JULLIARD Jacques, Marius, Frédéric. Né le 4 mars 1933 à Brénod (Ain) ; universitaire, essayiste et journaliste ; vice-président de l’UNEF (1955-1956), membre du bureau national du SGEN (1962-1970 et 1972-1977), membre du bureau confédéral de la CFDT (1973-1976).
Aîné de deux enfants, Jacques Julliard était petit-fils et fils de maires radicaux. Il eut néanmoins une éducation religieuse sous l’influence de sa mère, et est toujours demeuré un catholique teinté d’anticléricalisme. Bachelier en 1950, il prépara au lycée du Parc à Lyon l’ENS Ulm où il fut reçu en 1954. Il avait à Lyon été fort influencé par son professeur de philosophie Jean Lacroix, et par l’aumônier Fraisse de la Paroisse universitaire ; en revanche il ne fut jamais membre de la JEC. Elu à la tête du Cartel des ENS, qui venait d’être réintégré à l’UNEF, il entra en octobre 1955 comme minoritaire au bureau national encore dominé par la droite, en étant vice-président chargé de l’Outre-Mer.. D’un voyage en Algérie à l’été précédent il avait ramené les éléments d’une brochure accusatrice sur l’éducation dans ces trois départements. Pour lui comme pour les autres minoritaires, la question coloniale, particulièrement la guerre d’Algérie était essentielle. Quittant au printemps 1956 la direction de l’UNEF, il prépara en marge de celle-ci avec F. Borella, O. Burgelin et R. Chapuis, autres « minos » de l’UNEF, une « Conférence nationale étudiante pour la solution du problème algérien » co-organisée avec des responsables de l’UGEMA (Union Générale des Étudiants Musulmans algériens, nationaliste et liée au FLN), conférence dont les conclusions furent publiées dans la revue Esprit en janvier 1957. C’était au niveau étudiant une préfiguration des accords d’Evian (1962), et Jacques Julliard conserva des liens d’amitiés avec les étudiants algériens devenus des personnalités de l’Algérie indépendante. Menacés de poursuites (effectives dans le cas de F. Borella), les organisateurs prirent contact avec P. Vignaux du SGEN-CFTC et Michel Rocard des ES avec qui commença une longue amitié, bien que Julliard ait toujours refusé d’adhérer à un parti politique. S’amorça également alors la participation de J.Julliard aux activités du groupe Reconstruction de la CFTC., dont il devint membre du comité de direction. Si on ajoute sa collaboration durable à la revue Esprit, on a là une des composante de la « deuxième gauche ». Marié en 1957 avec Suzanne Agié, il eut quatre enfants. Agrégé d’histoire en 1958, il fut en octobre 1959 appelé en Algérie, contribuant comme sous-lieutenant à l’échec du putsch d’avril 1961. Rentré en France, après une année comme professeur au lycée de Chartres (1961-1962), il fut nommé attaché de recherches au CNRS (1962-1966), puis assistant d’histoire contemporaine à la Sorbonne (1966-1968). Simultanément, il fut en 1965-1966 maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, puis en 1966-1967 à celui de Paris. Adhérent du SGEN, il en fut secrétaire chargé du Second degré de l’automne 1961 au printemps 1964. Membre à ce titre du bureau national du SGEN, il fut un artisan actif du passage de la CFTC à la CFDT, dont il contribua à rédiger les statuts.
Demeuré réticent à l’action politique partisane, il participa pourtant, pour le compte du SGEN, à la partie Education et Recherche du projet Horizon 80 de Gaston Defferre. Mais en 1965 il se prononça contre l’adhésion de la CFDT à la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste.
Mai 1968 provoqua sa rupture avec Paul Vignaux, à qui il reprochait déjà sa compréhension envers la politique américaine au Vietnam. Quoique sans complaisance envers les groupes d’extrême gauche, il soutint en effet le mouvement de mai, et servit de lien entre les étudiants et le bureau confédéral de la CFDT. Ainsi il prépara avec Fredo Krumnow de la fédération Hacuitex de la CFDT le discours de celui-ci au stade Charléty le 27 mai 1968.
