en 1980 avait fait de même, mettant en avant une «coordination» contre la «carte universitaire». Encore faut-il noter que pour toute organisation permanente à vocation représentative, le fait de «s’abriter» à un moment donné derrière des structures autres permet de «tester» une mobilisation tout en évitant de «perdre la face» si cette mobilisation se conclut par un échec (ou alors si la mobilisation s’étend et remporte un succès, elle peut rappeler qu’elle «soutient», et même que ce sont ses militants qui ont pris l’initiative).

J-D. Lévy insiste à juste titre sur «la mobilisation des ressources» qui permet d’étendre la coordination. Le jeu des tendances existe certes, mais on a aussi à faire à des «réseaux politico-amicaux». De même, il décrit – notamment par la comparaison 1986/1995, les obstacles à la généralisation et à l’homogénéisation de la mobilisation. 1986 contre une réforme permettait d’étendre et d’unifier rapidement (d’autant qu’un réseau de comités contre la réforme existait au préalable) alors qu’en 1995 il s’agit – mêmes liés au problème du budget  de l’éducation – d’une série de luttes et revendications locales, qui seront en partie «noyées» dans la vague des grèves du secteur public.

Enfin, ce travail est illustré de graphiques (sous forme notamment de courbes comparant 1986 et 1985), d’un index, d’un historique et d’un schéma sur les tendances du mouvement étudiant qui reprend et complète en l’actualisant celui que j’avais achevé en 1989 (presque dix ans déjà… et ça bouge).

On me permettra de faire une critique (que j’ai oralement adressé à l’auteur) en ce qui concerne l’historique, l’index et le schéma. Disparaît en effet un courant (dont j’ai participé à l’animation de 1979 jusqu’en 1984) qui était certes numériquement faible mais qui avait développé une orientation «syndicaliste autogestionnaire» (que j’ai ensuite qualifié de «syndicaliste-mouvementiste») à une époque où les forces dominantes du syndicalisme étudiant comme des coordinations s’opposaient, et où les revendications étaient principalement des «revendications en négatif», en «contre» alors que nous pensions qu’il fallait des «revendications en positif», des «propositions alternatives». Ce courant avait joué un rôle malgré tout non négligeable ponctuellement (en 1967 à la fondation des comités d’action lycéens, en 1979 avec la «coordination permanente lycéenne», et dans la création du Mouvement d’action syndicale en 1976). Pour des raisons politiques de faiblesse organisationnelle, mais aussi «syndicales» (fin de l’opposition «officielle» entre syndicalisme et autoorganisation, adoption de «revendications en positif» et donc «perte d’objet» syndical) ce courant a disparu. Qu’il ne soit pas cité dans le corps du mémoire de Jean-Daniel va de soi vu la période qu’il étudie, mais qu’il disparaisse de l’historique et du tableau me chagrine un peu. Certes, «malheur aux vaincus», mais il n’est pas sûr qu’il ait été si vaincu que cela (que l’on compare les orientations alors très minoritaires avec les orientations majoritaires aujourd’hui…. Si Rome avait militairement conquis la Grèce, culturellement c’est elle qui l’avait emporté…). Il me reviendra donc ultérieurement de contribuer à restituer cette histoire.

En tous les cas, merci à Jean-Daniel Lévy d’avoir cultivé et récolté dans le champ des coordinations, et bon courage pour ses recherches ultérieures et originales : les mobilisations étudiantes… à «droite» de l’échiquier étudiant.

Robi Morder

Les Cahiers du GERME trimestriel n° 7/8 – 2° et 3° trimestre 1998

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