lecture: Gérard Lecha, Les jeunes et la politique

LECHA, Gérard. Les jeunes et la politique, Paris, Les Editions Libertaires, 2004, 219 p. Nous sommes à la croisée des chemins avec cet ouvrage qui relève, selon les propos mêmes de son auteur, « de l’essai, de l’enquête sociologique, du rassemblement de témoignages et de la méditation sur le sens de l’action et de l’engagement à travers l’écriture ». Cet objectif pluriel rend l’ouvrage atypique tout autant que l’objet d’étude de Gérard Lecha qui, dès les lendemains de sa thèse, s’attela à travailler sur le mouvement pacifiste (Cf. Cinq milliards d’otage). Actuellement enseignant en psychosociologie et en sociologie à l’institut du travail social et au service universitaire de formation continue de l’université François Rabelais de Tours, il reste avec Les jeunes et la politique dans le prolongement de cette thématique.

En effet, cet ouvrage résulte d’une enquête menée auprès de 800 jeunes de Touraine et de région parisienne, âgés de 14 à 21 ans et de tout horizon (scolaires et étudiants, passant un CAP, étant en centre d’aide par le travail, certains chômeurs, d’autres salariés voire appelés du contingent). Effectué de mars 89 à septembre 90 à l’aide d’un questionnaire mélangeant questions ouvertes, fermées et semi-fermées, ce travail questionne le rapport des jeunes aux grands thèmes politiques de société dans la tradition libertaire (« mondialisme », « pacifisme », « militarisme »,…) afin d’observer leurs perceptions, leurs espoirs et leurs engagements face à ceux ci.

Ainsi, Gérard Lecha nous expose de manière engagée et commentée les résultats de son étude, qui bousculent certaines idées reçues sur la jeunesse du début des années 90. On va ainsi pouvoir constater que la jeunesse, souvent présentée comme « apolitique » (le terme serait à discuter), accepte non seulement de parler de politique mais également de se positionner sur l’échelle politique (2/3 acceptent de le faire). Parallèlement à cela, les résultats de l’enquête montrent qu’une bonne partie des jeunes interrogés se définissent comme étant antimilitaristes (74.8% estiment qu’il n’est pas « raisonnable » de faire la guerre), ce qui détone avec le discours politique de cette époque et ne manque pas de réjouir Gérard Lecha. Dans la continuité de ces observations, il interroge les jeunes sur la signification des symboles de la nation (le drapeau, la patrie et l’Armée), et arrive à des résultats qui marquent à la fois une distanciation des jeunes face au militarisme (« 41,5 % ont une vision » rejetante » de l’Armée » nous dit l’auteur) mais aussi un attachement identitaire à la communauté nationale (en assimilant par exemple « la patrie » au pays de naissance plus qu’à d’autres considérations politiques). De son côté, le drapeau reste dans un registre sémiologique dont la dimension politique, aux yeux des jeunes interrogés, varie avec leur positionnement sur l’échelle droite-gauche (ce qui dénote au passage une certaine culture politique chez ces jeunes).

En partant de ces constats, Gérard Lecha fait le lien avec les réponses obtenues aux questions plus précises relatives à la course aux armements, à la connaissance des affaires du monde ou aux « périls encourus » par la planète. Il met alors en exergue la difficulté des jeunes à saisir la réalité des enjeux (notamment économico-politiques) de la course aux armements à l’échelle de la planète ou de l’accroissement de la population mondiale, si tant est qu’ils émettent des réponses qui peuvent paraître contradictoires avec celles données au début du questionnaire. On peut par exemple voir que la «folie individuelle et collective» apparaissait comme une cause importante du déclenchement des guerres dans la première partie de l’enquête (ceci mettant en cause les chefs d’Etat dans bien des cas), alors que dans le même temps, ce sont les « chefs d’Etat » qui leurs paraissent les mieux à même de changer les choses dans les affaires du monde. Pour l’auteur, cela n’enlève rien au véritable intérêt que portent les jeunes à ces questions mais illustre plutôt le manque de données qui leur parvient ou qui leur est accessible pour saisir plus globalement le monde qui les entoure.

Au final, malgré des contradictions apparentes et un manque d’information caractérisé sur certaines questions, Gérard Lecha veut nous montrer que la jeunesse n’est non seulement pas coupée des préoccupations politiques de son temps mais qu’elle est, bien au contraire, concernée voire engagée pour l’avenir de la planète (si n’est en acte, au moins en pensée), ce qui augure pour l’auteur des lendemains moins « conformistes » que ne voudrait le faire croire l’enquête commandée par Edouard Balladur sur la même période et à laquelle celle de Gérard Lecha tente de présenter une alternative. Pour lui, les options pacifistes et mondialistes trouvent un large écho dans la jeunesse que l’éducation et l’information doivent renforcer pour arriver « à la connaissance véritable des choses humaines et sociales » (par opposition à la vérité des mass médias). On a ici la thèse politique de l’auteur qui, si elle ne manque pas d’ambition, mériterait un vaste débat et de larges explications (à n’en pas douter, Gérard Lecha souhaite faire émerger ce débat chez ses lecteurs) que cet ouvrage ne permet pas à lui seul, tout en contribuant quand même à l’émergence de thématiques originales de réflexion.

C’est donc un ouvrage atypique et militant, tant par le sujet que par le ton, qui permet, non sans intérêt, de questionner, sur des thèmes moins « académiques », la jeunesse du début des années 90.

Emmanuel Porte

Les Cahiers du GERME n° 25 mai 2005

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