A la rentrée 1968, fut créée l’Université de Paris-8 Vincennes. J.Julliard maître assistant d’histoire contemporaine fut un des « cooptants » chargé de recruter les enseignants de ce centre expérimental. Il y resta dix ans, tout en enseignant au centre de Formation des Journalistes de 1968 à 1973. En 1971 il publia Fernand Pelloutier et les Origines du syndicalisme d’action directe, issu de sa thèse, étude d’histoire sociale et intellectuelle en même temps que biographie du théoricien de l’autonomie ouvrière, thème cher à l’historien comme au militant. Au SGEN-CFDT, il quitta en 1970 le bureau national où il animait la minorité, et le réintégra en 1972 lorsque celle-ci devint majorité ; il fut élu en 1973 au titre du SGEN au Bureau confédéral de la CFDT, où il siégea jusqu’en 1976, soutenant Edmond Maire contre les « poussées gauchisantes », basistes ou émanant de groupes politiques, se faisant (selon Edmond Maire) « l’intellectuel organique » du syndicat. Directeur de collection aux éditions du Seuil, il contribua à des ouvrages sur la CFDT. Critique envers le Programme commun de la gauche signé en 1972, il fut de ceux qui poussèrent la CFDT à ne pas s’y intégrer (1973) tout en notant (1974) les constats de convergence possibles. Il fut à l’automne 1974, avec l’assentiment confédéral, un des promoteurs des Assises du Socialisme, dont les contacts préalables avaient été pris à son domicile au milieu de la campagne présidentielle.
Devenu en 1978 directeur d’études à l’EHESS, sans abandonner l’histoire sociale (cf son recueil Autonomie ouvrière, 1988), il s’orienta vers l’histoire intellectuelle en insistant sur le fait que « les idées ne se promènent pas toutes nues dans la rue » et fonda en ce sens les Cahiers Georges Sorel en 1983, devenus en 1989 Mil Neuf cent, revue d’histoire intellectuelle.
Editorialiste au Nouvel Observateur depuis 1978, il en est devenu directeur délégué en 1984, tenant une chronique hebdomadaire. Participant actif du débat intellectuel, dirigeant les revues Intervention puis Faire , tribunes de la « deuxième gauche », il multiplia dès lors les publications, études historiques et essais, assumant son rôle d ‘ « homme de gauche décalé » selon sa formule, n’ayant pas de responsabilités politiques et plus de responsabilités syndicales.
Ayant pris sa retraite en 1997, il a légué ses archives à la BNF où une journée d’hommage lui fut consacrée en 2007. Il soutint en 2006 et 2007 la candidature présidentielle de Ségolène Royal. En 2010 il porta un regard autocritique sur la deuxième gauche, coupable d’avoir sous-estimé le rôle protecteur de l’Etat en France, et appela à une « social-démocratie de combat » contre l’arrogance croissante du Capital.
Il a été fait officier de la Légion d’honneur et chevalier des arts et des lettres
ŒUVRE : Clemenceau briseur de grèves (1965), Naissance et mort de la Quatrième république (1968), Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe (1971), la CFDT aujourd’hui, en coll. Avec Edmond Maire (1975), Contre la politique professionnelle (1978), « le Monde » d’Hubert Beuve-Méry ou le métier d’Alceste, en coll. Avec J.N .Jeanneney (1979), La faute à Rousseau (1985), Autonomie ouvrière, Études sur le syndicalisme d’action directe (1988), la République du Centre, en coll. Avec F. Furet et P. Rosanvallon (1988), le Génie de la liberté (1990), L’Etat et les conflits, dir. (1990), Chroniques du septième jour (1991), Ce fascisme qui vient… (1994), La Droite et la Gauche, en coll. Avec Cl. Imbert (1995), L’année des dupes (1996), Pour la Bosnie (1996), Dictionnaire des Intellectuels français, en coll. Avec M. Winock (1996), La faute aux élites (1997), L’année des fantômes, Journal 1997, (1998), La mort du roi (coll. 1999), le choix de Pascal (2003), Rupture dans la civilisation (2003), Que sont les grands hommes devenus ? (2004), Le malheur français (2005), La reine du monde (2008), L’argent dieu et le diable (2008).
Sources : Archives de l’UNEF (AN, 46 AS), entretien avec A. Monchablon, 19 mai 1981 – M. Singer, le SGEN 1937-1970,Th. Lille III, 1984, – M. Singer , Histoire du SGEN, P.U. de Lille 1987 – Archives CFDT, procès-verbaux des réunions du bureau confédéral (1973-1976), série G – lettres de J. Julliard à M. Singer, juin 1995, 15 novembre 1998, 10 décembre 1998, 31 juillet 1999 ; entretien avec M. Singer, 17 février 1999.
Madeleine Singer et Alain Monchablon.