biographie : Françoise Tétard, notre amie.

TETARD Françoise, notre amie (1953-2010) Nous avons appris à la fin du mois de septembre avec une grande tristesse le décès brutal de Françoise Tétard. Ingénieure d’études au CNRS (Centre d’histoire sociale du 20e siècle, Unité mixte de recherche de l’Université Paris 1 et du CNRS – UMR 8058). Françoise s’était fait une spécialité et était devenue incontournable sur un certain nombre de questions tournant autour de la jeunesse, de l’éducation populaire, de l’action sociale, de l’éducation spécialisée. Si elle n’avait abordé que secondairement le thème des mouvements étudiants, elle avait su et pu situer leur rôle au sein des politiques de la jeunesse menées dès la Libération et surtout au début de la Ve République. Elle avait rédigé dans l’ouvrage du GERME Cent ans de mouvements étudiants le dernier article, intitulé « Les étudiants : une jeunesse pas tout à fait comme les autres » qui portait sur cette question. Elle partageait par ailleurs avec le GERME et la Cité des mémoires étudiantes le goût des archives et l’obsession de leur conservation.

J’emprunte à l’hommage d’un de ses collègues, Jean-Claude Richez, coordonnateur de la mission observation / évaluation de l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire), les éléments biographiques suivants.

« Née en 1953 d’une mère institutrice et d’un père comptable à Boulogne sur Mer, Françoise Tétard fait des études d’histoire. En 1982 elle obtient un DEA en histoire à Paris VII intitulé « Recherche exploratoire pour une histoire de la jeunesse, 1930-1965 » et dirigé par Michelle Perrot avec un mémoire. Ses tout premiers articles seront consacrés à Vichy et la Libération et publiés dans les Cahiers de l’Animation édité par l’INEP (Institut national d’éducation populaire), sous la direction de Geneviève Poujol. Ils portent sur la « Jeunesse unique » sous Vichy (1985), en décembre 1983, et sur « les politiques de la Jeunesse » à la Libération (1986). Très tôt elle est engagée dans l’animation socioculturelle, l’éducation populaire. Françoise Tétard a été instructrice aux Cemea et militante au Parti Communiste. Elle exerce comme animatrice culturelle, assure des tâches de directrice de colonies de vacances et de centres de loisirs. Elle entre en 1975 au CRIV (Centre de Recherche Interdisciplinaire de Vaucresson). Elle y devient ingénieur d’études CNRS en 1979 et y travaille jusqu’à la fermeture de la structure en 1995. Elle rejoint alors le Centre d’histoire sociale du XXe siècle, alors Centre d’histoire des mouvements sociaux, équipe de recherche fondée en 1966 par Jean Maitron.

« Les thématiques privilégiées

« Un regard rapide sur la liste des travaux de Françoise Tétard met en évidence la place prépondérante des travaux consacrés aux « enfances irrégulières » et à leurs institutions. C’est d’ailleurs sur cette thématique qu’elle a produit deux livres : l’ouvrage rédigé avec Vincent Peyre, Des éducateurs dans la rue : histoire de la prévention spécialisée (La Découverte, 2006) et Filles de justice (Beauchesne, 2009), rédigé avec Claire Dumas, sur l’éducation surveillée. Relevons également pour mémoire et parce qu’ils paraissent encore d’une très grande actualité les articles plus anciens consacrés à la délinquance juvénile (1985), au phénomène des blousons noirs (1989), aux « inéducables » (1998) et aux « arab’boys » (2001). Une deuxième catégorie importante de travaux est consacrée aux mouvements, institutions et associations d’éducation populaire. Elle esquisse un certain nombre de monographies consacrées à des fédérations d’éducation populaire comme Culture et liberté, les Centres sociaux, l’UFCV, les Eclaireuses, le CNAJEP, le FONJEP. Cette approche monographique privilégiée renvoie au parti pris scientifique de Françoise Tétard reposant sur un double postulat : (1) relèvent de l’éducation populaire les personnes et les mouvements qui s’en réclament, (2) pour comprendre l’histoire d’un mouvement et la construire, on ne peut prendre comme point de départ que sa matérialisation dans des institutions ou dans une approche prosopographique, à partir des biographies. Elle a consacré à cette dimension de la recherche un temps important notamment à travers sa participation au Maitron et à l’animation du GRMA (Groupe de Recherche sur les Militants Associatifs) créé avec Geneviève Poujol. Cette histoire de l’éducation populaire trouve son prolongement naturel dans toute une série d’articles consacrés à l’histoire des « cadres » et des professionnels. Même si une histoire générale de l’éducation populaire, de par le faible nombre de travaux scientifiques, mais aussi de par la nature de l’objet « éducation populaire » lui semblait impossible, elle en propose cependant une série d’esquisses. Très tôt par ailleurs, elle s’est engagée dans un travail systématique autour de l’histoire des politiques publiques de jeunesse. C’était le sujet de son DEA. Elle explore plus particulièrement deux thématiques : celle de la participation des jeunes et celle de la cogestion. Elle dessine surtout une histoire de ces politiques entre le régime de Vichy et l’époque mitterrandienne à travers un certain nombre de moments clés : « la jeunesse unique de Vichy » ; la Libération ; la partition entre culture et éducation populaire aux débuts de la Ve République ; la mise en place par Maurice Herzog, haut-commissaire à la Jeunesse du général de Gaulle, de la cogestion ; la crise des institutions d’éducation populaire à l’épreuve de mai 1968 et la création par François Mitterrand d’un ministère du temps libre. Au-delà de ces travaux, deux contributions fondamentales portant sur la jeunesse comme objet de recherche historique, objet sur lequel elle exprime les plus grandes réserves. Elle partage de fait la position de Pierre Bourdieu comme quoi « la jeunesse n’est qu’un mot », ou plus exactement pour elle « un sentiment » ou « une représentation qui varie profondément selon les conjonctures historiques ».

« Instituer un champ de recherche

« L’objectif fondamental de Françoise Tétard était de constituer le champ dans lequel elle travaillait comme objet de recherche historique scientifique et de rompre avec des approches historiques essentiellement mémorielles. Cette position passe par son appel inlassable à la mobilisation des archives, d’une part et d’autre part, par le recueil de la parole des acteurs encore vivants de cette histoire. Cependant si elle accordait une place importante à l’oral, elle rappelait sans cesse la nécessité à s’appuyer sur l’archive écrite, de confronter la mémoire à la trace laissée par l’histoire à travers bien entendu à la confrontation entre elle des archives en bonne méthode historique. Elle développait avec une sorte de gourmandise sa passion des archives. Elle n’intervenait pas, elle ne donnait pas une conférence sans montrer à l’auditoire des documents qu’elle présentait comme les saintes icônes de la recherche historique avec un goût indéniable pour la mise en scène. Ce goût de l’archive s’est traduit par une forte impulsion et participation dans la constitution de fonds d’archive originaux à travers notamment le CNAHES (Conservatoire national des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée) et le PAJEP (Pôle de conservation des archives des associations de jeunesse et d’éducation populaire). Le CNAHES créé en 1994 a pour objectif prioritaire la préservation d’une ou des mémoires » de l’éducation spécialisée. Le PAJEP rassemble quant à lui des archives des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, avec pour objectif de « sauvegarder, classer et valoriser les archives privées du secteur de la jeunesse et de l’éducation populaire ». Elles sont désormais déposées aux Archives départementales du Val d’Oise sous la houlette de Gaétan Sourice, archiviste. Ces deux institutions viennent par ailleurs s’inscrire dans un cadre plus général de mobilisation relativement récente d’archives non-publiques. Nous pensons notamment au travail de l’IMEC (Institut Mémoire de l’Edition

Contemporaine) autour de la mémoire de l’édition et à la création des archives nationales du monde du travail à Roubaix. Sa participation très active dans le GRMA (Groupe de Recherche sur les Militants Associatifs) plongeait ses racines dans la même préoccupation en mobilisant archives et mémoire orale pour alimenter en notices le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux, le « Maitron ». Le Comité d’histoire des ministères chargés de la jeunesse et des sports  venait compléter le dispositif. Par ailleurs l’association « Jeunes et société en Europe et autour de la Méditerranée » était à la fois pour elle le prolongement du travail engagé par une première association du même nom, « Jeunes et société », créée dans les années soixante, et une opportunité pour la mise en perspective historique des questions abordées. Il est vrai pas toujours avec succès pourtant, car la voix des historiens a souvent du mal à s’imposer dans une assemblée dominée par sociologues et économistes. Ces dernières années, Françoise Tétard, toujours dans la même logique d’animation d’un champ scientifique, a consacré une part importante de son temps à l’organisation de colloques, à la publication de leurs actes et à l’animation de séminaires, notamment dans le cadre des activités du Comité d’histoire mais aussi pour le CNAHES, le GRMA, le PAJEP. Elle a largement contribué à organiser les colloques Histoires des cadres de jeunesse (2003) avec Samuel Boussion ; « Syndicats et associations » avec Danielle Tartakowsky, « Les châteaux du social » (2005) et le Colloque Herzog (2008). Citons à titre d’exemple pour le Comité d’histoire : « Education physique et plein air au service de la santé des enfants 1918-1939 » en 2007 ; « Bases de plein air et de loisirs » en 2008 ; « L’Etat et le mouvement sportif 1945-1975 » en novembre 2009 ; « Opération mille clubs » (mars 2010). Toujours pour le Comité d’histoire, elle a largement contribué à la réalisation des trois livraisons de ses Cahiers d’histoire (2002, 2004 et 2007). »

Pierre Moulinier

Cahiers du Germe n° 29 – 2010/2011

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